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César et Augusta

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15 mars 2022

Gallica accompagne les concerts de la saison musicale européenne de la BnF en vous faisant découvrir des pièces des collections de la bibliothèque ayant un rapport avec les œuvres et les compositeurs au programme. Le concert de ce vendredi 18 mars met à l'honneur, entre autres, le manuscrit de l'un des chefs-d'œuvre de César Franck.
 
César Franck (d'après un tableau de Jeanne Rongier, ca 1890) et son élève Augusta Holmès (dessin de Gustave Jacquet, 1874)
De janvier à juin 2022, à l'occasion de la présidence française du Conseil de l'Union européenne, la Bibliothèque nationale de France organise en partenariat avec Radio France une Saison musicale européenne qui met à l'honneur, en une vingtaine de concerts, des œuvres de compositeurs européens du XVIIe au XXe siècle pour lesquelles la BnF possède dans ses collections des sources essentielles. Tout au long de cette saison, Gallica vous propose de découvrir en détail quelques-unes de ces pièces exceptionnelles.
 
Le Grand Auditorium de la Bibliothèque nationale de France propose ce vendredi 18 mars un concert réunissant des œuvres de César Franck (1822-1890), dont nous célébrons cette année le bicentenaire de la naissance, et de son élève Augusta Holmès (1847-1903), deux compositeurs européens devenus français par naturalisation.
 

César Franck. Photographie de Pierre Petit, 1887. BnF, Musique, EST FRANCK-3

Né à Liège, César Franck compose ses premières œuvres dès l'âge de onze ans. Après une première tournée en tant que pianiste virtuose, il s'installe à Paris avec ses parents en 1835. Et obtient de 1838 à 1841 les premiers prix de piano et de contrepoint et le second prix d'orgue au Conservatoire. Après sa rupture avec son père (1846) et son mariage, il se fait connaître comme organiste et démonstrateur pour la firme Cavaillé-Coll. Il est naturalisé par décret du 10 mars 1873 après avoir été nommé professeur d'orgue au Conservatoire (31 janvier 1872), poste qu'il conserve jusqu'à sa mort. Sa classe attire de jeunes compositeurs qui font de cet homme modeste leur chef de file. Il produit ses œuvres les plus importantes durant les vingt dernières années de sa vie.
Parmi les compositions de sa maturité, le quintette pour piano et cordes est la première œuvre de musique de chambre de Franck depuis le Duo pour piano et violon concertants sur des motifs de Gulistan de Dalayrac (1844). Il n'a de même que peu écrit pour le piano depuis la fin des années 1840, car dans les années 1850 et 1860 il a surtout composé de la musique sacrée et des pièces pour orgue ou harmonium. Tout en achevant l'oratorio Les Béatitudes (1869-1879), il commence à écrire le quintette à l'automne 1878 et le termine durant l'été 1879 à Quincy-sous-Sénart, où il passait chaque année des vacances entièrement consacrées à la composition.
L'œuvre est écrite en fa mineur comme le quintette de Brahms pour la même formation et témoigne tout au long de ses trois mouvements d'un langage harmonique avancé, faisant largement appel au chromatisme et proche de Liszt et Wagner. Comme dans d'autres compositions de Franck, un motif cyclique exposé à plusieurs reprises dans le premier mouvement reparaît ensuite, sous des formes et dans des contextes différents, dans le mouvement lent (p. 41)  – dont le motif initial annonce la célèbre sonate pour violon et piano de 1886 – puis dans le final (p. 69). La puissance de son lyrisme et ses accents dramatiques, que Liszt a jugés déplacés dans de la musique de chambre et qui ont conduit un Debussy à le qualifier de "paroxysme tout le temps", ont été attribués par certains auteurs à la passion que Franck aurait nourrie envers... Augusta Holmès, hypothèse dont fait justice Joël-Marie Fauquet, qui y verrait plutôt un reflet du chagrin causé par l'éloignement d'une autre élève du compositeur, Alice Sanches, à la suite de son mariage.

 

César Franck dédie son quintette à Camille Saint-Saëns, qui tient le piano lors de la première exécution salle Pleyel, le 17 janvier 1880, au cours d'un concert de la Société nationale de musique, avec le quatuor du violoniste liégeois Martin-Pierre Marsick, qui comprend également Guillaume Rémy, Louis Van Waefelghem et Richard Loys. Dans sa recension du concert pour Le Gaulois du 18 janvier 1880, Louis de Fourcaud – dont Franck mettra en musique le Nocturne qui figure également au programme du concert et dont la Bibliothèque-Musée de l'Opéra conserve un manuscrit autographe – trouve "de l'audace, de la puissance et une magistrale originalité" dans cet "admirable quintette", "composition sévère, solide, merveilleusement pure et de tout point hors ligne" qui l'a "surpris par sa nouveauté harmonique et son ample ordonnance", tandis que le critique anonyme de la Revue et gazette musicale de Paris du 25 janvier salue "une œuvre de grande envergure et de haut style, où s'accentue la nouvelle manière du compositeur, inaugurée avec Les Béatitudes" et relève que le mouvement lent a eu la préférence du public.
En a-t-il été de même pour son dédicataire et premier interprète ? En effet, Pierre de Bréville racontera plus tard comment, pour le récompenser d'une réduction d'orchestre jugée réussie – peut-être celle d'extraits des Béatitudes, aujourd'hui conservée au département de la Musique (cote MS-8705) –  Franck le conduisit "dans une petite pièce qui servait de serre aux plantes vertes de Mme Franck" et où se trouvait un meuble contenant ses manuscrits, et lui remit celui du quintette avec ce commentaire : "À la vérité, ce n'est pas le premier manuscrit, c'est la copie que j'en avais faite pour l'exécution. Je l'avais donnée à Saint-Saëns qui jouait la partie de piano et [...] j'avais écrit à la fin [...] : 'à mon bon ami Camille Saint-Saëns'. En quittant l'estrade, il la laissa sur le piano. Je la repris et, de grand cœur, je vous la donne. Vous... vous la conserverez." Il lui offrit également le manuscrit non orchestré des Variations symphoniques (MS-9442), dont l'envoi nous apprend que la scène a eu lieu à Quincy le 2 octobre 1885. Bréville conservera pieusement jusqu'à sa mort les deux manuscrits de son maître et les léguera à la Bibliothèque nationale. En revanche, le "premier manuscrit" du quintette auquel Franck fait allusion n'a pas été retrouvé – même si la BnF en possède une centaine, les manuscrits autographes de Franck sont aujourd'hui très dispersés et pour une part en mains privées.
 

Martin-Pierre Marsick. Photographie de Nadar. BnF, Estampes et photographie, FT 4-NA-238 (8)

Lors de la seconde exécution du quintette le 8 mai suivant, toujours avec le quatuor Marsick, ce n'est plus Saint-Saëns, mais Marie Poitevin qui tient la partie de piano. Franck lui dédiera plus tard le Prélude, choral et fugue. Le critique du Ménestrel (16 mai 1880), selon lequel il a été "supérieurement rendu", en loue "surtout la richesse de l'harmonie et l'ingénieux travail de combinaison des diverses parties" ; pour J. Weber dans Le Temps du 11 mai, "l'œuvre se distingue par la facture savante et les tendances élevées, plus que par l'originalité des idées".
 

 

Augusta Holmès, née à Paris d'un père irlandais, ne deviendra française que le 23 mars 1879. Filleule d'Alfred de Vigny, elle est douée de talents multiples – elle chante, joue du piano, compose, écrit elle-même les textes de ses œuvres vocales et peint. Fervente wagnérienne, elle assiste en 1869 à la générale de Rheingold (L’Or du Rhin) aux côtés de Liszt et publie dans Le Siècle un compte-rendu enthousiaste. Elle a vingt-deux ans et reçoit les encouragements de Wagner à poursuivre dans sa propre voie. Vers 1875, elle étudie auprès de Franck, qui comme Liszt la tient en haute estime. Elle restera proche de son maître et de sa famille et écrira quelques semaines après sa mort un poème en son honneur.
 

Augusta Holmès, À César Franck, 1890.

Seule des élèves féminines de Franck à avoir fait carrière comme compositrice – elle est choisie en 1889 pour composer une Ode triomphale en l'honneur du centenaire de la Révolution –, elle lègue ses manuscrits musicaux à la bibliothèque du Conservatoire, dont les collections sont transférés au département de la Musique en 1964. Parmi eux figurent les manuscrits autographes des mélodies La princesse sans cœur et La princesse Neige. Ses papiers seront donnés au département des Manuscrits par sa fille Hélyonne, épouse de l'écrivain Henri Barbusse. On y trouve entre autres le manuscrit du poème de La princesse sans cœur. Des autres mélodies interprétées lors du concert, le département de la Musique conserve les éditions originales reçues au dépôt légal.
 

Commentaires

Soumis par Christine Géliot le 28/05/2022

Bonjour
Bravo pour ce bel article sur César Frank. Je regrette simplement que vous ayez qualifié Augusta Holmès comme étant la seule élève féminine de César Frank ayant fait carrière comme compositrice: il y a aussi son élève Mel Bonis (Mélanie) a qui il a enseigné le piano et qui était auditrice de sa classe d'orgue. Elle a créé 300 œuvres de toutes sortes, a été publiée chez les grands éditeurs parisiens, a été jouée à la Société Nationale de musique, a été secrétaire de la Société des compositeurs. Et son œuvres est aujourd'hui consacrée comme l'une des toutes premières et des plus remarquables parmi les compositrices française.

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