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Le "Maître des nations" et ses contemporains français

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7 avril 2022

Gallica continue à accompagner les concerts de la Saison musicale européenne de la BnF. En prévision du concert du lundi 11 avril, nous vous présentons des manuscrits de sonates pour violon de Giuseppe Tartini (1692-1770).

Nature morte avec instruments de musique, Evaristo Baschenis (XVIIe siècle). BnF, département de la Musique, VM PHOT MIRI-18 (491)

Au Grand auditorium, ce lundi 11 avril, le Duo Tartini (David Plantier, violon, et Annabelle Luis, violoncelle) confrontera trois sonates de Giuseppe Tartini avec des oeuvres de plusieurs de ses contemporains.

À première vue, le choix de Giuseppe Tartini pour représenter l'Italie dans la saison musicale européenne peut sembler paradoxal. Certes, sa ville natale de Pirano se trouve aujourd'hui en Slovénie, mais lorsqu'il y voit le jour le 8 avril 1692 (il y a 330 ans, à un jour près !) elle appartient de longue date, et pour encore un siècle, à la République de Venise. Selon les frontières de l'époque, il a donc passé quasiment toute sa vie en Italie et principalement à Padoue, alors vénitienne comme sa ville natale. Il y est engagé en 1721 comme premier violon de l'orchestre de la basilique San Antonio (Cappella antoniana), poste qu'il conserve jusqu'à sa mort en 1770 : il ne s'absentera que pour un séjour à Prague de 1723 à 1726 en compagnie de son collègue, ami et peut-être biographe le violoncelliste et compositeur Antonio Vandini (1690-1778).

 

Antonio Vandini, Sonate en la mineur pour violoncelle et basse continue. BnF, département de la Musique, VM7-6285, fol. 13 r°

Malgré cette remarquable stabilité géographique, Tartini jouit d'une réputation internationale à la fois comme violoniste, compositeur et théoricien. L'école de violon et de composition qu'il fonde en 1727 ou 1728 sera surnommée "la scuola delle nazioni", car elle attire des étudiants, aussi bien professionnels qu'amateurs, de toute l'Europe. La plupart des compositions éditées de Tartini – il laisse surtout des sonates et concertos pour violon – paraissent à Amsterdam puis à Paris, à l'exception d'un recueil publié à Rome et d'un autre à Londres. Cependant, un grand nombre d'entre elles n'ont pas été imprimées de son vivant. Ses conceptions théoriques, souvent controversées, lui valent l'approbation de d'Alembert ou Jean-Jacques Rousseau, et son Traité des agréments de la musique est publié à Paris en traduction française un an après sa mort.
 

Claude-Louis Berthollet. Gravure d'Allais d'après André Dutertre. BnF, département des Cartes et Plans, SG PORTRAIT-10056

Les trois sonates jouées ce soir font partie d'un recueil factice regroupant 56 sonates – dont 9 autographes – et l'Arte dell'arco (38 variations sur une gavotte d'Arcangelo Corelli) de Tartini, ainsi qu'un catalogue thématique partiel de ses sonates et concertos. Ce catalogue rédigé par Giulio Meneghini (1741-1824), successeur de Tartini à la tête de la Cappella antoniana, nous apprend que les œuvres qui y figurent ont été remises à Claude-Louis Berthollet (1748-1822), un des commissaires chargés par le gouvernement de collecter au profit de la France des "monuments des sciences et arts" dans les territoires conquis pendant Campagne d'Italie de Bonaparte (1796-1797) – et par ailleurs chimiste de renom et gendre du harpiste et compositeur Jean Baur. Les manuscrits d'œuvres de Tartini ainsi rassemblés furent tout naturellement attribués à la bibliothèque du Conservatoire de musique créé à Paris en 1795. La plupart furent reliés dès les premières années du xixe siècle en quatre épais volumes – trois pour les concertos et un pour les sonates – cotés aujourd'hui MS-9793 à MS-9796. Pour une raison inconnue, deux concertos, une sonate autographe et un recueil de sonates en trio ne furent pas joints à ces recueils et ne furent reliés qu'au début du siècle suivant (MS-951).

 

À l'exception de Tartini lui-même (dix sonates autographes), de Meneghini, qui a copié plus de quarante concertos (dans MS-9795 et MS-951) et le recueil de sonates en trio (dans MS-951), et de Francesco Melato (actif entre 1740 et 1768), copiste d'une sonate (dans MS-9796), aucun des scripteurs n'a pu être identifié nominativement, mais il s'agit vraisemblablement de membres de la Cappella antoniana, comme l'étaient Meneghini et Melato – et naturellement Tartini. Les manuscrits sont difficiles à dater précisément, mais certains indices montrent que les copistes ont travaillé sur une longue période, certains – comme Melato – du vivant du compositeur, d'autres bien après sa mort.
 

Giuseppe Tartini, Sonate pour violon et basse continue en la majeur (B A4), 2e mouvement. BnF, département de la Musique, MS-9796 (23)

Ainsi, la mention du Cittadin – équivalent du Citoyen de la France révolutionnaire – Giuseppe Tartini dans des copies du célèbre Trille du diable ou de L'Arte dell'arco (MS-9796 (22) et (58)), toutes deux d'une même main, permet de les dater d'environ 1797. En revanche, les manuscrits de quatre autres sonates, attribuées par ce même copiste au Signor Giuseppe Tartini, ont probablement été réalisés antérieurement. L'une d'elles, la sonate en la majeur (no A4 du catalogue de Paul Brainard), figure au programme du concert. Une autre copie manuscrite, provenant aussi de la Cappella antoniana et aujourd'hui conservée à Berkeley, la décrit de façon assez énigmatique comme composée "sopra lo stile che suona il prete dalla chitarra portoghese" – une indication peut-être apocryphe, puisque l'œuvre semble dater de la "deuxième période" de Tartini (1730-1750), alors que la guitare portugaise – en fait une sorte de cistre – dérive de l'English guitar introduite au Portugal vers l'époque de la mort de Tartini.
 

Giuseppe Tartini, Sonate pour violon et basse continue en mineur (B d5), 5e mouvement. BnF, département de la Musique, MS-9796 (27)

Le copiste de la sonate en mineur (Brainard d5) a noté en tout huit sonates de notre recueil. Aucun indice ne permet de dater précisément son travail, mais l'absence de chiffrage dans la partie de basse – à l'instar du copiste précédent et au contraire des autographes de Tartini contenus dans le MS-9796 – suggère une date assez tardive ; la sonate elle-même a du reste été composée durant la dernière décennie de la vie du compositeur. Dans les deux derniers mouvements (Minuetto et Gavotta), la basse n'est notée que lors de l'exposition du thème et doit être répétée sans changements pour les variations.
 

Giuseppe Tartini, Sonate pour violon et basse continue en sol mineur (B g3), 2e mouvement. BnF, département de la Musique, MS-9796 (49)

Le dernier volume de concertos et celui des sonates contiennent aussi  des copies réalisées en France (3 concertos et 13 sonates), peut-être entrées dans les collections par les confiscations révolutionnaires. C'est le cas de la sonate en sol mineur (Brainard g3), dont le copiste non identifié se réfère toujours, dans les huit sonates de sa main qui figurent dans les recueils MS-9796 et MS-951, à des recueils imprimés qui lui ont probablement servi de modèle. Il s'agit ici de l'op. 7, no 5, publié à Paris en 1748.
 

Pierre La Houssaye. Gravure de Simon Miger d'après Jean-Michel Moreau le jeune. BnF, département de la Musique, Est. La Houssaye 1

Parmi les disciples français de Tartini, outre Joseph Touchemoulin qui fit toute sa carrière en Allemagn et les mystérieux Petit et Tremais dont on ignore même les prénoms, les plus connus sont Jean-Pierre Pagin (1723-1799) et Pierre La Houssaye (1735-1818), d'abord élève de Pagin avant d'étudier auprès de Tartini lui-même. La plupart de ses œuvres semble perdue, à l'exception d'un concerto manuscrit et des six sonates op. 1, dont une figure au programme du concert.
 

Jean-Marie Leclair. Gravure de Jean-Charles François, d'après Alexis Loir. BnF, département de la Musique, Est. Leclair J.-M. 002

Mais le legs de Tartini à la France ne se limite pas à ses publications parisiennes et à ses quelques disciples directs. Le département de la Musique conserve un important fonds provenant du grand violoniste Pierre Baillot (1771-1842), de son gendre Eugène Sauzay (1809-1901) et du fils de ce dernier, Julien Sauzay (1838-1909), où le nom de Tartini est présent à chaque génération. Baillot avait étudié avec un élève de Pietro Nardini (1722-1793), le plus célèbre des disciples de Tartini. Ce fonds Baillot comprend plusieurs concertos de Tartini sous forme imprimée ou de copies manuscrites ayant appartenu à Pierre Baillot, mais aussi des arrangements pour violon et piano par son petit-fils Julien Sauzay de mouvements isolés et même une Improvisation sur le Trille du diable de Tartini composée en 1894 par Eugène Sauzay et dont les épisodes –"Sommeil de Tartini", "Réveil", "Il se rendort", "Étonnement", "Essai du trille", "Souvenirs de la sonate" – font allusion à la légende entourant la composition de cette célèbre sonate, qui fut publiée pour la première fois à Paris en 1796 dans L'Art du violon de Jean-Baptiste Cartier (1765-1841), justement d'après un manuscrit appartenant à Baillot, que "son amour pour les belles productions de Tartini" avait décidé à le céder à Cartier.

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