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Patronnes dans le commerce

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15 avril 2021

Les femmes ont investi de longue date le commerce : vendeuses sur les marchés, commerçantes de détail, grandes négociantes… Découvrons trois femmes qui ont été patronnes dans le commerce entre le XVIe et le XIXe siècle : Madeleine Lartessuti, Marguerite Blakey et Marguerite Boucicaut.

Comptoir de ganterie au Bon Marché

Après avoir évoqué les « industrielles » dans nos précédents billets, intéressons-nous aux femmes qui ont fait des affaires dans le commerce, l’activité de vente de marchandises. Le commerce a été investi massivement par les femmes tout au long des siècles derniers : elles étaient par exemple nombreuses dans la vente au détail sur les marchés et la vente de produits des métiers non réglementés à l’époque moderne. Le statut de marchande publique, dans le droit coutumier puis dans le Code civil, permettait à une femme mariée d’exercer une activité commerciale distincte de son époux et de signer des contrats sans l’autorisation de ce dernier.

Dans ce billet, nous vous présentons trois patronnes qui représentent différentes formes du commerce à trois époques : Madeleine Lartessuti pour le commerce maritime du XVIe siècle, Marguerite Blakey pour le commerce de gros et de détail au XVIIIe siècle et Marguerite Boucicaut à l’âge des premiers grands magasins, au XIXe siècle.

Madeleine Lartessuti, dirigeante d’une compagnie de commerce maritime au XVIe siècle

Née vers 1478, Madeleine Lartessuti a une ascendance prestigieuse entre sa mère issue de la famille florentine des Médicis et son père, riche notable d'Avignon. Élevée dans le monde de la finance, elle est initiée aux affaires par son père. Elle épouse le seigneur Joachim de Sade en 1492, mais ils se séparent peu de temps après. Madeleine s'installe au début du XVIe siècle à Marseille, cité prospère grâce à l'importance de son port militaire et marchand. Elle se lance dans le négoce maritime en Méditerranée : sa fortune familiale lui permet d'acheter et d'affréter des navires. Madeleine s'associe en affaires avec son amant, Bertrand d'Ornézan, baron de Saint-Blancard, officier dans la marine. Tandis qu'il conduit des équipages à travers les mers et rapporte des marchandises, Madeleine se charge d'équiper et de ravitailler les navires, de veiller au paiement de la solde des marins, de vendre les marchandises, de tenir la comptabilité et de se faire payer.

Madeleine Lartessuti réussit dans les affaires commerciales grâce à ses compétences mais également à ses relations politiques. Les années 1520 voient éclater la sixième puis la septième guerre d'Italie, opposant Charles Quint à François Ier qui revendique le royaume de Naples et le duché de Milan. Ayant besoin de renforcer son armée, François Ier fait appel à Madeleine Lartessuti pour qu'elle lui envoie une galère.

Retranscription d’une lettre de François Ier à Madeleine Lartessuti en 1528

L'alliance qui se noue entre François Ier et le sultan ottoman Soliman Ier, à l'occasion des guerres contre la domination des Habsbourg en Europe, permet au commerce de trouver de nouveaux débouchés. Madeleine Lartessuti profite notamment d’un traité de 1536 – considéré par certains historiens comme le premier traité des capitulations et qui permet aux marchands français de bénéficier de tarifs douaniers avantageux – pour amplifier le commerce avec les ports ottomans sur la route du Levant, d'où ses navires rapportent des tapis, de la vaisselle, du café et des épices.

Marguerite Blakey, gérante du « Magasin anglais » au XVIIIe siècle

Marguerite Elisabeth Aumerle, née en 1727, fille et épouse de commerçants, suit une trajectoire d’autonomie croissante dans ses affaires. Elle travaille d'abord avec son époux, Guillaume Blakey, inventeur de bandages élastiques. Tandis qu'il dirige une manufacture à partir de 1759, elle vend les biens qui y sont produits dans un magasin à Paris. En 1762, Marguerite Blakey obtient une séparation de biens et ouvre sa propre boutique sous l'enseigne "Magasin anglais", rue des Prouvaires à Paris. Après une accusation de banqueroute frauduleuse qui la mène à son emprisonnement au Petit Châtelet, elle rouvre son "Magasin anglais" quai de la Mégisserie. Quincaillère, Marguerite Blakey importe des marchandises de toutes sortes d'Angleterre pour les revendre, aussi bien en gros qu’au détail et aussi bien à Paris que par correspondance, en province et à l’étranger.

Extrait d’une annonce parue dans L'Avant-coureur, 1768

Contrairement aux veuves, les femmes mariées n’ont pas la capacité juridique et doivent recourir à l'autorisation d'un tuteur, à savoir leur mari. Marguerite Blakey parvient cependant à gagner en autonomie dans la gestion de ses affaires par divers recours juridiques –  séparation de biens puis de corps d'avec son mari, procurations accordées par des marchands avec lesquels elle s'est associée, obtention du privilège royal… Sa bonne réputation due notamment à sa bonne tenue des affaires et à sa solvabilité et la constitution d’un réseau lui permettent par ailleurs de s’intégrer dans le milieu des affaires et d’asseoir sa légitimité.

Marguerite Boucicaut, cofondatrice du Bon marché, premier grand magasin au XIXe siècle

Marguerite Guérin naît d'une fille-mère pauvre, à Verjux en 1816. Elle s’installe très jeune à Paris pour travailler comme apprentie blanchisseuse. Ayant fait quelques économies, elle tient à son compte un bouillon, qui sert un plat unique aux employés et ouvriers du quartier, où elle rencontre son futur époux, Aristide Boucicaut, employé de magasin. En 1845, Aristide se fait embaucher au Bon Marché, une mercerie créée par les frères Videau. Les Boucicaut s'associent avec les frères Videau en 1853, avant de racheter leurs parts en 1863. Ils agrandissent progressivement la boutique en achetant les maisons voisines, pour finalement commencer dès 1869 la construction des bâtiments actuels dont la première pierre est posée par Marguerite Boucicaut.

Vue des bâtiments du Bon Marché vers 1875 dans Les magasins de nouveautés : histoire rétrospective et anecdotique de Paul Jarry

Aristide et Marguerite Boucicaut font preuve d'innovation, ce qui contribue au succès de leurs affaires : leur magasin offre un large choix de marchandises, présentées sur de nombreux rayons en libre accès et de façon attractive ; les clients – et en particulier les clientes, cible du Bon Marché – peuvent entrer et sortir librement ; les prix – abordables – sont fixes et affichés et ne sont pas négociés au moment de l’achat ; les produits peuvent être retournés s’ils n’apportent pas satisfaction ; la livraison à domicile est proposée ; des périodes promotionnelles sont instaurées comme la période du blanc en début d’année. C’est la naissance des grands magasins, racontée dans Au bonheur des dames d’Emile Zola qui s’inspire du Bon marché pour son roman.

Affiche pour le Bon marché, Georges Meunier, 1898

Grands philanthropes, les Boucicaut prennent soin de leurs 2000 à 3000 salariés : ces derniers bénéficient d'un intéressement à la vente et peuvent gravir les échelons au mérite, ils peuvent être logés sur place, ont accès à un réfectoire, à des cours gratuits ainsi qu’à un service médical et à une caisse de prévoyance. À la mort d'Aristide en 1877, Marguerite Boucicaut reprend l'entreprise qu'elle gère jusqu'à sa mort. En 1880, elle décide d'intéresser financièrement un certain nombre de cadres qui deviennent ses associés et en 1886, elle crée avec sa fortune personnelle une caisse de retraite pour ses employés.
Lorsqu'elle meurt, elle lègue sa fortune par testament à ses employés et à des œuvres de charité, notamment à l’Institut Pasteur dont elle avait financé en grande partie la création. C’est d’ailleurs plus comme une philanthrope que comme une entrepreneuse qu’elle est retenue par la postérité, qui lui rend divers hommages et la considère comme une « grande Française ».
 

Portrait de Marguerite Boucicaut par William Bouguereau, 1875

De nombreuses femmes, parfois méconnues, ont réussi dans le commerce, parmi lesquelles Marie Boucher, négociante dans le commerce maritime au XVIIe siècle, Jeanne Couillaud, marchande de poissons au XVIIe siècle, Rose Bertin, marchande de modes à la tête d’une trentaine d’ouvrières dans son magasin « Au Grand Mogol » au XVIIIe siècle, Marie-Louise Jaÿ, cofondatrice de La Samaritaine avec son époux Ernest Cognacq au XIXe siècle. Elles font l’objet de travaux récents sur l’histoire de l’entrepreneuriat féminin.
 

Pour aller plus loin

CRAIG Béatrice, Les femmes et le monde des affaires depuis 1500, Québec : Presses de l’Université Laval, 2019 (consultable sur Cyberlibris/Scholarvox)
DEJARDIN Camille, Madame Blakey, une femme entrepreneure au XVIIIème siècle, Rennes : Presses universitaires de Rennes, 2019
RIGOLLET Catherine, Les conquérantes : du Moyen-Âge au XXème siècle, ces femmes méconnues qui, en France, firent prospérer des empires, Paris : NiL, 1996 (consultable sur Gallica intra muros)
DUFOURNAUD Nicole, MICHON Bernard. Les femmes et le commerce maritime à Nantes (1660-1740) : un rôle largement méconnu. In : Clio. Histoire‚ femmes et sociétés, 23 | 2006 (consultable sur OpenEdition)
DUFOURNAUD Nicole, Les femmes au travail dans les villes de Bretagne aux XVIe et XVIIe siècles : approches méthodologiques. In : Annales de Bretagne et des Pays de l’Ouest, 114-3 | 2007 (consultable sur OpenEdition)

Sélection "Sources pour l'histoire des entreprises" dans les "Essentiels de l'économie"

Dans la série « Femmes entrepreneuses » :

Billet rédigé dans le cadre du Forum Génération Egalité
Voir tous les billets de la série

 

 

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