Que toute femme choisisse elle-même sa destinée ! Le droit à l'avortement avant la loi Veil
Il y a 46 ans, le 17 janvier 1975, La loi Veil relative à l’interruption volontaire de grossesse est promulguée en France. Ce nouveau cadre juridique permet alors aux femmes de disposer librement de leur corps. Mais qu’en était-il avant ? Retour sur l'histoire de l'avortement à travers les ressources de Gallica.

Aux sources d’une interdiction : l’article 317 du Code pénal de 1810
Bien que de nombreuses études insistent sur le rôle majeur des lois votées durant la décennie 1920 dans la condamnation des pratiques abortives, c’est en fait l’article 317 du Code pénal de 1810 qui régit l’interdiction d’interrompre volontairement une grossesse.
317. Quiconque, par aliments, breuvages, médicaments, violences, ou par tout autre moyen, aura procuré l’avortement d’une femme enceinte, soit qu’elle y ait consenti ou non, sera puni de la réclusion. La même peine sera prononcée contre la femme qui se sera procuré l’avortement à elle-même, ou qui aura consenti à faire usage des moyens à elle indiqués ou administrés à cet effet, si l’avortement s’en est ensuivi. Les médecins, chirurgiens, et autres officiers de santé, ainsi que les pharmaciens qui auront indiqué ou administré ces moyens, seront condamnés à la peine des travaux forcés à temps dans le cas où l’avortement aurait eu lieu.
Débats pour une reconnaissance thérapeutique
C’est finalement en 1852, après plusieurs années de discussions, que l’Académie reconnaîtra enfin le droit à l’IVG thérapeutique. Mais qu’en est-il alors de l’avortement pour le seul motif que la grossesse n’était pas désirée ?
Avortement et dépopulation : crime antinational ou droit fondamental ?
A contrario, dans l’article liminaire de La Dépêche du 2 janvier 1911, le docteur Toulouse considère que la naissance est le facteur déterminant la vie. Il conclut ainsi : « la mère en se faisant avorter ne commet donc pas un crime à l’égard de son enfant en germe, bien que l’acte soit blessant à l’égard de la morale collective actuelle ». Cependant, contrairement aux néo-malthusiens et aux féministes, le docteur Toulouse reconnaît que la gestation est une obligation d’utilité générale pour les femmes qui serait symétrique à l’obligation militaire de l’homme, excepté en cas d’inaptitude à la maternité. Il remet alors la décision entre les mains du médecin, qui, selon lui, serait le seul compétent pour « délivrer prématurément une femme dont la vie est mise en péril par une grossesse vicieuse ». Dans ces conditions, le dernier recours qui s’offre aux femmes souhaitant interrompre leur grossesse sans raison médicale est d’agir en dehors du cadre légal.
Des pratiques clandestines : médicaments abortifs et « faiseuses d’anges »
Au 19e siècle, la presse a un remède pour tous les maux. Il n’est donc pas étonnant de retrouver à la fin des journaux, et en particulier dans la presse féminine, de nombreuses publicités vantant les propriétés de médicaments miracles censés régler « les retards et suppressions des époques ». « Les perles magiques » ou autres pilules et potions abortives garantissent ainsi ce que la loi interdit : une interruption de grossesse indolore et rapide.
Outre ces méthodes dont l’efficacité semble douteuse, le journal relaie d’autres offres. Alors que la première page du Matin du 26 décembre 1910 médiatise l’indignation de l’Académie de médecine qui s’insurge contre l’avortement, la page 6, réservée à la réclame et aux publicités, foisonne de petites annonces de sages-femmes proposant, de manière à peine dissimulée, leurs services pour des IVG clandestines. Le journal tient donc un double discours qui traduit l’hypocrisie sournoise du corps politique et médical. Les substantifs « discrétion », ou encore « confidente et amie » apparaissent comme des noms de code garantissant le secret de la démarche tandis que la mention « spécialiste » sans complément fait montre d’une certaine expérience dans le domaine de l’avortement illégal.
Mais toutes celles qui proposent leurs services ne sont pas médecins. En effet, l’IVG clandestine se révèle être un business florissant dont se saisissent celles que l’on appelait « les faiseuses d’anges » ou encore les « tricoteuses » (car elles se servaient souvent d’aiguilles à tricoter pour percer la poche amniotique).
Bien que rentable, cette activité n’est pas sans risque pour les praticiens – qui pouvaient également être des hommes -, comme le montrent les nombreux procès et condamnations dont fait part la presse. L’un des plus spectaculaires est celui de Marie-Constance Thomas surnommée « Mort-aux-gosses » ou encore « l’avorteuse des Batignolles » et condamnée en 1891 à douze ans de travaux forcés pour avoir fait avorter « près de quatre cents jeunes femmes, en l’espace de dix mois » - voire quatre mille selon les aveux rapportés par La Lanterne.
Les sanctions encourues peuvent être encore plus lourdes et aller jusqu’à la peine de mort, comme cela sera le cas en 1943, après plusieurs durcissements des lois durant l’entre-deux-guerres.
Du renforcement des restrictions à la libéralisation
Suite à l’affaire des Batignolles, le corps politique décide d’agir contre l’avortement illégal. De nombreux projets germent et finissent par aboutir après la Première Guerre mondiale qui interrompt les discussions sur la question. Alors que la loi du 31 juillet 1920 condamne les provocations à l’avortement, les annonces de sages-femmes ou encore les publicités pour les remèdes réputés abortifs, celle du 27 mars 1923 transforme l’avortement en délit afin qu’il soit plus facile à réprimer. Dans les années 1930, en parallèle de mouvements tels que le birth control, le Parti communiste français réclame la légalisation de l’avortement avant d’adopter, dans la deuxième moitié de la décennie, une position plus vague, proche de la doctrine nataliste, comme le montre l’article de l’Humanité du 31 décembre 1935 intitulé « Au secours de la famille. Réprimer c’est dépeupler » qui se prononce contre les lois répressives de 1920 et 1923 sans pour autant défendre clairement le droit à l’avortement.
« C’est parce que nous sommes opposés comme l’était Lénine, à la fois au “néo-malthusianisme érigé en doctrine sociale” et à la pratique toujours dangereuse de l’avortement rendue plus dangereuse encore par la clandestinité que nous sommes pour l’abrogation des lois inopérantes et criminelles du 31 juillet 1920 de l’article 317 du Code pénal et des lois des 23 avril 1832 et 27 mars 1923 qui répriment l’un et l’autre. »
À partir de 1939, la répression se poursuit avec la promulgation du « code de la famille » et s’accentue encore sous le gouvernement du Maréchal Pétain en 1940. En effet, en 1942, l’avortement peut être reconnu comme crime contre la famille et ainsi être jugé par le Tribunal d’État. Dans ce cas, les accusés encourent des sanctions pouvant aller de cinq ans de prison à la peine de mort. C’est de la peine maximale qu’écope Marie-Louise Giraud, faiseuse d’anges de Cherbourg exécutée le 30 juillet 1943 pour avoir pratiqué 26 avortements illégaux. Contrairement aux procès-monstres du 19e siècle, l’affaire ne fait pas les gros titres - seulement une dizaine d’articles s’intéressent au cas de l’avorteuse - et c’est dans un silence assourdissant qu’est guillotinée Marie-Louise Giraud.
Affiche de propagande de l'Alliance Nationale contre la dépopulation, 1940 / Bibliothèque Marguerite Durand
Si les lois de Vichy relatives à la répression de l’avortement sont abrogées dès 1944, il faudra attendre les années 1960 pour que le tabou commence à être levé, en même temps que la libéralisation de la contraception. La parole est enfin donnée aux principales concernées qui osent désormais relater leurs douloureuses expériences. La lutte est alors en marche avec des prises de positions radicales du Mouvement de libération des femmes et la publication de pétitions dans la presse dont la plus célèbre est certainement « Le Manifeste des 343 ». Ce texte, rédigé par Simone de Beauvoir et paru dans Le Nouvel observateur du 5 avril 1971, rassemble les signatures de Françaises (dont plusieurs célébrités) avouant avoir eu recours illégalement à l’avortement. Ce manifeste ouvre ainsi la voie à Simone Veil, nommée par Valery Giscard d’Estaing, qui portera le projet de loi sur la dépénalisation de l’avortement devant l’Assemblée. Validée par le Sénat, puis approuvée par le conseil constitutionnel, la loi Veil sera promulguée le 17 janvier 1975, mettant fin à la bataille.
Ainsi, avant Simone Veil, plusieurs femmes se sont engagées pour que le droit à l'avortement. En voici quelques-unes :
Séverine (1855-1929)
Première femme à diriger un grand quotidien et collaboratrice régulière de La Fronde de Marguerite Durand, Séverine défend également le droit à l'avortement. Dans un article signé du pseudonyme « Jacqueline » paru à la Une du Gil Blas le 4 novembre 1890, la journaliste justifie l’avortement par les pressions qu’exerce la société sur les femmes. Elle y défend la position suivante : "L'avortement est un malheur, une fatalité – pas un crime".
Madeleine Pelletier (1874-1939)
Première femme médecin aliéniste, Madeleine Pelletier s’habille en homme et revendique des idées extrêmement modernes. Sa lutte pour le droit des femmes à la libre maternité lui vaudra d’être dénoncée pour avoir pratiqué des avortements. Elle sera arrêtée et internée en hôpital psychiatrique.
Figure majeure de la lutte pour le droit à la contraception, à l’avortement et la libre maternité toutes classes sociales confondues, Nelly Roussel s’oppose à de nombreuses reprises à l’article 317 qu’elle juge « anachronique » et « monstrueux ». C’est l’une des premières en Europe à revendiquer le droit des femmes à disposer de leur corps.
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Nejma Omari
Enseignante et doctorante à l'Université Montpellier 3, Nejma Omari travaille sur les rapports entre presse et littérature au XIXe et XXe siècle.
Commentaires
Avortement Gallica
Remarquable.....
Article sur l'IVG
Bonjour, est-ce qu'on peut télécharger l'article sur l'IVG en format Word ou Pdf? Merci d'avance.
Impression
Bonjour,
Merci pour votre commentaire.
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Bien cordialement,
Merci pour cet article fort
Merci pour cet article fort intéressant.
Bravo bel article
J'ai appris beaucoup de choses en lisant cet article.
Et j'ai aussi mieux compris certaines remarques de ma mère qui née en 1940.
Merci.
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