Les boîtes scolaires : supports pédagogiques du Jardin colonial
Qu’est-ce que les boîtes scolaires ? Quelles curiosités et quel rapport au savoir-faire renferment-elles ? Quelle est leur histoire et continue-t-elle d’exister aujourd’hui ? Ce premier article d’une série de trois présente ce matériel éducatif et ce qui était transmis à travers lui.
Que sont les boîtes scolaires ?
Les boîtes scolaires, préparées au début du 20e siècle par les botanistes du Jardin colonial de Nogent sur Marne, étaient des sortes de vitrines de taille réduite, mesurant environ 50 cm par 30 cm pour une épaisseur de 5 cm. Réalisées en plusieurs exemplaires au même format, elles étaient composées d’un cadre en bois, fermées par un couvercle de verre et tapissées de papier. Le Jardin colonial les distribuait aux lycées et aux écoles primaires, à destination du corps enseignant en histoire naturelle.
Conçues pour être présentées à plat sur un support ou accrochées à un mur, elles contenaient des échantillons des principales plantes exploitées dans les colonies françaises et de la documentation les concernant. Leur composition était décidée par Jean-Thadée Dybowski (directeur du Jardin colonial à sa création), Emile Prudhomme (directeur du Jardin colonial à partir de 1909) et A. Sauvanet. Dans les boîtes scolaires étaient donc disposés avec soin divers documents, dont des photographies. Ces documents détaillaient les phases de culture de la plante, ses différents usages et des reproductions de scènes caractéristiques de l’agriculture coloniale. On y retrouvait des images d’ouvriers dits "indigènes" travaillant à semer, récolter ou entretenir les plantes dans des jardins d’essais, des images des parties de la plante les plus utilisées. Se trouvaient également graines, feuilles, fleurs et produits manufacturés destinés à la consommation sous forme d’échantillons étiquetés dans des bocaux dont le format était déterminé par le Jardin colonial. A titre d’exemple, la boîte scolaire du manioc est une des rares boîtes encore conservées dans laquelle on peut voir une photographie des racines du manioc.
Les boîtes scolaires, faisant partie des "collections mises en distribution" par le Jardin colonial, contenaient donc les plantes dites "utiles" (ou "indigènes") répertoriées au nombre de trente en 1929. Elles sont considérées comme de "principaux produits présentant un réel intérêt" selon Emile Prudhomme, dans son rapport sur le Jardin colonial, en 1912.
Au cours du 20e siècle, les serres du Jardin colonial étant saturées de plantes indéterminées, le personnel manquant et la nécessité de réaliser des économies se faisant sentir, l'administration fit un grand tri dans les espèces, ne sauvegardant que celles utiles et envoyant les autres dans des établissements scientifiques s'occupant de plantes tropicales. Ces espèces utiles étaient les plantes considérées comme des matières premières nécessaires à l'alimentation, à l'industrie et au commerce, c'est-à-dire celles générant le meilleur rendement pour l'empire colonial. Aux 19e et 20e siècles, leur culture a donc un impact direct sur l'économie de l'empire français. Au Jardin, elles sont multipliées, distribuées et expédiées aux colonies où des climats plus favorables en facilitaient la culture. Cinq d’entre elles, le cacao, le café, le manioc, le riz et le coton ont été préparées et distribuées en série sous forme de boîtes scolaires.
Un bel objet botanique au service d’un sentiment esthétique
La production de formes spécifiques reste historiquement liée à la pratique de la botanique de terrain. La boîte scolaire, comme tout outil pédagogique en sciences naturelles utilisé au 20e siècle par les professeurs en la matière, est à visée autant esthétique que pédagogique. On prend soin de donner envie aux élèves en essayant de stimuler leur curiosité à travers des formats plaisants. (C’est le cas par exemple des gravures qu’Emile Prudhomme insère dans son ouvrage "Plantes utiles des pays chauds").
Les échantillons que contiennent les boîtes scolaires donnent à ce que l’on voit un caractère spécial, unique alors même qu’elles sont produites en série. A l’intérieur de la boîte scolaire du coton, se trouve une étiquette indiquant le nom de l’espèce, la famille de la plante (Malvacées), et des graines, fleurs et bouton floral étiquetés et légendés. Certains éléments sont dédiés à l’emploi et aux produits dérivés (tubes de verre contenant des huiles de coton avec des étiquettes indiquant leur emploi, échantillon de tissu pour l’usage en broderie..). On retrouve également une vue d’ensemble, un grand angle où la plante est montrée dans son contexte de culture, et une carte postale d’un champ de cotonniers.
Tout comme bien d’autres modes de représentation d’espèces botaniques, la boîte fonctionne alors comme un agencement de signes, de couleurs, matières, et légendes dont l’emplacement et la nature ont vocation à représenter. C’est en cela que les outils de vulgarisation botanique mettent en lumière un sentiment esthétique lié à la botanique, une volonté de produire une forme allant au-delà d’un geste de restitution de la donnée scientifique.
Ce qui est intéressant, c’est que dans le savoir-faire technique botanique, un rapport sensible à la matière est entretenu, mais il n’est pas innocent. La beauté de l’objet témoigne donc autant du soin esthétique que revêt la pratique de la botanique, du soin porté aux végétaux, que du contexte duquel il est issu : un système extractiviste de domination coloniale. On met en scène la sélection, la conservation, l’enfermement dans un but précis. L’aspect attrayant de l’objet alimente un arrangement des consciences face aux conséquences des gestes botaniques et à la responsabilité de l’empire français. Le bel objet est alors à double tranchant : il vient masquer le contexte duquel s’ancre ce rapport sensible à la botanique. Nous verrons, dans un deuxième article, en quoi les boîtes scolaires témoignent d’un tournant historique en matière de botanique.
Pour aller plus loin
- Photothèque du patrimoine, Région Bretagne (collections pédagogiques du lycée Émile-Zola de Rennes) : boîtes scolaires sur le manioc, le café et le riz
- Série sur le Jardin colonial de Nogent-sur-Marne
Commentaires
Merci !
Super article ! Merci beaucoup de l'avoir publié
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