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Zoonoses ou les liaisons dangereuses : paludisme et chikungunya

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Les moustiques, ces petits diptères ailés, peuvent occasionner de graves maladies. Le paludisme et le chikungunya allongent la longue liste des pathologies infectieuses provoquant des fièvres aux multiples caractéristiques.
Rencontre peu sympathique avec les anophèles et les aedes.

Moustique sur le point de piquer un dormeur

Le paludisme

C’est une maladie parasitaire. Si elle se manifeste généralement par des symptômes semblables à ceux de la grippe, elle peut aussi entraîner des complications graves voire le décès des malades. Le paludisme se traduit par une sensation de froid intense, de violents frissons, puis de forte chaleur avec maux de tête et vomissements.
Certains auteurs évoquent même des troubles nerveux. Ces névroses se traduiraient par une inquiétude et une grande susceptibilité chez les malades atteints.
Malgré l’évidence des symptômes, un médecin a démenti l’existence de la maladie. En 1933, ce « brave homme », président de la commission des réformes, déclare à propos de dossiers d’anciens combattants d’Orient :

« Le paludisme, mais ça « n'existe pas ! Ça disparaît ! Tous ces gens-là « n'ont rien ! Ils exagèrent !! »

La pathologie existe bel et bien. Cette maladie à transmission vectorielle frappe surtout les personnes habitant au voisinage des marais (palus en latin), des étangs et des eaux stagnantes. Elle porte également le nom de malaria, mot italien signifiant mauvais air.
Elle est transmise à l’homme par l’anophèle, un moustique porteur du parasite du paludisme, un hématozoaire du genre Plasmodium. Il existe cinq espèces de parasites responsables du paludisme chez l’homme. P. falciparum et P. vivax sont les espèces les plus dangereuses.
Seules les femelles piquent, le plus souvent à la tombée de la nuit.

[Illustrations de Le tour du monde en 80 visas] / Jean sennep, dess. ; Pierre Macaigne – 1959

On reconnait ce moustique grâce à deux caractéristiques bien spécifiques. Il se tient incliné, la tête penchée vers le sol et l’abdomen « en l’air ». On distingue la présence de discrètes « écailles » noires et blanches sur ses ailes.

Anophèles. In : Petit manuel du paludisme / Louis Parrot. 1911

Il suce le sang à l'aide de sa trompe qu’il porte au-devant de la tête. Celle-ci est creuse et renferme de fines aiguilles avec lesquelles le moustique pique puis perce la peau de la personne. Il introduira alors les parasites, s’il en est porteur.
Ses zones de prédilection ont toutes ces points communs : chaleur, humidité, effluves.
Les écrits sur les fièvres palustres remontent au moins au 1er siècle avant JC. En effet, des auteurs aux profils très différents comme  Varron (Marcus Terentius Varro, écrivain, savant et magistrat romain), Columelle (Lucius Iunius Moderatus Columella, agronome romain), Caton (homme politique romain) ou encore Vitruve (Marcus Vitruvius Pollio, architecte romain) écrivent sur le sujet ou évoquent la dangerosité de certaines exhalations.
Au début du XVIIIème siècle, Giovanni Maria Lancisi, médecin du pape Clément VII et clinicien italien, admet que les piqûres des moustiques pouvaient être un des véhicules de l'infection palustre.
Si Patrick Manson, médecin britannique, établit, en 1878 alors qu'il est en chine, le rôle des moustiques dans une affection humaine, c’est  Alfonse Laveran, médecin militaire à Constantine, qui découvre en 1880 le parasite.

Alphonse Laveran chassant les moustiques vecteurs de paludisme / Dessin signé Moloch. Vers 1908

« L'hématozoaire de Laveran » n'a ni tête, ni pattes, ni queue. Son corps a la forme d'un cercle irrégulier, au centre duquel se trouve un élément arrondi qu'on appelle le noyau. Il se multiplie dans le sang en se divisant .

Petit manuel du paludisme / par le Dr L-M. Parrot. 1911

En 1897, s'appuyant sur les travaux de Manson et Laveran, Ronald Ross, bactériologiste et entomologiste britannique, identifie le parasite responsable du paludisme dans les intestins de moustiques disséqués. Un an plus tard, il découvre que celui-ci est stocké dans la glande salivaire du moustique et libéré par la piqûre. Il établira le cycle de vie complet du parasite.

De toutes les maladies infectieuses, le paludisme est certainement celle qui occupe la plus vaste étendue à la surface du globe. Elle sévit sous forme endémique dans de nombreuses régions, en augmentant de fréquence et de gravité à mesure qu'on descend des pôles vers l'équateur.
L’anophèle plasmodium est présent en Afrique tropicale, subtropicale, le continent apparaissant comme le continent le plus touché avec 90 % des cas recensés.

Service géographique des colonies. 1897

Louis-Hermand-Octave Guibert, docteur en médecine, précise que l’infection est commune sur les côtes d'Afrique, en Algérie, au Sénégal, à Madagascar, à l'île de la Réunion, à l'île Maurice, faisant autant de ravages que la tuberculose en Europe. En Amérique, toute la zone tropicale est infectée. L’Asie du Sud-Est, les Indes, où la mortalité par les fièvres paludéennes compte 40% dans la mortalité générale, le Moyen-Orient et les Caraïbes sont également touchés.
L’Europe n’est pas épargnée et l'auteur cite quelques statistiques publiées par le Professeur Georges Dieulafoy, titulaire de la chaire de pathologie interne à la faculté de médecine de Paris, président de l'Académie nationale de médecine.
 « A Bordeaux, en 18o5, on dessèche en été le marais de la Chartreuse, contigu à la ville ; 12 000 habitants sont pris de fièvres palustres et 3 ooo succombent. A Paris, en 1811, on creuse le canal Saint-Martin : les quartiers du Temple, de La Villette, de Pantin payent aussitôt au paludisme un lourd tribut. […] ».
Jusqu’en 1870, le paludisme règne en maître en Puisaye. Les habitants « ont les fièvres » (c'est l'expression consacrée de la région) et on va trouver le médecin pour « se les faire couper », en attendant qu'elles ne recommencent ce qui ne tarde généralement pas. Les cas ont ensuite diminué sans pouvoir identifier les causes réelles de ce recul.

L’anophèle, une arme de guerre ?

« Le plus grand désastre que l'histoire ait enregistré est certainement l'anéantissement de l'armée anglaise à Walcheren, en 1809. Napoléon ordonna à ses généraux  d’y  retenir l'ennemi. Ainsi, sans livrer de combat, le paludisme fit chez les Anglais des ravages et 27000 soldats périrent ou occupèrent les hôpitaux ».

La prévention reste le meilleur moyen de se prémunir de la maladie et la littérature vante plusieurs remèdes prophylaxiques.
L'ouvrage Mémoire [...] sur la question proposée en ces termes "déterminer par l'observation quelles sont les maladies qui résultent des émanations des eaux stagnantes et des pays marécageux... par M. Baumes, précise quelques  précautions à prendre pour éviter toute contamination : se mettre du camphre dans la bouche, celui-ci pouvant même être porté en amulette, s’en imprégner les vêtements ; imbiber des éponges de vin ou de vinaigre ; se couvrir un peu plus que de coutume lorsqu'on passe d'un lieu sec dans un endroit marécageux ; se garder de coucher dans une chambre dont les fenêtres sont ouvertes pendant la nuit.
La quinine, une poudre blanche très amère extraite de l’écorce de quinquina, arbre originaire d’Amérique latine, soulage les malades. Si son usage est très ancien, il devient courant dans la seconde moitié du XIXe siècle.
Un médecin italien du XIXème siècle, Conrad Tommasi-Crudeli, met en avant l'efficacité de l'arsenic, un remède héroïque, qu'il administre en pastilles, traitement qui peut être suivi sans danger, dit-il, pendant trois ou quatre mois avec de courtes interruptions.
Avec le développement des voyages, la chimioprophylaxie est recommandée aux voyageurs. La revue Intrado  destinée au personnel d'Air France précise la posologie de chloroquine, un substitut synthétique de la quinine, pour se prémunir du paludisme.

Le paludisme... un risque sérieux. In : Intrado, juillet 1980

Mais la suppression des gîtes larvaires vivant dans les eaux stagnantes reste une priorité. Il s’agit de modifier les habitats des moustiques pour empêcher leur reproduction

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Larve de moustique flottant à la surface de l'eau. In : Automobilia, août 1917

Plusieurs techniques sont utilisées telles que le drainage des eaux de surface, le comblement de mares ou de fossés et même l’utilisation de pétrole dans les marais lorsque ceux-ci sont très étendus.

Travaux de comblement des marais d’Ismaïlia. In : Le Paludisme et les moustiques / André Pressat. 1905

À partir de la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle ère commence. L'usage des insecticides se développe. Le DDT devient alors le plus utilisé dans les champs, les maisons pour lutter contre le fléau.

Néocide DDT, la terreur des moustiques. Geigy : [affiche]. 1952

Cependant, dès les années 1970, il sera interdit dans la plupart des pays en raison de son impact environnemental et sanitaire. Par ailleurs, l’usage intensif des insecticides entraînera chez les moustiques des résistances, notamment au DDT.

Au début du XXème siècle, la sensibilisation des populations se développe. Ainsi, des manuels expliquant les dangers du paludisme sont édités,  des articles paraissent, mettant en garde les familles. Ils recommandent des accouchements dans les maternités, plutôt qu’en brousse, qui offrent un meilleur suivi de la mère et du nouveau-né, ce dernier bénéficiant alors de moustiquaire, un moyen imparable pour lutter contre les piqûres.

Mères malgaches, si vous tenez à la santé et à l’existence de vos enfants, suivez très exactement ces conseils…

Peu après, des projets collaboratifs voient le jour dans plusieurs pays impactés par la maladie. Ainsi, en 2005, au Bénin, le sud du pays étant la zone la plus humide du pays et donc la plus exposée, des actions de sensibilisation sont organisées par les autorités locales en cohérence avec les programmes menés par des organisations internationales (Organisation mondiale de la santé - OMS -, Fonds des Nations unies pour l'enfance -UNICEF-…) et nationales (Organisations non gouvernementales -ONG-, ministère de la Santé…).

S’unir pour lutter contre le paludisme, c’est promouvoir un avenir meilleur.

En 2000, seulement 2 % de la population exposée au risque de paludisme en Afrique est protégée par des moustiquaires imprégnées. La transmission du paludisme est active dans 106 pays et territoires. Au niveau mondial, le nombre de cas est estimé à 262 millions, la mortalité associée s’élevant à 839 000 décès par an.
La même année, en septembre, les chefs d'Etat et de gouvernement s’engagent alors à réaliser huit objectifs du Millénaire pour le Développement. Parmi eux figure le paludisme :

Soleil d'Afrique / Secours Populaire Français. 2001

Aujourd’hui, un traitement par voie orale ou injectable est utilisé. A base d’artémisinine, le principe actif extrait de la plante Artemisia annua, il est associé à la luméfantrine ou à la pipéraquine, afin d'en accroître les effets.
Un vaccin est à l’étude : le RTS,S. Depuis 2018, une campagne pilote est en cours dans plusieurs pays d’Afrique dont le Malawi, le Ghana et le Kenya. Selon l'OMS, le vaccin a des effets positifs.

Le chikungunya

Lors d’une conférence intitulée De la rage au chikungunya, Maxime Schwarz, biologiste directeur général de l’Institut Pasteur, fait le point sur l’épidémie de Chikungunya qui a sévi sur l’île de la Réunion dès 2005 où elle a touché 212 000 personnes  et provoqué 148 décès directs ou indirects jusqu’en avril 2006.

Urgence / La Réunion : douloureuse épidémie de chikungunya

La Réunion / Paul Hermann. 2001

En 2006, en région Provence-Côte d'Azur, les Alphavirus  du chikungunya et de la dengue ont été identifiés chez des sujets qui n'avaient jamais quitté la France.
Le Chikungunya est une maladie infectieuse virale transmise par des moustiques du genre Aedes, albopictus et aegypti, porteurs d’Alphavirus, un arbovirus de la famille des Togavirida, responsable de la maladie.
Le nom d'origine bantoue signifie la maladie de l'homme courbé. Elle provoque en effet  de fortes douleurs articulaires, des céphalées.

Répartition mondiale d'Aedes albopictus. In : Bulletin mensuel de l'Académie des sciences et lettres de Montpellier, 19/11/2019

C’est en 1953 que la présence de moustiques de l’espèce Aedes est signalée en Afrique de l’Ouest. Tout comme le paludisme, seules les femelles transmettent la maladie et la saison des pluies favorise la création de gîtes larvaires propices au développement du moustique.
Bernard Meunier, membre de l’Institut, explique dans un article intitulé Les produits chimiques : comment passer de l’anxiété à la raison ?  qu’en l’absence de médicaments efficaces, la lutte contre ce virus passe, dès 1950, par la démoustication au DDT, produit qui sera par la suite remplacé par les organophosphorés.  De nombreuses et longues discussions ont lieu sur le choix des insecticides. Certains chercheurs ont alors critiqué la frilosité des autorités.

Ne faut-il pas considérer que la référence abusive au principe de précaution, avec l'absence de décision des autorités ligotées par ce même principe, a contribué au décès de plus de 180 personnes ?

L'Académie des Sciences émet un avis défavorable quant à l'inscription du principe de précaution dans la Constitution française, afin de ne pas paralyser les prises de décisions.
Le virus est scruté.
« […] nous savons que le virus en cause est susceptible de subir des mutations facilitant sa transmissibilité »
Mais à l’heure actuelle, il n’existe ni  médicament antiviral spécifique contre le chikungunya, ni vaccin. Plusieurs stratégies vaccinales sont à l’étude, certaines faisant l’objet d’essais cliniques à différents stades. Les traditionnelles opérations de démoustication, à savoir la destruction des œufs et des larvaires, sont donc toujours d’actualité.
 A l’heure du changement climatique et de la mondialisation des échanges, les maladies vectorielles ont tendance à s’étendre au-delà  de leurs zones géographiques jusqu’ici habituelles. Ainsi, le moustique tigre, transmetteur des virus du chikungunya, de la dengue et du zika s’invite ces dernières années notamment en France. La prudence reste de mise.

Pour en savoir plus sur les zoonoses :

Les billets de blog sur les zoonoses
Covid, Zika, Ebola, Grippe A.... : l'émergence des zoonoses
La quinine et le quinquina
 

Pour aller plus loin :

1) Le paludisme :

- Paludisme : Une maladie parasitaire essentiellement transmise par le moustique / INSERM. Mise à jour avril 2021
- Fiche maladie : le paludisme / Institut Pasteur. Mise à jour avril 2021
- Rapport 2020 sur la paludisme dans le monde / Organisation mondiale de la santé
- En Afrique, le paludisme de plus en plus résistant aux traitements. Source : lemonde.fr. 14/04/2021
- Paysages du grand domaine et normes agronomiques de Caton à Pline l’Ancien : Représentations de l’espace et ”bonne mesure / Marie-Pierre Zannier. Université du Maine, 2007

2) Le chikungunya :

- Fiche maladie : le chikungunya / Institut Pasteur. Mise à jour 27/10/2020
- Chikungunya / Ministère des solidarités et de la santé. Mise à jour 10/07/2020

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