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La quinine et le quinquina

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14 mai 2021

La quinine a été isolée en 1820 par deux chimistes français. Elle est tirée du quinquina, plante américaine utilisée pour lutter contre le paludisme. Un de ses dérivés synthétiques a connu récemment un regain de notoriété : l’hydrochloroquine.

Jan Eduard Van Someren Brand, Histoire naturelle populaire. Les Grandes cultures du monde, leur histoire, leur exploitation, leurs différents usages, 1905

Une plante américaine

Le quinquina désigne 23 espèces du genre Cinchona, de l’abondante famille des Rubiacées comme le café, la garance ou le gardénia. Il pousse en Amérique du Sud. Les Incas en plantent dans la région de Quito, près de Loxa et dans la région de Potosi. Le terme quinquina vient du quechua « kinakina » qui signifie l’écorce des écorces. Les populations amérindiennes se servent de la plante pour traiter la fièvre mais ne se hâtent pas d’en faire profiter le colonisateur espagnol.
En 1663, l’Anastasis corticis peruviae seu chinae chinae defensio de Sebastiano Baldi raconte sa découverte une trentaine d’année auparavant. Juan Lopez de Canizares, corregidor de Loxa est guéri de la fièvre grâce à un Indien qui lui administre du quinquina. Il en aurait ensuite fait bénéficier la femme du vice-roi, la comtesse de Chinchon. Le récit est apocryphe mais donne son nom à la plante quand Linné la baptise Cinchona en 1753 ; le remède y gagne le nom de « poudre de la comtesse ».

O. Réveil, A. Dupuis, Le règne végétal. Flore médicale, Atlas, Tome 3, 1867

Un remède contre la fièvre

Les Jésuites, actifs dans les Andes, vont assurer pendant plusieurs décennies la diffusion de la « poudre des Jésuites » qui leur rapporte des revenus importants. Le Jésuite Salumbrini, en poste à Lima, fait parvenir à Rome des échantillons d’écorce comme fébrifuge. Le cardinal de Lugo en reçoit une caisse et fait la publicité de ce qu’on appelle la « poudre du cardinal de Lugo ». Le cardinal le recommande à Mazarin pour soigner Louis XIV.
Toutes ces dénominations entretiennent une certaine confusion. L’Anglais John Talbor utilise la poudre des Jésuites pour guérir d’une fièvre le roi Charles II. Vers 1679, il voyage en France et y guérit le Grand Dauphin, Condé et Colbert. Louis XIV lui donne alors un titre de chevalier et une forte somme contre la composition de son remède : il s’agit d’écorce de quinquina versée dans du vin. La Fontaine y consacre un poème. L’écorce est importée d’Amérique mais la plante dont elle est tirée est encore mal connue, d’où l’envoi d’expéditions pour découvrir l’origine de la plante.

Apollinaire Bouchardat, Quinologie. Des Quinquinas et des questions qui dans l’état présent de la science et du commerce s’y rattachent avec le plus d'actualité, 1854

Deux siècles d’exploration botanique

En 1704, le père Plumier meurt à Cadix alors qu’il devait embarquer pour l’Amérique afin de ramener le quinquina. Joseph de Jussieu, membre de l’expédition de La Condamine en Amérique du Sud, décrit la plante en 1737, mais son manuscrit n’est édité qu’en 1936. La Condamine, rentré en France en 1744, s’attribue tout le mérite de cette trouvaille dans un mémoire envoyé à l’Académie des Sciences. Les Français Amédée-François Frézier, Louis Feuillée, Jean-Baptiste Leblond ou Joseph Dombey partent explorer la région pour briser le monopole espagnol sur le quinquina. Les Espagnols ne sont pas en reste. Hipolito Ruiz Lopez édite les données de son expédition dans son Quinologia, o Tratado del árbol de la quina o cascarilla en 1792. Au siècle suivant, le botaniste Hugh Algernon Weddell séjourne de 1843 à 1848 dans la région et parvient à remettre de l’ordre dans toutes ces descriptions, distinguant les différentes espèces existantes qu’il décrit en 1849 dans son Histoire naturelle des quinquinas ou Monographie du genre Cinchona. Il ramène des graines en France, permettant enfin de travailler sur des spécimens vivants.

Pierre-Joseph Buc’hoz, Le Grand Jardin de l’univers, où se trouvent coloriées les plantes les plus belles, les plus curieuses et les plus rares des quatre parties de la terre, 1785

Les 200 ans de la découverte de la quinine

Dans le même temps, la chimie s’intéresse aux principes actifs tirés des plantes. Les chimistes Joseph-Bienaimé Caventou et Pierre Joseph Pelletier découvrent ainsi la quinine en 1820. Ils ne sont pas à leur coup d’essai puisqu’on leur doit également la découverte de la chlorophylle (1816), de la strychnine (1818), de la caféine (1821)… Le quinquina contient plusieurs alcaloïdes quinoléïques : quinine, quinidine… La quinine est surtout employée comme médicament contre la fièvre et pour traiter le paludisme. Elle est également utilisée en cardiologie contre les palpitations, et sert comme fébrifuge contre la grippe, comme analgésique, comme tonique et comme relaxant musculaire.

Le docteur Quinquina ou Le poirier ensorcelé, vaudeville de Rozet et Gabriel : costume de Potier (Quinquina), 1820

Les plantations coloniales

Dès les années 1850, les Anglais introduisent la culture du quinquina en Inde près de Darjeeling, et les Néerlandais à Java. Les Anglais réussissent à cultiver le quinquina à Ceylan mais les plantations seront ensuite concurrencées par les Indes néerlandaises et les cultures remplacées par des plantations de thé. La concentration en quinine varie selon les espèces : pratiquement absente dans le quinquina gris (utilisé en liquoristerie), elle est significative dans le quinquina jaune et le quinquina rouge. En 1865, l’Anglais Charles Ledger envoie à son frère à Londres des graines de quinquina bolivien. Il laissera son nom au Cinchona ledgeriana ou quinquina jaune dont les Néerlandais se servent pour créer des hybrides à l’écorce plus riche en quinine. Ils greffent également Cinchona ledgeriana sur une espèce plus robuste. Leur succès est tel qu’ils finissent par produire aux Indes néerlandaises presque toute la quinine consommée dans le monde.

Odon-Quinquina, le meilleur dentifrice. Toutes pharmacies, 1900

La création de substituts chimiques

Quand les Japonais conquièrent cette colonie en 1942, ils prennent le contrôle de la production au détriment des Alliés. Les armées utilisent déjà la quinine comme l’armée française en Macédoine, décimée en 1916 par le paludisme avant la généralisation de la quinine qui rétablit la situation sanitaire de l’armée. Les Alliés se tournent alors vers la chimie pour créer des substituts. La première synthèse totale de la quinine est réalisée en 1944 par Robert B. Woodward et William von Eggers Doering, et la chloroquine est mise sur le marché en 1949. D’autres produits étaient déjà disponibles comme la plasmoquine (1932) ou la quinacrine (1932). Tous ces composés permettent de lutter contre le paludisme au niveau mondial, jusqu’à l’apparition de formes de résistance à la quinine chez le plasmodium, parasite responsable de cette maladie.

Eugène Ogé, Quinquina breton, 1911

Un médicament devenu boisson

Le quinquina n’est pas consommé uniquement sous forme de traitement médicamenteux. Les colons anglais prennent l’habitude de prendre leur dose de quinquina dans le gin, inventant le gin-tonic. En 1830, le docteur Juppet a l’idée d’un apéritif à base de quinquina : le Saint-Raphaël. La plante entre dans la composition de nombreuses boissons alcoolisées (Dubonnet, Martini Rosso) ou non (Canada Dry, Schweppes, Red Bull). Le médicament est devenu une boisson largement consommée.

Leonetto Cappiello, Bourdou grand quinquina apéritif contre les fièvres, 1926

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