Les salons caricaturaux : critique graphique et satirique
Les « Salons comiques », « Salons caricaturaux » ou « Salons pour rire » selon leurs diverses dénominations, sont des publications satiriques illustrées qui voient le jour dans les années 1840. Ils ont connu leur apogée sous le Second Empire et une vogue importante jusqu’à la fin du XIXe siècle. Allons donc rire au Salon…
Fruits de l’engouement pour le Salon, à la fois chroniques et critiques de celui-ci, ces publications constituent un genre à part entière, spécifiquement français et parisien, parmi les nombreuses publications qui, depuis la fin du XVIIe siècle, rendent compte du Salon de Paris (catalogues officiels, salons illustrés, critiques, caricatures de presse…). Elles empruntent des caractéristiques à chacune de ces publications.
Le véritable premier « Salon caricatural », est Le Salon de 1843. Appendice au livret, avec 37 copies par Bertal. Etudes faites aux portes du Louvre le 15 mars 1843, dont quelques dessins sont repris aussi dans la revue L’Illustration.
Le journal satirique Le Charivari avait déjà proposé des caricatures isolées d’œuvres, du public, des artistes, du jury, mais c’est en 1845 que ce journal publie un véritable Salon caricatural, la Revue véridique, drolatique et charivarique du Salon de 1845 illustrée par Cham, avec un texte de Louis Huart, collaborateur puis éditeur du journal. Il en sera de même en 1846 et 1847.
Et en 1846 également parait Le Salon caricatural, critique en vers et contre tous. Baudelaire est l’auteur du prologue en vers, les légendes sont écrites avec ses amis Théodore de Banville et Auguste Vitu. Les dessins sont de Raymond Pelez.
Forme particulière de critique d’art, les salons caricaturaux sont des comptes-rendus humoristiques illustrés du Salon. C’est sous forme de feuilletons qu’ils paraissent dans la presse satirique pendant toute la durée du Salon (Le Charivari , le Journal pour rire qui devient le Journal amusant, L'Eclipse, La Caricature). La presse illustrée les publie également (L’Illustration, La Vie parisienne…). Ils sont parfois édités directement ou réédités en albums.
Illustrés par les plus grands artistes de presse de l'époque - Gavarni, Cham, Bertall, Nadar, Stop, Gill, Robida, etc. - ils consistent le plus souvent en une série de vignettes gravées accompagnées d’un texte bref, simple légende de l’image ou discours plus suivi et commentaire esthétique. Le dessin relève de la charge. Celle-ci prend pour cible le plus souvent les œuvres exposées elles-mêmes, les plus académiques comme les plus novatrices (le numéro figurant sur le tableau et dans le livret officiel est reporté sur le dessin), mais aussi les artistes, les physionomies et réactions des visiteurs, et tous les autres aspects du Salon.
Le contexte de leur apparition
Selon Yin-Hsuan Yang dans sa contribution « Les premiers Salons caricaturaux au XIXe siècle », dans L'Art de la caricature, 2011, l’apparition des salons comiques et caricaturaux est liée, dans les années 1840, dernière décennie de la Monarchie de Juillet, à la réunion de plusieurs facteurs : une affluence sans cesse plus grande au Salon liée au développement de la bourgeoisie urbaine, l’intérêt pour l’actualité et le débat artistiques (rôle du jury, sort des refusés…) et l’interdiction de la caricature politique depuis les « lois scélérates » de septembre 1835.
Ainsi, quand la caricature politique n’est plus possible ou limitée, les caricaturistes se tournent vers d’autres thèmes, caricature de mœurs et sujets artistiques qui jouent le rôle de soupape.
Le Second Empire, qui verra l’apogée des salons caricaturaux, est aussi, avant le tournant de l’Empire libéral (lois sur la liberté de la presse de 1868) et surtout avant la loi de 1881, une période de renforcement de la censure.
Caricature et art : une longue tradition
Alors que la charge et la caricature se multiplient, le Salon, évènement considérable ne pouvait manquer d’être lui aussi pris pour cible. Depuis 1830 les expositions artistiques font régulièrement l’objet de raillerie.
La charge, en outre, est une tradition établie dès les ateliers de la Renaissance puis dans les écoles d’art. Une complicité unit les peintres et les dessinateurs de charges, issus du même apprentissage.
Certains peintres pratiquent ou ont pratiqué la caricature à leurs débuts tels Alexandre-Gabriel Decamps, Eugène Delacroix, Thomas Couture, Claude Monet…. Certains artistes comme Honoré Daumier, André Gill, Gustave Doré ou Morel-Retz dit Stop, réputés pour leurs caricatures du Salon, y exposent aussi des peintures « sérieuses ».
Véritable critique d’art ou exercice de style ?
Les salons caricaturaux apparaissent alors que la peinture moderne rencontre l’incompréhension du public au goût bourgeois ou épris d’académisme et qu’à partir du milieu du siècle, valeurs esthétiques et hiérarchies artistiques sont contestées.
Ces publications prennent, certes, leur place dans la critique, le combat et le jugement esthétique. Cependant selon Denys Riout, dans son article « Les Salons comiques » (revue Romantisme, 1992, n°75), les œuvres d’art y sont avant tout prétextes à rire. Le genre impose la raillerie, - certes plus ou moins incisive et sincère - et le dessin charge. Ces publications n’expriment donc pas toujours le véritable sentiment de leurs auteurs. Même si certains (comme Nadar) laissent davantage transparaître leurs convictions esthétiques, ils se font avant tout l’écho de l’opinion majoritaire, des préjugés du public populaire et bourgeois. Il convient ainsi d’être prudent dans la prise en compte des salons caricaturaux pour l’étude de la fortune critique des œuvres. Thierry Cabanne les décrit comme des « livres d’or », des « chambres d’écho » des émois des contemporains, dont les caricaturistes sont les échotiers.
Pour aller plus loin
- Toute la série de billets sur les Salons comiques et caricaturaux (en cours)
- La bibliographie sur les Salons comiques et caricaturaux
- Les mémos chercher & trouver « Salons et expositions artistiques en France » et en particulier les onglets Salons illustrés et Salons comiques
- La base Salons 1673-1914 (Musée d'Orsay-INHA) qui permet d’identifier les œuvres exposées
- Les séries de billets de blog Gallica La critique d’art et Femmes artistes à l’Académie
- Les sélections Gallica Presse satirique, Collection Deloynes
- Honoré Daumier et Gustave Doré dans les Essentiels de la BnF.
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