Le Blog
Gallica
La Bibliothèque numérique
de la BnF et de ses partenaires

Les salons caricaturaux : critique graphique et satirique

0

Les « Salons comiques », « Salons caricaturaux » ou « Salons pour rire » selon leurs diverses dénominations, sont des publications satiriques illustrées qui voient le jour dans les années 1840. Ils ont connu leur apogée sous le Second Empire et une vogue importante jusqu’à la fin du XIXe siècle. Allons donc rire au Salon…

Salon de 1861. Album caricatural, par Galletti. [1861]
 

Fruits de l’engouement pour le Salon, à la fois chroniques et critiques de celui-ci, ces publications constituent un genre à part entière, spécifiquement français et parisien, parmi les nombreuses publications qui, depuis la fin du XVIIe siècle, rendent compte du Salon de Paris (catalogues officiels, salons illustrés, critiques, caricatures de presse…). Elles empruntent des caractéristiques à chacune de ces publications.

Le véritable premier « Salon caricatural », est Le Salon de 1843. Appendice au livret, avec 37 copies par Bertal. Etudes faites aux portes du Louvre le 15 mars 1843, dont quelques dessins sont repris aussi dans la revue L’Illustration.

Le journal satirique Le Charivari avait déjà proposé des caricatures isolées d’œuvres, du public, des artistes, du jury, mais c’est en 1845 que ce journal publie un véritable Salon caricatural, la Revue véridique, drolatique et charivarique du Salon de 1845 illustrée par Cham, avec un texte de Louis Huart, collaborateur puis éditeur du journal. Il en sera de même en 1846 et 1847.

Et en 1846 également parait Le Salon caricatural, critique en vers et contre tous. Baudelaire est l’auteur du prologue en vers, les légendes sont écrites avec ses amis Théodore de Banville et Auguste Vitu. Les dessins sont de Raymond Pelez.

Forme particulière de critique d’art, les salons caricaturaux sont des comptes-rendus humoristiques illustrés du Salon. C’est sous forme de feuilletons qu’ils paraissent dans la presse satirique pendant toute la durée du Salon (Le Charivari , le Journal pour rire qui devient le Journal amusant, L'Eclipse, La Caricature). La presse illustrée les publie également (L’Illustration, La Vie parisienne…). Ils sont parfois édités directement ou réédités en albums.

Illustrés par les plus grands artistes de presse de l'époque - Gavarni, Cham, Bertall, Nadar, Stop, Gill, Robida, etc. - ils consistent le plus souvent en une série de vignettes gravées accompagnées d’un texte bref, simple légende de l’image ou discours plus suivi et commentaire esthétique. Le dessin relève de la charge. Celle-ci prend pour cible le plus souvent les œuvres exposées elles-mêmes, les plus académiques comme les plus novatrices (le numéro figurant sur le tableau et dans le livret officiel est reporté sur le dessin), mais aussi les artistes, les physionomies et réactions des visiteurs, et tous les autres aspects du Salon.


« Couleur du Salon de 1852, ou le Salon dépeint et dessiné par Bertall »
in Le Journal pour rire, 1852, 15 mai. Exemplaire aquarellé

Le contexte de leur apparition

Selon Yin-Hsuan Yang dans sa contribution « Les premiers Salons caricaturaux au XIXe siècle », dans L'Art de la caricature, 2011, l’apparition des salons comiques et caricaturaux est liée, dans les années 1840, dernière décennie de la Monarchie de Juillet, à la réunion de plusieurs facteurs : une affluence sans cesse plus grande au Salon liée au développement de la bourgeoisie urbaine, l’intérêt pour l’actualité et le débat artistiques (rôle du jury, sort des refusés…) et l’interdiction de la caricature politique depuis les « lois scélérates » de septembre 1835.

Ainsi, quand la caricature politique n’est plus possible ou limitée, les caricaturistes se tournent vers d’autres thèmes, caricature de mœurs et sujets artistiques qui jouent le rôle de soupape.

Le Second Empire, qui verra l’apogée des salons caricaturaux, est aussi, avant le tournant de l’Empire libéral (lois sur la liberté de la presse de 1868) et surtout avant la loi de 1881, une période de renforcement de la censure.
 

Caricature et art : une longue tradition

Alors que la charge et la caricature se multiplient, le Salon, évènement considérable ne pouvait manquer d’être lui aussi pris pour cible. Depuis 1830 les expositions artistiques font régulièrement l’objet de raillerie.

La charge, en outre, est une tradition établie dès les ateliers de la Renaissance puis dans les écoles d’art. Une complicité unit les peintres et les dessinateurs de charges, issus du même apprentissage.

Certains peintres pratiquent ou ont pratiqué la caricature à leurs débuts tels Alexandre-Gabriel Decamps, Eugène Delacroix, Thomas Couture, Claude Monet…. Certains artistes comme Honoré Daumier, André Gill, Gustave Doré ou Morel-Retz dit Stop, réputés pour leurs caricatures du Salon, y exposent aussi des peintures « sérieuses ».

« Ce n’est pas la première fois, depuis que M. GUSTAVE DORÉ nous offre de la peinture, que nous sommes tentés de nous écrier : - Des navets ! »
 Le Néophyte de Doré moqué par Gill dans « Le Salon pour rire de 1868 ». Gill-Revue
 
Le Nouveau-né de Gill, moqué par Robida dans La Caricature, 1881, 28 mai
 
Les premiers salons comiques et caricaturaux ont d’abord accordé une plus grande importance au commentaire qu’au dessin. L’auteur était souvent à l’origine du projet ou alors l’illustrateur s’improvisait critique d’art. Quand les meilleurs dessinateurs dessinent et écrivent, ils produisent souvent eux même leurs publications, accordant texte et image : Nadar jury 1853, 1857, Gill revue 1868, Le Grelot au salon (1872, Bertall). À partir de 1850-1855, le dessin tient une place plus importante que le texte.
 

Véritable critique d’art ou exercice de style ?

Les salons caricaturaux apparaissent alors que la peinture moderne rencontre l’incompréhension du public au goût bourgeois ou épris d’académisme et qu’à partir du milieu du siècle, valeurs esthétiques et hiérarchies artistiques sont contestées.

Ces publications prennent, certes, leur place dans la critique, le combat et le jugement esthétique. Cependant selon Denys Riout, dans son article « Les Salons comiques » (revue Romantisme, 1992, n°75), les œuvres d’art y sont avant tout prétextes à rire. Le genre impose la raillerie, - certes plus ou moins incisive et sincère - et le dessin charge. Ces publications n’expriment donc pas toujours le véritable sentiment de leurs auteurs. Même si certains (comme Nadar) laissent davantage transparaître leurs convictions esthétiques, ils se font avant tout l’écho de l’opinion majoritaire, des préjugés du public populaire et bourgeois. Il convient ainsi d’être prudent dans la prise en compte des salons caricaturaux pour l’étude de la fortune critique des œuvres. Thierry Cabanne les décrit comme des « livres d’or », des « chambres d’écho » des émois des contemporains, dont les caricaturistes sont les échotiers.


« Revue véridique, drolatique et charivarique du Salon de 1845 ». Le Charivari, 19 avril 1845.
Dans son texte qui accompagne les dessins de Cham, Louis Huart se lamente de ne pouvoir, dans l’exercice contraint de la rédaction d’un Salon comique, exprimer de sentiment d’admiration pour une œuvre…
 
Par ailleurs, toutes les œuvres « dont on parle » sont prises pour cible. Aucune tendance artistique – art moderne, « style pompier », ou nouvelles écoles… n’est épargnée. De la même façon sont attaqués l’organisation du Salon, l’académisme du jury, la suffisance des critiques, les artistes, les jeux sociaux, les préjugés du public…

Denys Riout souligne aussi le caractère positif, dans le nouveau modèle marchand-critique qui s’impose peu à peu, de tout « bruit » autour d’une œuvre, ayant pour effet d’attirer l’attention sur un artiste. La critique d’art sérieuse, qui tient un discours élogieux ou négatif, est en général bien plus redoutée par les artistes.
 
À suivre prochainement… 
Salons caricaturaux. 3, Les salons caricaturaux dans la presse satirique et la presse illustrée

Lien vers tous les billets de la série

Pour aller plus loin

Ajouter un commentaire

Plain text

  • Aucune balise HTML autorisée.
  • Les adresses de pages web et de courriels sont transformées en liens automatiquement.
  • Les lignes et les paragraphes vont à la ligne automatiquement.