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Gardiens et gardiennes de phare : mythes et réalité d’une profession

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Le gardien de phare fascine. Isolé, luttant contre la monotonie des longues journées quand il ne brave pas les éléments pour maintenir le feu, sa figure est au cœur de nombreux récits journalistiques et romanesques souvent bien loin de la réalité.

La Semaine illustrée n°21, 1912

Les gardiens de phare, héros des quotidiens

Les gardiens de phare sont régulièrement le sujet d’articles dans la presse. Les journalistes insistent sur leur courage et leur dévouement de tous les jours d’autant plus admirables qu’ils travaillent dans des conditions difficiles et pour un très faible salaire. Ce contraste entre la modestie de leur vie quotidienne et la grandeur de leurs actions donne lieu à une héroïsation de la profession. 

La vie des gardiens de phare n'est très souvent qu'une longue suite de dangers courus et d’actes d'héroïsme accomplis bonnement, comme une besogne ordinaire. (L’enseignement populaire du 5 janvier 1882)

Le discours évolue peu entre la fin du 19ème et le milieu du 20ème siècle même si la vie quotidienne des gardiens s’améliore. Le 28 juin 1946, le magazine Regards publie un reportage photographique sur les phares et leurs habitants. Le journaliste met en avant l’amélioration des conditions de vie, notamment avec l’arrivée de la radio mais continue de célébrer leur sacrifice : “Le livre d'or des gardiens de phare est fécond en actes de dévouement, d'abnégation, de sang-froid qui égalent ce que l'homme peut faire de plus beau.”

La presse ne tarit pas d’éloges sur ces hommes “faisant de l'héroïsme caché l'ordinaire de leur vie” mais “dont l'écrasante monotonie ne s'éclaire jamais d'une minute de plaisir, ne connaît rien que le froid, l'ennui, la solitude, les tempêtes.” (Le Journal, 17 janvier 1929)

Admiratifs de l’extrême difficulté du métier, les journaux soutiennent les demandes de revalorisation salariale et d’amélioration des conditions de travail :

Afin d’appuyer leurs propos, les journalistes prennent régulièrement en exemple des gardiens qui se sont montrés particulièrement héroïques au cours d’une tempête ou d’une situation critique. Or, quoi de plus frappant pour le lecteur qu’une femme gardienne de phare ? Si la profession s’est assez tôt féminisée, notamment en raison de la difficulté à recruter des gardiens, le portrait édifiant de la femme gardienne de phare demeure longtemps un classique de la presse fraçaise.

Marie-Perrine Durand, un nom à graver au livre d’or du féminisme. (L’intransigeant, 27 septembre 1932)

La retraite puis le décès à 82 ans de Marie-Perrine Durand, la première gardienne de phare française, donnent lieu à plusieurs articles de presse. Comme de nombreuses gardiennes, Marie-Perrine Durand a d’abord tenu le rôle de “femme de gardien”. La mort de son mari lors d’une tempête la contraint à demander officiellement une place. Elle passe un examen et devient la première gardienne de phare reconnue par l’administration. Plus tard, l’État lui confie de jeunes recrues féminines qu’elle formera à ce dur métier.

Ethel Langton, en plus d’être une femme dans un milieu masculin, impressionne les journaux par son jeune âge. La fille du gardien du phare de Sainte Hélène, au large de l’île de Wight, n’a que 14 ans. En 1926, alors que ses parents se rendent à terre pour le ravitaillement, une tempête impromptue l’isole du monde pendant trois jours. Elle parvient néanmoins à se hisser tous les soirs en haut de la tour et à allumer le feu. Dans les articles qui relatent sa courageuse aventure, elle raconte avoir tenu grâce à son chien, Badger et aux mots-croisés.

D’autres gardiennes de phare ont les honneurs de la presse comme l’anglaise Grace Darling ou la bretonne Eugénie Madelot.
 

Des gardiens littéraires grandioses

Au 19ème siècle, les écrivains s’emparent eux-aussi du personnage du gardien de phare. Seuls face aux éléments déchaînés, prêts à risquer leur vie pour protéger les marins, parfois en proie à la folie, ces hommes solitaires deviennent, sous leur plume, des héros romantiques. 

Le Phare des sanguinaires d’Alphonse Daudet est publié dans Le Figaro du 22 août 1869 puis dans Les Lettres de mon moulin aux éditions Hetzel. Le narrateur raconte les moments qu’il vit dans un phare de la côte corse en compagnie des gardiens. Il contemple les paysages marins, partage leurs repas, écoute les récits de naufrages et les accompagne dans leurs tours de garde.

Peu à peu, cependant, mes yeux s’y faisaient, et je venais m’asseoir au pied même de la lampe, à côté du gardien qui lisait son Plutarque à haute voix, de peur de s’endormir…

Pas de contemplation dans Le Phare du bout du monde de Jules Verne qui paraît dans Le Magasin d'éducation et de récréation à partir du 15 août 1905. Trois gardiens sont chargés de veiller sur le “phare du bout du monde” construit à l’extrême sud de l’Amérique du Sud.

Vois-tu, garçon, depuis quarante ans, j’ai un peu couru toutes les mers de l’ancien et du nouveau continent, mousse, novice, matelot, maître. Eh bien, maintenant qu’est venu l’âge de la retraite, je ne pouvais désirer mieux que d’être gardien d’un phare, et quel phare !.. Le Phare du bout du Monde !..

La retraite ne sera pas de tout repos pour le gardien Vasquez et ses camarades qui sont rapidement amenés à lutter contre des pirates.

Parfois, le gardien de phare devient un héros sombre et inquiétant. Dans La Tour d’Amour de l'autrice Rachilde, publié en 1899, deux gardiens de phare entretiennent le feu au péril de leur vie au phare d’Armen, en Bretagne. Soudain, l’horreur surgit quand le jeune gardien découvre que son maître repêche les cadavres de femmes mortes noyées et conserve leurs chevelures dans une cage en verre.

Pourtant, aucun meurtrier n’est référencé parmi les gardiens de phare des côtes françaises dont le règlement stipule qu’ils doivent “être porteur d’un certificat de bonne vie et mœurs". Après avoir parcouru quelques portraits journalistiques et littéraires de gardiens de phare, retour à la dure réalité de la profession.
 

Au-delà du fantasme : la lente professionnalisation du métier de gardien de phare

En France, la profession de gardien de phare apparaît statutairement en 1806 avec la création du service des phares et balises. Au cours des années suivantes, l’accroissement du nombre de phares ainsi que la généralisation des lentilles de Fresnel, qui demandent davantage d’entretien, incitent les ingénieurs à se préoccuper de plus en plus du personnel qui veille sur les bâtiments. 

Dans son premier projet d’un phare lenticulaire présenté à la Commission des phares en 1820, Augustin Fresnel demande à ce que les gardiens soient recrutés parmi les agents de l’État car le personnel en place, soumissionnaire, semble manquer de zèle :

Si l’on fait l’essai du phare dont j’ai l’honneur de soumettre le projet à la Commission, je crois qu’il sera prudent de n’en pas confier l’éclairage à un entrepreneur, mais de le faire faire par régie, sous la direction de l’ingénieur de l’arrondissement, au moins pendant la première année. [...] parce que des motifs d’intérêt ou de toute autre nature pourraient l’engager à empêcher le succès de cet essai, ou du moins à ne pas y apporter le zèle et l’attention dont les procédés nouveaux ont presque toujours besoin dans les commencements. Il faut que le gouvernement dirige lui-même l’expérience par ses agents.

En 1835, Léonor Fresnel, le frère d’Augustin, publie son Instruction pour le service des phares lenticulaires. Ce document de trente pages, que les gardiens doivent apprendre par cœur, récapitule les principales actions à entreprendre au quotidien pour l’entretien des phares. C’est une première tentative pour professionnaliser un corps de métier alors que les gardiens ne reçoivent aucune formation spécifique. 

La circulaire du 20 novembre 1848, complétée par le décret impérial du 16 août 1853, modifie en profondeur le métier. Les gardiens de phare deviennent fonctionnaires. Le Règlement des gardiens des phares et fanaux fixe les attendus en matière de recrutement et de missions. Les gardiens doivent “savoir lire, écrire et posséder les premiers éléments de l’arithmétique”. L’accent est mis sur l’entretien des appareils d’éclairage et de l’édifice, l’importance de la rigueur, de la ponctualité et du respect de la hiérarchie. Les gardiens qui feraient preuve de négligence risquent des sanctions allant jusqu’à la révocation. 

Si le règlement insiste autant sur les tâches à effectuer, c’est parce que le métier de gardien de phare est difficile. Mal payés, peu formés, séparés de leur famille quand les phares se situent en pleine mer, les gardiens doivent néanmoins suivre une rigueur souvent pesante. Le danger qui les guette le plus n’est ni la tempête ni les pirates mais l’ennui. Une fois ses tâches quotidiennes menées à bien, le fonctionnaire a devant lui de longues heures à occuper en solitaire. Certains jouent aux cartes, d’autres pêchent ou tressent des paniers.  

Toute occupation est bonne qui rompt la déprimante monotonie des factions solitaires (Revue des deux mondes, janvier 1899)

Les ingénieurs des phares craignent, à raison, que cette monotonie incite à la démission, à l’alcoolisme voire à la folie. En 1867, Léonce Reynaud décide de créer une “bibliothèque circulante des gardiens de phares”. L’administration fournit aux gardiens une sélection d’ouvrages mais d’après Charles le Goffic, qui publie un article dans La Revue des deux mondes en 1899, les livres choisis ne correspondent pas au goût des gardiens :


 

Il faut attendre 1930 pour qu’une formation des gardiens de phare soit réellement mise en place. Un arrêté du ministère des Travaux publics fixe le programme des épreuves d’aptitude technique spéciale pour obtenir un emploi de gardien de phare. Durant une année, les candidats et les auxiliaires effectuent des remplacements dans des phares en mer avant de passer le concours. Une école des gardiens de phare est créée dans les années suivantes à Brest sur le modèle d’écoles anglo-saxonnes. Des concours ont lieu en métropole comme dans les colonies. La formation des agents est encore renforcée après la Seconde Guerre mondiale, parachevant une lente professionnalisation. 

L'espoir est permis qu'un jour les phares continueront seuls, en intelligentes machines, à éclairer les mers. Les hommes les auront abandonnés.

L’espoir exprimé par l’article du Journal du 17 janvier 1929 s’est concrétisé puisqu’en 2021, en France, seul le phare de Cordouan, auquel Gallica a consacré un billet de blog, accueille encore des gardiens. Les reportages qui leur ont été consacrés à l’occasion de l’inscription du phare sur la liste du patrimoine mondial de l’UNESCO montrent que le gardien de phare continue d’intriguer et de séduire. 
 

Pour aller plus loin :

Commentaires

Soumis par Laurent PARLIMONT le 30/09/2021

Le 18 avril 1911, le gardien Matelot du phare de Kerdonis est décédé. Le phare étant isolé, c'est sa veuve et ses enfants qui l'on fait fonctionné toute la nuit pour éviter les naufrages.

La veuve a été décorée par la suite et a occupé de loin en loin la presse du début du 20ème siècle.
- Ouest-Éclair 08-06-1911 : "LES GARDIENS DU FEU Une mère héroïque reste avec 4 orphelins sans pain et sans gîte"
- Excelsior-15-06-1911 : "La croix de la Veuve Matelot" (Légion d'Honneur demandée par 170 députés)
- Le Figaro-27-06-1911 : "SOUSCRIPTION pour la veuve Matelot"
- Le Peuple-20-08-1935 : "LA FIN D'UNE HEROINE - Mme veuve Matelot est décédée"
- Regards-20-06-1946 : Evocation du phare de Kerdonis " ...il y a peut-être une quarantaine d'année ..."
... Différents récits édifiants destinés à la jeunesse (années 60 70) ...

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