Cordouan : l'histoire du roi des phares
En 1611, la construction du phare de Cordouan s'achève. Il s'agit de l'oeuvre de l’ingénieur Louis de Foix (vers 1535-vers 1604), commencée 27 ans auparavant.
L'origine du doyen des phares de France est pourtant plus ancienne. Elle remonte au XIVème siècle lorsque les Anglais construisent sur un îlot rocheux de l'estuaire de la Gironde une tour polygonale, au sommet de laquelle on allume un feu pour éclairer le chemin que doivent emprunter les navires. D’après Léon Massiou dans l'ouvrage Cordouan et l’ile d’Antros, la tour a pu être bâtie par Édouard de Woodstock, prince de Galles, surnommé le Prince noir, qui possède alors le duché de Guyenne, une ancienne province du sud-ouest de France.
Depuis que Bordeaux est un centre de commerce important, notamment de vin, il est crucial de sécuriser les voies maritimes. Chaque nuit, un ermite est chargé d'allumer le feu au sommet de la tour pour guider les marins. Le phare est accompagné d’une église ou d’une chapelle et de bâtiments adjacents dont nous voyons la trace sur certaines gravures et cartes marines et qui sont évoqués par le roi d'Angleterre Henri IV dans une lettre du 8 août 1409. Déjà, au début du XVème siècle, la tour est en mauvais état et, par conséquent, les naufrages fréquents.
Menacée de ruines par les assauts incessants de la mer, la "Tour du Prince noir" est restaurée à partir du XVIème siècle. Alerté de sa dégradation par Michel de Montaigne, alors maire de Bordeaux, Henri III, dernier monarque de la dynastie des Valois, décide la construction d’un phare royal à l’emplacement de cette tour. Le contrat pour la reconstruction du phare de Cordouan est signé le 2 mars 1584 à Bordeaux entre, d'une part, le maréchal Jacques de Matignon, gouverneur de Guyenne, François de Nesmond, président au parlement de Bordeaux, Ogier de Gourgues, trésorier général de France au bureau des finances de Bordeaux, Michel de Montaigne, maire de Bordeaux, et, d'autre part, l'architecte Louis de Foix. Mais le règne d'Henri III, miné par les guerres de religion, ne voit pas l’aboutissement du projet. Le coût faramineux des travaux, dû notamment à la complexité du chantier, retarde la rénovation.
Le phare de Cordouan est finalement achevé en 1611 sous le règne d’Henri IV, premier roi des Bourbons. Ce dernier, tout juste converti au catholicisme, désire se montrer dévoué à l’égard des catholiques et donne une dimension très symbolique à son projet en y ajoutant une chapelle. Claude de Chastillon, ingénieur et cartographe du roi, auteur de la plus ancienne représentation du phare, décrit ainsi la chapelle : "Le troisième étage est celui de la Chapelle, lequel en dedans a une corniche à 7 pieds hors le rez-de-chaussée en son pourtour, sur laquelle s'arrache la plus belle et magnifique voûte de bellissime". La somptuosité de ce phare est à la mesure de l’ambition royale d’ériger un monument digne de ses plus prestigieux ancêtres, tel le phare d’Alexandrie.
L’ouvrage sera restauré plusieurs fois en raison des tempêtes. En 1788, l'ingénieur Joseph Teulère (1750-1824), rehausse la tour de vingt mètres à partir de la balustrade de la chapelle et y installe des réflecteurs paraboliques pour renforcer l’éclairage.
Enfin, la dernière innovation marquante concerne l'éclairage du phare. C'est au phare de Cordouan, en juillet 1823, que le célèbre physicien et ingénieur Augustin Fresnel (1788-1827) expérimente pour la première fois sa nouvelle invention : la lentille dîte à échelons. Ce nouveau type de lentilles remplace les miroirs utilisés jusqu'à présent. La portée de l'éclairage du phare passe de 10 à environ 35 km. La lentille de Fresnel équipe la plupart des phares dans le monde aujourd’hui. L'hebdomadaire Benjamin explique en 1938 à ses jeunes lecteurs son fonctionnement :
Le phare de Cordouan demeure au fil des ans une oeuvre que l'on vient admirer. Jules Michelet dresse son portrait élogieux dans La Mer en 1861 :
On ne connait pas assez ce respectable personnage, ce martyr des mers. [...] Cordouan est sur un écueil que l'eau ne quitte jamais. L'audace, en vérité, fut grande de bâtir dans le flot même, que dis-je ? dans le flot violent, dans le combat éternel d'un tel fleuve et d'une telle mer.
Le phare de Cordouan est classé monument historique en 1862, en même temps que Notre-Dame de Paris et le Château de Versailles.
Pour aller plus loin :
- Site officiel du phare de Cordouan
- Dossier sur les phares sur le site Passerelle(s) de la BnF
- Un voyage à l’ile de Cordouan au XVIème siècle par Etienne Clouzot et Lancelot Voisin de La Popelinière, 1905 (disponible sur Gallica)
- Petite histoire de Cordouan et de Louis de Foix d’Ernest Gaullieur, 2012.
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