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Paul d’Ivoi (1856-1915)

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12 mai 2022

Paul d’Ivoi est l'un des plus grands romanciers d’aventures de la Belle Epoque et a connu un succès considérable. Ses Voyages excentriques empruntent beaucoup aux Voyages extraordinaires de Jules Verne, mais il s’en démarque par son entrain, sa fantaisie, son rythme et surtout son extravagance.

Paul d'Ivoy, portrait

De nombreuses personnalités du XXe siècle, comme Simone de Beauvoir, Jean-François Deniau ou Jacques Bergier, ont été marqués dans leur jeunesse par un auteur populaire un peu éclipsé de nos jours, Paul d’Ivoi. Même Jean-Paul Sartre a écrit dans Les Mots : "A Jules Verne, trop pondéré, je préférai les extravagances de Paul d’Ivoi" (1964). Cet écrivain "extravagant" a écrit en vingt ans près de vingt-six romans et quatre pièces de théâtre, sans compter ses articles géographiques. On l’a beaucoup comparé à Jules Verne, même s’il est beaucoup plus jeune et peut-être plus abordable que son aîné. Car c’est un auteur débordant d’humour, d’inventions plus ou moins farfelues et de péripéties haletantes.

Sa vie a été simple, directe, sans soubresauts. Il est né Paul Charles Philippe Éric Deleutre le 25 octobre 1856. Fils d’un journaliste du Figaro, lui-même écrivain, et petit-fils d’un autre littérateur spécialiste en art, il suit des études classiques au lycée de Versailles, puis fait son droit à Paris. Une fois sa licence en poche, il se dirige tout de suite vers le journalisme, au lieu de s’inscrire à Polytechnique pour complaire à ses parents. Il marche en quelque sorte sur les traces de son père et de son grand-père. Plus encore, il prend le même pseudonyme qu’eux deux, Paul d’Ivoi. Ce qui ne favorise pas forcément les chercheurs en littérature…

Ses premiers textes paraissent dans les années 1870 à Paris-Journal et au Figaro, il publie des nouvelles, des articles, des poèmes, avant de devenir critique littéraire au Globe, puis au Journal des voyages, ce grand périodique d’explorations et d’aventures, dont il restera toute sa vie, avec Louis Boussenard, l’un des piliers. Il donne en 1881 un vaudeville, Jeu de dame, puis d’autres pièces, comme Le Mari de ma femme, La Pie au nid et Le Tigre de la rue Tronchet, en 1887-1888. Il se tourne ensuite vers le roman : Le Capitaine Jean (publié dans Le Rappel), La Femme au diadème rouge (paru dans Le Soleil), Olympia et Cie (édité dans L’Eclair). Il ne connaît pas le succès espéré, mais ces œuvres lui permettent de trouver son style, d’affiner ses dialogues, d’’apprendre à construire ses intrigues. Il commet aussi un roman historique, Les Juifs à travers les âges (1890), dans lequel il dédouane les Israélites de la mort de Jésus. Entretemps, il se marie en 1883, et il aura une fille. Il lui faut cependant attendre 1894 pour connaître le succès. C’est dans Le Petit Journal qu’est publié Les Cinq Sous de Lavarède, avec comme cosignataire Henri Chabrillat, l'un de ses amis, journaliste et directeur de théâtre, qui meurt quelques semaines avant la parution. Il semble que le texte soit entièrement de la main de Paul d’Ivoi. C’est un triomphe. Au point qu’à partir de cette histoire, Paul d’Ivoi va imaginer, sur le modèle vernien des Voyages extraordinaires, quelques vingt autres Voyages Excentriques, qui vont faire sa renommée.

Les Cinq Sous de Lavarède, Paul d'Ivoi, Paris, 1894

Cela ne l’empêche pas parfois d’écrire d’autres textes. Des romans d’aventures mâtinés d’espionnage, avec les péripéties de l’espion X 323, qui s’active pour empêcher une guerre européenne : Le Puit du Maure, L’Obus de cristal et Du sang sur le Nil. Il rédige aussi, sous le pseudonyme de Paul Eric, des romans historiques : Les Cinquante (1815), L’Île d’Elbe et Waterloo (1904) ou La Mort de l’Aigle 1814 (1901). Enfin, avec le colonel Royet, il rédige des récits patriotiques et d’anticipation, comme Les Briseurs d’épée (1903-1905), La Patrie en danger, histoire de la guerre future (1904) ou L'Espion d’Alsace (1906). Dans tous ces récits, il utilise des inventions plus ou moins extraordinaires au service de conflits secrets. Il reçoit la Légion d’honneur en 1913. Malheureusement, il meurt brutalement le 6 septembre 1915, à Paris, quelques semaines avant ses 59 ans.

Mais ce sont sans conteste ses Voyages excentriques qui ont marqué la littérature populaire. Un journaliste pouvait écrire le 5 août 1898 (La Science française : revue populaire illustrée) : "M. Paul d’Ivoi s’est acquis, depuis des années déjà, la plus brillante réputation de conteur inventif, humoristique et adroitement vulgarisateur de notions spéciales, par la série amusante de ses Voyages excentriques", parlant également de "[s]a verve entrainante […], ses inépuisables ressources d’imagination, la bonne humeur dont il réussit à animer son récit". Après Les Cinq Sous de Lavarède, son premier (et plus grand) succès, il en publie environ un par an. Ils sont par ailleurs souvent réédités sous un titre différent. Le Cousin de Lavarède (1895), qui retrace une expédition au Pôle nord, se transforme en Diamant d’Osiris, L’Evadé malgré lui en Match de milliardaires (1913), Jean Fanfare, qui voit le héros faire une visite dans les grands musées européens à la recherche de sa bien-aimée enfouie dans de la cire en Diane de l’archipel (1897), ou Le Prince Virgule qui se change en Millionnaire malgré lui (1905). Il y a également Le Corsaire Triplex (1898), exploration des fonds marins et affrontement avec les anglais, La Capitaine Nilia (1898, où l’Egypte devient indépendante), Le Docteur Mystère (1899), Cigale en Chine (1901), Les Semeurs de glace (1903, avec des Incas luttant pour leur indépendance !), Miss Mousqueterr (1907), La Course au radium (ou Le Radium qui tue, 1910), L’Aéroplane fantôme (1910, dans lequel des Allemands tentent de dérober les plans d’un avion révolutionnaire), ou Les Voleurs de foudre (1912).

"Paul d’Ivoi, le si amusant et fécond conteur des Voyages excentriques s’est créé une belle place à côté de Jules Verne"

notait le journaliste des Annales politiques et littéraires (8 mars 1903). Et la revue Polyblion (décembre 1907) de noter qu’il sut recueillir "une bonne part de l'enviable popularité demeurée vacante par la mort de Jules Verne". Et à raison. Les Voyages excentriques sont une suite de romans d’explorations, comme chez son illustre devancier. On y trouve la découverte du monde, sur tous les continents. De même que Verne, plus encore, d’Ivoi se contente de documentation livresque. Lui n’a jamais vraiment voyagé, mais se nourrit essentiellement de lectures, nombreuses et variées : guides de voyages, romans, cartes et atlas, récits de voyages, etc.

Les Cinq Sous de Lavarède, Paul d'Ivoi, Paris, 1894

Pareillement pour les thèmes de ses narrations qui empruntent souvent aux Voyages extraordinaires : voyage autour du globe (Les Cinq Sous de Laravède), sous-marins électriques menés par un apatride avide de vengeance (Corsaire Triplex), prince hindou luttant pour la liberté (Le Docteur Mystère). L’Aéroplane fantôme rappelle Robur le Conquérant et Match de milliardaire fait penser au Testament d’un excentrique. La technologie joue également un rôle primordial : véhicules plus rapides que ceux qui existaient alors, forteresses volantes, téléphones, gaz liquéfié pouvant geler son environnement, lumière qui tue, téléphotes permettant de voir au loin, voiture changeant de couleur grâce à un verre spécial, maillot électrique provoquant des hallucinations, rayons anesthésiants, etc. Mais d’Ivoi possède une fascination mêlée d’angoisse devant cette technique qui ne connaît plus de limites, avec ses aéronefs semant la mort ou ses malfaiteurs manipulant le climat (comme dans Les Semeurs de glace).

Son objectif est de favoriser l’apprentissage de ses lecteurs en leur montrant la science et le monde, tout en les distrayant. Comme chez Verne. Car son lectorat est lui aussi composé essentiellement de jeunes gens. C’est ce qu’ont bien compris ses contemporains : "Avec Les Cinq Sous de Lavarède, de Henry Chabrillat et Paul d’Ivoi, nous entrons dans une littérature, alerte, émue et vivante, celle qui a intéressé, enlevé, réchauffé nos jeunes années", notait Le Journal en 1894. L’entrain et la gaité de l’auteur ont beaucoup fait pour sa popularité, étant susceptibles de plaire à ce public particulier. D’ailleurs, Les Voyages excentriques, publié par les éditions Boivin, utilisent une forme cartonnée ressemblant à celle, célèbre, des éditions Hetzel des Voyages extraordinaires, avec là aussi des illustrations originales, et qui serviront aussi longtemps de prix pour les élèves les plus méritants.

Néanmoins, il diverge totalement de Jules Verne sur de nombreux points. Chez lui, "le temps n’est plus un obstacle, car la nature a enfin été conquise ; les luttes victorieuses que, pour Jules Verne, menait encore la science se sont terminées par le triomphe définitif de ladite science", explique un critique actuel. Ses inventions sont plus vives, plus éclatantes et surtout plus spectaculaires que celles de Verne, et peut-être plus à même d’intéresser un jeune public. Et peut-être plus baroques et inouïes. Surtout, les péripéties du récit sont continuellement présentes, sans aucun temps mort. Le mouvement est là pour éviter tout ralentissement de la narration. Il n’y a plus ces longues descriptions et ces explications parfois bavardes de Verne. D’Ivoi les réduit au minimum, car pour lui compte avant tout la rapidité du récit. "C’est de l’action qu’il faut pour le lecteur, de l’action sans arrêt", écrit-il à l'un de ses amis (cité par Marie Palewska dans Le Rocambole n.32). La science n’est plus un objet de connaissance à acquérir, mais un simple moyen pour les personnages pour régler les problèmes qui se posent.

Le Docteur Mystère, Paul d'Ivoi, Paris, 1900

Et si chez Verne les possibilités étaient multiples, pour Paul d’Ivoi tout se résume en gros à l’électricité, capable de tous les miracles. C’est par exemple ce que raconte Le Docteur Mystère (1900) : dans une voiture extraordinaire, véritable maison roulante insensible aux balles et utilisant du gaz anesthésiant, le héros observe un appareil pouvant voir au loin au moyen d’écrans :

Cette pièce avait l'air d'un laboratoire. Fourneaux, creusets, alambics, ballons, cornues, éprouvettes, instruments étranges, miroirs métalliques s'alignaient le long des parois, supportés par des planchettes-auges d'aluminium. […] Ici [dit le Docteur Mystère] je réalise le problème inverse, qui consiste à recevoir à distance, sans fils, l'électricité émanant d'un point quelconque. L'électricité, vois-tu, cette puissance dont la nature échappe à l'homme et que je serais disposé à considérer, ainsi que les fakirs, comme l'âme du monde, l’électricité est partout, elle accompagne toute action, tout mouvement. Qu'il s'agisse d'ondes lumineuses, d'ondes acoustiques, le véhicule de ces ondes est l'électricité. Du corps d'un homme qui court, qui parle, qui respire, jaillit l'onde électrique."

De même, il s’éloigne de son prédécesseur par un humour omniprésent, qui tend parfois jusqu’au burlesque. En témoigne par exemple ce dialogue dans Les Cinq Sous de Lavarède :

Dans l'autre hémisphère, tout comme en notre vieux monde, les femmes sont un tantinet bavardes, surtout lorsqu'elles causent avec un élégant cavalier, fut-il en costume sommaire. Lavarède put donc à l'aise faire parler la gente Concha.
- Dites-moi, belle ranchera, savez-vous d'où lui vient ce surnom, Hyeronimo "le Brave" ?
- Oh tout le pays le sait aussi bien que moi.
- Mais, moi, je ne suis pas du pays.
- C'est à la suite d'une de nos révolutions, il y a plus d'un an. C'est lui, dit-elle fièrement, qui a donné le signal du pronunciamento !"

Les leçons de Verne se transforment chez d’Ivoi en anecdotes le plus souvent amusantes, plus propres à faire s’envoler l’imagination qu’à acquérir du savoir. Ses voyages sont également beaucoup plus loufoques : dans les Cinq Sous, Lavarède doit voyager avec très peu d’argent, le héros de Match de milliardaires procède à un véritable tour du monde des prisons. D’ailleurs, sa série ne s’intitule-t-elle pas Voyages excentriques ? La verve de l’auteur est partout. C’est ce qu’indiquait Jean Jullien, représentant de de la Société des Gens de Lettres, dans son éloge funèbre : "C’est la marque caractéristique du talent de Paul d’Ivoi [qu’une] bonne humeur et [un] entrain donnant une saveur bien spéciale aux récits que son esprit alerte et inventif rendait captivant".

Message du Mikado, Paul d'Ivoi, Paris, 1912

Il y a aussi de l’anticipation politique, bien plus que chez Verne : expansion du Japon sur l‘Océan indien (Message du Mikado), guerre contre l’Angleterre (La Capitaine Nilia, Corsaire Triplex), chasse aux occidentaux en Asie (Le Maître du drapeau bleu), conflit sino-américain (Judd Allan, roi des lads). De la même manière existe la découverte ou la description de civilisations disparues, comme les Incas (Les Semeurs de glace), ou une culture oubliée depuis longtemps au pôle nord (Cousin de Lavarède).

Cigale en Chine, Paul d'Ivoi, Paris, 1901

Une autre de ses caractéristiques est d’inclure dans ses histoires l’actualité la plus brûlante : la révolte des Boxers (Cigale en Chine), l’éruption du Mont Pelé (Les Semeurs de glace), le radium (découvert en 1898 et centre de la Course au Radium en 1909 !), etc. Il est également plus nationaliste que Verne. Si chez ce dernier une grande partie de ses héros sont étrangers (surtout anglo-saxons), chez d’Ivoi, ils sont presque tous Français et fiers de l’être : ils ont "l’esprit parisien", courageux, gouailleur, débrouillard. Leurs ennemis sont d’abord blancs, Anglais inflexibles et puritains, Américains grossiers, Allemands brutaux. Mais les peuples colonisés sont parfois représentés comme des barbares balourds et stupides, comme dans presque tous les romans de l’époque. Par exemple voici la description d’un Brahmane, membre d’une secte qui utilise toutes les possibilités (vol, mensonge, enlèvement et assassinat) pour régner sur l’Inde :

Ce sauvage, hideux comme un de ces monstres de pierre qui étonnent dans les bas-reliefs des temples hindous, portait de longs cheveux noirs, ruisselant en cascade embroussaillée sur ses épaules osseuses, amaigries par les jeûnes fanatiques. Son corps était recouvert d'une teinture blanche, et son visage grimaçait effroyablement avec son front peint d'un enduit crayeux d'où partaient des raies de même teinte qui partageaient les joues, le nez, le menton, - en bandes alternées claires et sombres."

Paul d’Ivoi est au demeurant un chantre de la colonisation, et son Sergent Simplet est une ode à l’empire français. Néanmoins, il montre favorablement des populations avides de se libérer du joug étranger (quand celui-ci n’est pas hexagonal !), par exemple dans Le Docteur Mystère, Corsaire Triplex ou Cousin de Lavarède. L’auteur semble au reste n’être pas dupe de ces clichés de l’époque, et ne les utilise que pour mieux faire fonctionner son intrigue et ses différents personnages. Son but apparaît avant tout de créer un type d’aventures à la française, capable de concurrencer sérieusement les romans anglo-saxons qui dominent à l’époque le marché.

Corsaire Triplex, Paul d'Ivoi, Paris, 1898

Paul d’Ivoi est beaucoup plus féministe que Jules Verne, chez qui les femmes ne sont que des personnages diaphanes, et en général plus favorable au sexe dit faible que la plupart des auteurs de son temps. Si les intrigues sentimentales sont très présentes, ses égéries ne font pas que de la figuration. Intelligentes et courageuses, elles participent à l’action, ne se contentant pas simplement d’être sauvées par le héros. Elles se protègent elles-mêmes, quant à leur tour elles ne sauvegardent pas l’existence de leur petit ami. Elles ont souvent un travail, que ce soit ingénieur (Les Dompteurs de l’or), espionne (Message du Mikado) ou commandante de sous-marins (Corsaire Triplex). Mais il ne faut pas exagérer le féminisme de l’auteur : ces citoyennes sont toutes douces, jolies, assez stéréotypée. Et in fine, elles finissent par rentrer dans le rang et devenir de simples épouses.

Les Dompteurs de l'or, Paul d'Ivoi, Paris

Le style de d’Ivoi est simple, sans fioriture, dans une écriture cependant soutenue et enrichie souvent de références classiques. Elle est basée avant tout sur les dialogues, comme la plupart des récits populaires du temps. De même existent des facilités scénaristiques, mais que la bonne humeur et l’inspiration continuelle de l’auteur dissimulent aisément. Cependant, il y a souvent entre le passage du feuilleton dans les journaux et la parution en librairie des corrections du texte pour lisser son expression et éviter les erreurs et les contradictions qui auraient pu se glisser dans la première version.

Les Cinq Sous de Lavarède sont publiés dans Le Petit Journal en 1893 et réédités l’année suivante. On y voit très bien les emprunts au Tour du monde en 80 jours : il s’agit, pour le héros Lavarède, de faire le tour du monde avec jamais plus de cinq sous en poche, sans limite de temps (il lui faudra un an !), pour toucher un héritage. Il y a beaucoup plus de vitesse chez d’Ivoi, de péripéties, d’astuces, et surtout de situations plus ou moins extravagantes : il est reconnu comme étant le Bouddha au Tibet car il descend d’un ballon, il prend la place d’un cadavre pour se rendre en Chine, etc. Et toujours cet humour joyeux. Ce qui ne l’empêche pas, parfois, de se risquer à quelques considérations sociologiques :

San-Francisco - Frisco pour les Américains économes de temps et de paroles - est le port le plus important de l’Ouest-Amérique, et sa rade merveilleuse a été célébrée par maints voyageurs. De toutes les cités américaines, c'est celle qui ressemble le moins à "une ville d'Amérique". La foule ici est plus bigarrée, moins uniforme. Les plaisirs y sont plus éclatants, moins dissimulés. Les gens sont plus "en dehors", moins hypocrites. L'aspect extérieur est plus gai, moins austère. C'est évidemment le séjour le mieux fait pour plaire à un Européen, qui finirait par mourir d'ennui dans certaines rigides et pudibondes cités de la Nouvelle-Angleterre, par exemple."

Autre roman marquant : Le Docteur Mystère, paru en 1900. Rama-Sahib, prince hindou, orphelin, féru de sciences et pétri de culture occidentale, s’affronte à une caste décidée à faire subir sa loi à son pays natal. Le héros n’est plus un noble déchu avide de vengeance, comme Nemo, mais un aventurier désireux de libérer son peuple. Ce récit est plus sombre que les autres, car il y a des morts, contrairement à la plupart des histoires de d’Ivoi. Mais tout se termine bien, et le lecteur va de passages secrets en des coups de théâtre, rencontrant à chaque pas des tigres, des fakirs et de burlesques touristes.

Les Voyages excentriques ont connu un réel succès tout au long du XXe siècle, passant par plusieurs éditeurs différents. Il y eu même deux films tirés des Cinq sous, l’un muet, l’autre parlant (en 1939). Las ! Cette bonne fortune s’est considérablement amoindrie ces trente dernières années. Peut-être parce que les aspects malséants sont plus visibles de nos jours : apologie de la colonisation et mentalité parfois choquante aujourd’hui (les non-européens étant souvent montrés comme des primitifs ridicules). Même si souvent les peuples asservis sont exaltés dans leur désir de libération. De même, on ne voit plus en Paul d’Ivoi qu’un simple imitateur de Jules Verne : trames (voyage autour du monde, jeunes héros en quête d’identité), personnages (Triplex et Mystère remplaçant Nemo), thèmes (anticipations scientifiques et véhicules extraordinaires). Cependant, Paul d’Ivoi est un véritable créateur, en jouant sur l’excentricité, la méfiance envers les savants (souvent criminels), les gadgets (beaucoup plus nombreux que chez Verne, et très étonnants). Malgré donc ses à-côtés vieillis, son œuvre reste savoureuse par l’humour, voire la jubilation de son auteur. Bref, Paul d’Ivoi : un écrivain à redécouvrir !

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