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Camille Pottecher, voix du théâtre populaire

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12 mai 2021

Le 22 Janvier 1913, Camille et Maurice Pottecher enregistrent à la Sorbonne le prologue de "Liberté", pièce écrite par le mari en 1898 pour leur Théâtre du Peuple à Bussang, encore en activité et considéré comme le premier théâtre populaire d’envergure en dehors de Paris. Si l'histoire retient surtout son penseur et créateur Maurice, c’est bien Camille qui forgera plusieurs générations de comédiens et d’acteurs, amateurs comme professionnels à travers ce projet de vie commun.

Georgette Camée et le théâtre symboliste

Née Camille de Saint-Maurice le 16 octobre 1872 à Paris, celle qui se fait appeler Georgette Camée sur les planches, se démarque rapidement pour son talent de comédienne et sa voix à tout juste 18 ans. Elle deviendra l’actrice vedette d’un théâtre symboliste en vogue porté par des figures comme Paul Fort puis Lugné-Pöe. 
A l’aube des années 1890, le jeune Paul Fort fréquente le 28, rue de Pigalle où sont basés les Nabis, groupe de peintres symbolistes, et y posera les fondations de son nouveau Théâtre d’Art . En opposition au drames bourgeois et au théâtre naturaliste, le symbolisme emmené par Fort entend renouer avec des pièces oubliées et une mise en scène épurée. Une des premières représentations du Théâtre d'Art est prévue à la salle Vaudeville, à l’initiative de Fort et en hommage à Gauguin et Verlaine. Par un ami commun, Lugné-Pöe est présenté à Paul Fort dont un des acteurs s’est désisté pour interpréter Don Juan et se retrouvant sans metteur en scène pour diriger “L’intruse” de Maeterlinck. C’est à cette occasion qu’il rencontrera Camée, répétant au pied levé sur le toit du Vaudeville, déjà impressionné par la voix et la prestance de l’actrice.

 


Théatre du Vaudeville en 1877 (Source : State Library Victoria)
 

Un tempérament artiste étonnant, unique dans le domaine poétique, une voix rare, forte, charmante, au service d’une âme qui d’instinct prenait possession non pas d’un rôle mais de l'œuvre. Dans “la première jeune fille” elle fut éclatante. (Lugné-Pöe à propos de Camée)

Le théâtre d’Art légué à Lugné-Pöe deviendra le Théâtre de L'œuvre, toujours avec Georgette Camée en tête de troupe des acteurs.

Rencontre avec Maurice Pottecher 

Maurice Pottecher est né le 19 octobre 1867 à Bussang. D'une famille plutôt aisée d'industriels vosgiens, lui et son frère suivront de longues études. Bachelier à seize ans, le jeune homme poursuivra des études en droit à Paris, où il développera vite une passion pour la poésie et le théâtre. Introduit chez Alphonse Daudet au début des années 1890, il se lie d'amitié à un large cercle d'artistes, de poètes, de journalistes. Au coeur du monde intellectuel parisien, il se rapproche du mouvement symboliste, et notamment du tout jeune Théâtre de l'Oeuvre. Là, il y admire Camée en tant qu'actrice avant d'y faire sa connaissance.

 

Camille et Maurice se marient en 1894, avant de quitter Paris pour suivre les ambitions de Maurice de fonder un nouveau théâtre.

Théâtre du Peuple de Bussang 

En effet, en très peu de temps, la vie du jeune couple semble basculer. Maurice, désabusé par la scène symboliste parisienne, cherchait à renouer avec une certaine vision traditionnelle du théâtre. C’est dans son village natal que Pottecher pensait pouvoir retrouver "le peuple". En 1892, il prit déjà l'initiative d'inviter les ouvriers de l'usine familiale à mettre en scène Le Médecin malgré lui, en utilisant le patois régional. Dès lors il se voua au projet d’animer un théâtre populaire pouvant s'adresser à toutes les couches de la société et attirant un public provincial comme parisien.
Dans cet esprit, il inaugura à Bussang, le 1er septembre 1895, le Théâtre du Peuple, par la représentation de son premier drame populaire : Le Diable marchand de goutte.

 


Première représentation du Théâtre du Peuple en 1895 (Source : Bibliothèques de Nancy)
 

"Par l’art, pour l’humanité", devise originelle qui demeure encore aujourd'hui, Maurice et Camille réussirent à passer l'épreuve du temps avec l’aide de toute la famille Pottecher et de nombreux amis. De 1895 à 1955, son fondateur écrivit trente et une pièces qu’il tâchait de représenter chaque été sans faire appel à des comédiens professionnels. Depuis sa création, cette tradition théâtrale et pédagogique demeure : amateurs et professionnels se donnent la réplique sur les planches de Bussang, forgeant encore une fois l'identité propre du Théâtre du Peuple.
Comme le rapporte Dominique Boisson : "Alors que « le théâtre de la ville, écrivait Pottecher, est réduit à être le simple amusement d’une digestion plus ou moins laborieuse », le théâtre du peuple sera « un éveilleur de conscience » (1899). Il s’agit d’« entreprendre sincèrement l’éducation du peuple, c’est-à-dire de nous tous (...). Combattre l’ignorance en bas et en haut le mensonge, rendre la grossièreté laide, la violence affreuse et l’injustice insupportable... » (1899)". 
L'ambition du couple Pottecher de construire un théâtre nouveau, passe aussi par un lieu exceptionnel ancré dans la nature vosgienne. Si en 1895, la première scène est simplement surélevée dans un champ, le théâtre connaîtra plusieurs transformations au cours du XXe siècle, aidées par les menuisiers et charpentiers locaux, pour donner corps à un lieu unique (classé depuis 1976 comme monument historique) dont la particularité reste sa structure en bois et le fond de scène s'ouvrant sur les collines de Bussang.

 

Scène du Théâtre du Peuple (Source : Archives départementales des Vosges, 4 Fi 81 74)
 

Le Théâtre du Peuple, c'est aussi la voix particulière et célèbre de "Tante Camm", déjà saluée dans ses jeunes années parisiennes. Elle qui a formé Pierre Richard-Willm ainsi que la plupart des acteurs de passage à Bussang, leur transmis l'éloquence et le parlé qui la caractérisait, jusqu'à sa mort en 1957.
 
À l’écoute du disque enregistré par le couple Pottecher à la Sorbonne, Bénédicte Boisson "perçoit une nette différence entre deux choix de diction : celle d’une actrice, ample, colorée, variée, et celle d’un auteur avant tout, plus naturelle, moins timbrée, et dont les effets mélodiques paraissent moins maîtrisés. Sur la scène de Bussang, face à cette vaste salle qui ne sera que progressivement couverte, jouant des textes en prose ou en vers libres non dépourvus d’un certain réalisme, on peut imaginer que Georgette Camée ait adapté son jeu et sa puissance vocale. Mais l’enregistrement de Liberté témoigne d’une cadence inhabituelle, d’un jeu mélodique – de plus en plus chanté au fil du passage, en lien avec le contenu même du texte – et d’une amplitude vocale réelle."

 


Camille Pottecher à 75 ans dans la pièce Burubu 
(Source : Archives départementales des Vosges, 4 Fi 81 271, 1947) 

 Très cher pays, montagnes aux vertes pentes, prés que la belle lumière arrose. Accueille-moi lorsque mon pied se pose sous tes sapins géants et hêtres dorés.  (Prologue de Liberté)

 
Pour découvrir ou redécouvrir les voix d’autres artistes et personnalités féminines, nous vous invitons à suivre les prochains billets de la série « La Voix des femmes », toujours sur le blog Gallica.
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