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Les pastiches de journaux au XIXe siècle

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11 septembre 2018

Si la pratique du pastiche de presse est aujourd'hui très active, ses procédés sont le fruit d'une longue tradition, bien installée depuis la seconde moitié du XIXe siècle.

La presse a été l’objet de contrefaçons humoristiques dès qu’elle a représenté une forme de pouvoir. Ainsi quelques parodies de la Gazette (1631) de Théophraste Renaudot sont publiées dès 1632 : Le Courrier veritable ou la Gazette et nouvelles ordinaires de divers pays loingtains, qui copient principalement les contenus et le style. Si on trouve encore au XVIIIe siècle le Journal-singe (1776) ou le Journal de la cour du Palais (1788), pastiche des Affiches de Rouen, c’est dans la seconde partie du XIXe siècle que ce genre paraît le plus prolifique.
 

Essai de typologie

Trois ensembles de pastiches se côtoient, avec parfois des frontières assez floues.
Tout d’abord les parodies d’un titre de presse existant, célèbre ou nouveau. La Fronde publie, par exemple, un pastiche de L’Univers dans son numéro du 20 septembre 1874, comme L’Éclipse l’année suivante.

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L’Univers et ses pastiches dans La Fronde et L’Éclipse
 
Le Mousquetaire (1853-1857), journal d’Alexandre Dumas, est pastiché au moins deux fois. Un premier Moustiquaire paraît le 2 février 1854, créé par Antonio Watripon et aura trente-six numéros, un deuxième paraît dans Le Tintamare du 5 février 1854.

 

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Le Constitutionnel (27 janvier 1850) et le n° 1 du Constitutionègre
 

Les titres sont identiques, similaires (souvent sous forme de calembours) ou antithétiques. La typographie du bandeau-titre et des rubriques est en partie imitée. Le 22 octobre 1865, Le Tintamarre publie Le Sommeil s'amusant de la parution du premier numéro du Soleil la veille.
 

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Première page du Tintamarre annonçant la publication du Sommeil
 

Un deuxième ensemble se moque des caractéristiques du journal en inventant un titre à l’occasion d’un évènement lié à l’actualité.
Par exemple, en 1857, l’astronome Jacques Babinet, membre de l’Académie des sciences annonce une comète et la fin du monde pour le 13 juin. La presse se déchaîne, hilare (Le Figaro, 12 mars, 16 avril, 23 avril ; Le Journal amusant) et Daumier en fera de nombreuses caricatures dans Le Charivari. Le Tintamarre insère dans son numéro du 5 avril La Comète « journal de M. Babinet, cometier en chef ».
 

La Comète, publié dans Le Tintamarre
 

Le 14 juin, Le Tintamarre célèbrera en chansons la fin du monde qui n’a pas eu lieu et continuera à se moquer de Babinet.
En 1880 La Nouvelle Lune parodie les révolutionnaires russes avec deux numéros du Nihiliste, journal des propres-à-rien (14 et 21 mars 1880). L’actualité de la presse s'y reflète aussi, avec, par exemple, la publication d’un pastiche du Piron en octobre 1880, alors que ce titre pornographique vient d’être interdit.

 

Le dernier ensemble, en décalage complet avec les thématiques habituelles de la presse, est souvent apparenté à la satire de mœurs, jouant sur les catégories de public visé et sur le genre des journaux liés à des catégories socio-professionnelles. Par exemple en 1880 : Le Caissier, journal des francs-fileurs et des francs-filous ; Le Journal des Jésuites, organe clandestin des Expulsés ; Le Journal des Poivrots et des marchands de vin ; Le Biberon, journal des nourrices sèches ; Le Journal des Muffles ; Le Trottoir libre, journal des hommes coureurs et des femmes courues, dont les sujets sont burlesques, absurdes et improbables.

 

Le Journal des Maquillées

Le Journal des Filous

Le Cochon

Le Journal des Belles-mères

 

À quoi les reconnaît-on ?

Dès le bandeau, le lecteur sait qu’il lit un pastiche. Le titre, le sous-titre, les informations du bandeau (prix, nom du rédacteur en chef, adresses de la rédaction et de l’administration) fourmillent de calembours et autres jeux de mots qui ne laissent aucun doute.
 
 
Le rédacteur en chef de La Revue pessimiste se nomme Tristan de Doublenoir, celui du Journal des Demoiselles et des garçons Cupidon.
L’épigraphe, le détail des abonnements, les règles pour les articles non insérés ou les annonces sont généralement cocasses. L’épigraphe du Constitutionègre  « dévoué mais stupide » ;  Le Trottoir libre  « Avec de l’ordre, de l’économie, du travail et une mauvaise conduite, une femme peut arriver à tout. Gil-Blas. » ou celui du Guignon : « Rien pour le peuple ni par le peuple » renversent les principes mêmes de la presse.
 
 
Le texte d’intention annonçant traditionnellement le programme d’un nouveau journal dans le n°1 est lui aussi parodié, par exemple dans Le Procureur  ou Le Communard :
 
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Textes d’intention du Procureur et du Communard
 
La page entière peut être le texte d’intention (Le Journal des Filous).
Toutes les rubriques (feuilleton, faits divers, nouvelles à la main, programme des spectacles, etc.), ainsi que les annonces et publicités font partie du pastiche, avec quelques décalages dans les titres et le style. Le Nihiliste publie des « Faits d’hiver » et le Premier-Paris y devient le « Premier Nihil ». Dans Le Procureur, c’est le « Premier trottoir ». Le Journal des Merdeux accumule rubriques, programme des théâtres et publicités.
 
Le faux journal paraît la plupart du temps gratuitement, encarté dans un autre journal (satirique ou comique) ou est tiré à part. Lorsqu’il est inséré à l’intérieur d’un journal, celui-ci donne souvent des séries, parfois quotidiennement à certaines périodes (Le Figaro, La nouvelle Lune, La Fronde, La Bavarde, L’Éclipse, Le Tintamarre ou Le Journal comique).
Ses « suppléments » pourraient même constituer une réclame humoristique pour le journal. Certains journaux poussent la plaisanterie en proposant des séries dans un seul numéro. La Fronde en offre deux à ses lecteurs dans son numéro du 20 septembre 1874 : « tout acheteur de ce numéro extraordinaire aura droit à un exemplaire de l’Univers et de l’Événement. »
L’Éclipse du 4 avril 1875 propose « 8 journaux pour 2 sous », alors que Le Tintamarre avec le Journal des Traits. propose « Tous les canards en un ».
 
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Lorsqu'ils sont insérés dans un journal et reprennent un titre connu, ils peuvent être du même format que le journal qui les accueille, au format réel ou dans un format plus petit. Dans ce dernier cas, ils peuvent avoir plusieurs pages et le lecteur peut ainsi fabriquer son petit journal : 9 pages pour La Goguette politique et littéraire, inséré dans L’Éclipse ou pour La Lanterne de Rochefort publié dans La Fronde avec une pagination différente.
 
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Les journalistes en créant des pastiches se moquent bien sûr de la presse et du système médiatique, mais aussi d’eux-mêmes.
 
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Après les neuf numéros du Constitutionègre, Le Tintamarre feint de se ridiculiser en publiant une lettre de Joseph Citrouillard alors qu’il attendait un 10e numéro du journal haïtien : « Si vous m’avez cru réellement le rédacteur du Constitutionègre, vous êtes des huîtres ». Joseph Citrouillard est un des pseudonymes de Jean Commerson, lui-même directeur et rédacteur en chef du Tintamarre.
D’ailleurs, un journal peut se pasticher lui-même, ainsi le Figaro et Fi-ga-ro en avril 1858 ou L’Éclipse en avril 1875.
 
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Figaro et Fi-ga-ro, Journal politique et poétique de Kouang-Théou Fou
 
Ces contrefaçons sont la plupart du temps des numéros uniques, même si la mention de la numérotation peut aussi être farfelue. On peut relever quelques exceptions (Le Nihiliste, deux numéros ; Le Journal des Poivrots et des marchands de vin, deux numéros ; L'Autre monde, journal des trépassés, six numéros ; Le Contitutionègre, neuf numéros ; le Journal des Assassins, dix numéros) ou des pastiches qui n’en sont plus comme Le Moustiquaire qui, avec trente-six numéros, semble avoir d’autres cibles.
Enfin les objectifs sont avant tout de faire rire les lecteurs, certains sujets (Émile Zola, l’affaire Dreyfus, les femmes, les hommes, la mort, etc.) sont récurrents.
 
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Le Cambronne, journal naturaliste publié dans La Nouvelle Lune
 

Marie-Ève Thérenty dans son article « Parodies de journaux ou journaux pour de rire » souligne que

« Le rire se produit donc lorsque la transgression contre le dieu journal accompagne un discours immédiatement connoté comme impossible et donc quand le décrochage référentiel est le plus évident.  [...] Les parodies de journal les plus amusantes sont fondées sur des discours carnavalesques, des phénomènes de mundus inversus ou de monde délirant qui se nourrissent de l’effet-support. »

Nous pouvons en voir un exemple détaillé dans le billet de blog Gallica consacré à L'Autre Monde, journal des trépassés.
 
Ce panorama n’est bien sûr pas exhaustif et ne donne que quelques tendances. Attention cependant à ne pas confondre ces pastiches avec d’autres numéros uniques, parfois involontairement comiques, dont la publication servait aux éditeurs pour conserver la propriété d’un titre. Par exemple, Le Journal de la femme, son costume, sa parure et son rôle.

 
Pour aller plus loin, voir l’article de Marie-Ève Thérenty, « Parodies de journaux ou journaux pour de rire », Le Rire moderne, Presses universitaires de Paris-Nanterre, 2013.
 
Remerciements à Dominique Wibault, Marie-Ève Thérenty, Pierre Drouhin, Paul Aron et Jean-Didier Wagneur.

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