Les pastiches de journaux au XIXe siècle
Si la pratique du pastiche de presse est aujourd'hui très active, ses procédés sont le fruit d'une longue tradition, bien installée depuis la seconde moitié du XIXe siècle.
La presse a été l’objet de contrefaçons humoristiques dès qu’elle a représenté une forme de pouvoir. Ainsi quelques parodies de la Gazette (1631) de Théophraste Renaudot sont publiées dès 1632 : Le Courrier veritable ou la Gazette et nouvelles ordinaires de divers pays loingtains, qui copient principalement les contenus et le style. Si on trouve encore au XVIIIe siècle le Journal-singe (1776) ou le Journal de la cour du Palais (1788), pastiche des Affiches de Rouen, c’est dans la seconde partie du XIXe siècle que ce genre paraît le plus prolifique.
Essai de typologie
Trois ensembles de pastiches se côtoient, avec parfois des frontières assez floues.
Tout d’abord les parodies d’un titre de presse existant, célèbre ou nouveau. La Fronde publie, par exemple, un pastiche de L’Univers dans son numéro du 20 septembre 1874, comme L’Éclipse l’année suivante.
Le Mousquetaire, Le Moustiquaire de Watripon (numérisations du projet Édition des journaux d’Alexandre Dumas) et Le Moustiquaire dans Le Tintamare
Le Constitutionnel (27 janvier 1850) et le n° 1 du Constitutionègre
Première page du Tintamarre annonçant la publication du Sommeil
La Comète, publié dans Le Tintamarre
À quoi les reconnaît-on ?
Le rédacteur en chef de La Revue pessimiste se nomme Tristan de Doublenoir, celui du Journal des Demoiselles et des garçons Cupidon.
L’épigraphe, le détail des abonnements, les règles pour les articles non insérés ou les annonces sont généralement cocasses. L’épigraphe du Constitutionègre « dévoué mais stupide » ; Le Trottoir libre « Avec de l’ordre, de l’économie, du travail et une mauvaise conduite, une femme peut arriver à tout. Gil-Blas. » ou celui du Guignon : « Rien pour le peuple ni par le peuple » renversent les principes mêmes de la presse.
Toutes les rubriques (feuilleton, faits divers, nouvelles à la main, programme des spectacles, etc.), ainsi que les annonces et publicités font partie du pastiche, avec quelques décalages dans les titres et le style. Le Nihiliste publie des « Faits d’hiver » et le Premier-Paris y devient le « Premier Nihil ». Dans Le Procureur, c’est le « Premier trottoir ». Le Journal des Merdeux accumule rubriques, programme des théâtres et publicités.
Après les neuf numéros du Constitutionègre, Le Tintamarre feint de se ridiculiser en publiant une lettre de Joseph Citrouillard alors qu’il attendait un 10e numéro du journal haïtien : « Si vous m’avez cru réellement le rédacteur du Constitutionègre, vous êtes des huîtres ». Joseph Citrouillard est un des pseudonymes de Jean Commerson, lui-même directeur et rédacteur en chef du Tintamarre.
D’ailleurs, un journal peut se pasticher lui-même, ainsi le Figaro et Fi-ga-ro en avril 1858 ou L’Éclipse en avril 1875.
Ces contrefaçons sont la plupart du temps des numéros uniques, même si la mention de la numérotation peut aussi être farfelue. On peut relever quelques exceptions (Le Nihiliste, deux numéros ; Le Journal des Poivrots et des marchands de vin, deux numéros ; L'Autre monde, journal des trépassés, six numéros ; Le Contitutionègre, neuf numéros ; le Journal des Assassins, dix numéros) ou des pastiches qui n’en sont plus comme Le Moustiquaire qui, avec trente-six numéros, semble avoir d’autres cibles.
Enfin les objectifs sont avant tout de faire rire les lecteurs, certains sujets (Émile Zola, l’affaire Dreyfus, les femmes, les hommes, la mort, etc.) sont récurrents.
Marie-Ève Thérenty dans son article « Parodies de journaux ou journaux pour de rire » souligne que
« Le rire se produit donc lorsque la transgression contre le dieu journal accompagne un discours immédiatement connoté comme impossible et donc quand le décrochage référentiel est le plus évident. [...] Les parodies de journal les plus amusantes sont fondées sur des discours carnavalesques, des phénomènes de mundus inversus ou de monde délirant qui se nourrissent de l’effet-support. »
Pour aller plus loin, voir l’article de Marie-Ève Thérenty, « Parodies de journaux ou journaux pour de rire », Le Rire moderne, Presses universitaires de Paris-Nanterre, 2013.
Remerciements à Dominique Wibault, Marie-Ève Thérenty, Pierre Drouhin, Paul Aron et Jean-Didier Wagneur.
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