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Les Psychonévroses de guerre

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10 novembre 2020

 La guerre de 1914-1918 par sa durée, par la violence des combats puis par des conditions de vie éprouvantes dans les tranchées a provoqué une multitude de troubles neurologiques et psychosomatiques nouveaux chez les soldats placés en première ligne. Ces psychopathologies vont constituer pour les médecins un terrain d'observations incomparable.

La salle d'isolement et de psychothérapie de la Salpêtrière - salle Pinel, Service du professeur Déjerine - la visite du matin. Extr. de : Les manifestations fonctionnelles des psychonévroses.

Théories divergentes sur l'origine de ces pathologies

Des pathologies inédites apparaissent chez les poilus se traduisant par des tremblements, contractures, sciatiques, paralysies, troubles cardio-vasculaires ou digestifs. A cela s'ajoutent des troubles du comportement : confusion mentale, état de panique, crise délirante. Les psychiatres ont des théories divergentes quant à l'étiologie des psychonévroses de guerre. Pour certains, ces symptômes observables sur des corps qui ne souffraient d'aucune lésion apparente avaient une origine organique : exposition à de nombreux toxiques, effets de souffle et ondes de chocs des explosions provoquées par l'artillerie pouvant causer des dommages aux organes internes. Les médecins militaires de l’époque les désignaient sous différents termes : obusite, shell-shock, vent du boulet, syndrome des éboulés, camptocormie. Pour les autres psychiatres, l'origine est psychique mais là aussi deux écoles s'affrontent : hystéropithiatisme avec une simulation inconsciente (Joseph Babinski, Clovis Vincent) ou prédisposition des constitutions émotives ou anxieuses (Jules Déjerine, partisan d'une cure d'isolement ou son élève Gustave Roussy). Ce dernier alerte d'ailleurs l'opinion publique sur un nombre exponentiel de cas depuis le début du conflit. Joseph Grasset, neuropsychiatre chargé d'un service de traitement des blessés atteints de lésions traumatiques du système nerveux, établit une distinction entre trois sortes de psychonévroses, celles dues à une commotion étant les plus graves. 
Selon le diagnostic établi, on envoie les commotionnés dans les hôpitaux à l'arrière du front. Tandis que les pithiatiques ou hystériques subissent un traitement à base de conversations persuasives, isolement,  faradisation ou électrothérapie dans les asiles ou les centres neurologiques. Le but affiché étant de les renvoyer rapidement en première ligne.

Paralysie hystérique-pithiatique
 (Collection de la BIU Santé)

Recours inévitable à l'expertise médicale

La psychonévrose de guerre va avoir comme conséquences des désertions ou des refus d'obéissance aux supérieurs hiérarchiques. Or il était crucial de ne pas se priver de chair à canon sans compter que cela aurait pu avoir un effet contagieux sur le reste des troupes. C'est pourquoi les récalcitrants qui refusent de rejoindre leur poste sont convoqués devant des conseils de guerre à l'issue desquels ils seront condamnés à des peines d'emprisonnement ou au peloton d'exécution. Toute la difficulté consistant à  dinstinguer les simulateurs des malades mentaux, l'Armée va avoir recours à l'expertise médicale des aliénistes et neurologues. C'est ainsi qu'en 1915 mais surtout lors des mutineries de 1917 on fait appel à l'expertise d'un ancien chef de clinique des maladies mentales, Paul Voivenel  (1880-1975). L'homme est d'ailleurs assez iconoclaste en la matière puisque selon lui, l'opinion de l'officier supérieur direct serait plus pertinente que celle d'un éminent spécialiste se trouvant à l'arrière du front.
 

Paul Voivenel. Extr. de : Art et médecine, 1932

Un neuropsychiatre empathique

Dès le début du conflit, le docteur Voivenel part dans un poste médical avancé comme aide-major d'un régiment d'infanterie et va y rester pendant toute la durée de la guerre. Il était particulièrement bien placé pour observer le comportement de ces hommes conditionné par une peur omniprésente de la mort. Plein d'empathie à l'égard des accusés, il réussit chaque fois à convaincre les tribunaux militaires puisqu'aucune condamnation n'est prononcée dans sa division. Les déserteurs ne doivent plus être considérés comme des lâches ou des révoltés mais des blessés du système nerveux : il s'agit d'indiscipline morbide.

Lui-même n'est pas exempt du sentiment de peur ambiant et afin de le conjurer, il décide de prendre des notes lors des accalmies dans les tranchées. Avec son confrère le médecin divisionnaire Huot, ils vont rédiger trois ouvrages (le Courage, le Cafard, la Psychologie du soldat) publiés en 1917 et 1918 dans lesquels ils s'attachent à décrire les nouveaux comportements psychologiques individuels et collectifs induits par la guerre comme la confusion mentale grégaire passagère :

Bulletin de la Société clinique de médecine mentale, 1917

La peur morbide acquise

Dans la continuité de ses observations sociologiques sur le terrain, Voivenel aborde l'aspect psychopathologique des troubles anxieux. Avec son expérience de neuropsychiatre, il a pu observer la variabilité extrême de l'état nerveux des sujets "normaux" due non seulement à des émotions violentes, mais aussi à des petites émotions se répétant indéfiniment  et sapant ainsi de façon plus insidieuse l'intégrité psychique des soldats - sans parler des commotions et des blessures. S'il ne nie pas l'importance du facteur héréditaire qui va aggraver les symptômes dans les cas d'émotivité morbide, il admet aussi des causes émotionnelles dans l'étiologie des troubles psychiques. De cette analyse découle son concept novateur de la peur morbide acquise suite à une hémorragie de la sensibilité avec des symptômes physiques et psychiques. Ces désordres apparaissent soit immédiatement après un assaut, soit circulent à bas bruit pour se manifester après plusieurs mois sur le front. Armand Bacharach abonde dans son sens dans son ouvrage Etude sur l'étiologie des troubles émotionnels dans les psychonévroses des guerre :

La simple peur de se savoir près du lieu de l'explosion a suffi, dans un cas de Wiltshire, pour provoquer une crise nerveuse. On connait à côté de la thanatophobie, la peur de la mort, qui peut s'imposer à la suite du danger, la nécrophobie qui est la peur morbide des cadavres, et dont on connait l'effroyable influence sur les soldats qui reviennent du front. Ce sont surtout les nouveaux, les inaccoutumés qui en souffrent, et pour beaucoup l'aspect des cadavres mutilés, en partie putréfiés, était plus terrible que les corvées les plus dangereuses. Pour les émotifs surtout, ces spectacles peuvent être d'une impressionnabilité ineffaçable qui dépasse toute limite, et je me rappelle d'un sergent névropathe qui ne voulait à aucun prix retourner au front, non pas à cause du danger, mais pour ne plus voir ces horreurs : « J'en ai assez, c'est fini; je n'y retourne pas; faites de moi ce que vous voulez, mais c'est plus fort que moi. »

Voivenel distingue des pathologies différentes selon les situations : accès confusionnel ou délirant avec fugues et désertions pendant les combats tandis que la vie dans les tranchées déclenche neurasthénie et dépression. 
Il semble avoir été entendu par le général Pétain qui prône la nécessité du repos émotionnel dans une circulaire de 1917. Une avancée certes, mais qui n'empêchera pas des milliers de soldats d'être gagnés par la folie : on recensait encore 4000 aliénés de guerre dans les asiles en 1933. En 1992, un décret du Ministère de la Défense entérine l'état de stress post-traumatique.

 

Pour aller plus loin :

 

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