L'introduction de l'arbre à pain aux Antilles
Originaire de l’Océanie et de la Polynésie, l’arbre à pain a été introduit aux Antilles à la fin du 18ème siècle, et les colons pensèrent utiliser son fruit pour nourrir les esclaves. De nos jours, il est répandu dans la plupart des îles des Antilles, et le fruit à pain, cuisiné de diverses façons, appartient au patrimoine culinaire antillais.
Vue dans les îles Radak, aspect de l'arbre à pain
Les scientifiques classent l’arbre à pain dans la grande famille des Moracées, et dans cette famille au genre des Artocarpées. Ils ont donné le nom botanique d’Artocarpus altilis, Artocapus incisa, ou encore Artocarpus communis à la variété la plus courante.
Au 18e siècle, des botanistes célèbres en donnent une description botanique, comme c’est le cas du docteur Linné dans son Supplementum plantarum (1781). L’arbre à pain y est décrit sous le numéro 1426 (Artocarpus), mais le nom de « Artocarpus communis Forster » lui fut donné par le naturaliste Georg Forster embarqué sur le Resolution sous le commandement du capitaine James Cook pour son voyage autour du monde entre 1772 et 1775 (Revue de botanique appliquée et d’agriculture coloniale, bulletin n°221, 1er janvier 1940, p. 25 à 33).
La fin du 17e siècle et le développement économique des Antilles
Après la dissolution de la Compagnie des Indes occidentales (1674), Colbert prend en main le développement des Antilles et de la Guyane ; à sa suite, tout au long du 18e siècle, les ministres de la Marine suivront la même politique. La création à Paris en 1666 de l’Académie des sciences va servir l’entreprise initiée par Colbert : encourager la culture des plantes économiques dans les colonies, mais aussi en implanter de nouvelles.
Cependant, la grande époque du développement de l’agriculture est la seconde moitié du 18e siècle qui voit la création de nombreuses sociétés d’agriculture et en particulier la Société royale d’agriculture de Paris.
La Société royale d’agriculture de Paris : son rôle dans le développement agricole des Antilles
Aux Antilles, entre 1759 et 1763, quatre chambres d’agriculture sont créées, une à la Martinique (à Saint-Pierre), une à la Guadeloupe, et deux à Saint-Domingue (au Cap français et à Port-au-Prince).
C’est dans ce mouvement général que la Société royale d’agriculture de la Généralité de Paris est créée en 1761. Elle ne prit cependant un véritable essor qu’à partir de 1785 et devint en 1788 la Société royale d’agriculture. Elle a désormais une vocation nationale par la volonté royale. En effet, dans le Règlement fait par le Roi du 30 mai 1788, (Trimestre d’été 1788, pages III à IV), Louis XVI érige la Société royale d’agriculture en institution de centralisation du savoir agricole. Elle est ouverte aux savants étrangers (article II) et compte parmi ses « Associés étrangers » le Britannique Joseph Banks, expert en botanique et en questions agricoles, conseiller du gouvernement britannique pour les affaires coloniales, et président de la Royal Society de 1778 jusqu’à sa mort en 1820. Il sera à l’origine du transfert de l’arbre à pain de Tahiti vers l’île de Saint-Vincent sous le commandement de William Bligh.
Aux Antilles, les correspondants sont très actifs. En 1788 et 1789, la majorité des sujets publiés dans les Mémoires d’agriculture (publication de la Société royale d’agriculture) concernent les Antilles : « Mémoire sur les épiceries de l’Inde naturalisées dans la Guiane » (Trimestre d’automne 1788, pages 28 à 36) , « Mémoire sur la conservation des bananes et sur la manière d’extraire la fécule des ignames » (Trimestre d’automne 1788, p. 13-19), « Observations sur différentes espèces de cotonniers cultivés à la Guadeloupe » (Trimestre d’automne 1788, pages 118 à 131), « Note sur les serrures de bois dont se servent les Nègres aux Antilles » (Trimestre d’hiver 1789, pages 20 à 24). Moreau de Saint-Méry à Saint-Domingue, le Dr Cassan à Sainte-Lucie se feront l’écho de l’acclimatation ou de projet d’introduction de l’arbre à pain dans les îles.
La création et le rôle des jardins botaniques dans les îles
Selon François Regourd, « soutenus par la Société royale d’agriculture, les jardins botaniques implantés dans les colonies constituaient le fer de lance du projet de développement économique ». Il existait déjà des jardins botaniques dans l’océan Indien sur l’île Bourbon (La Réunion) et sur l’île de France (île Maurice). Le ministère de la Marine en fonda deux aux Antilles, à Saint-Domingue (1777) et l’année suivante en Guyane (1778).
Un des objectifs de ces jardins botaniques, dirigés par des spécialistes, était d’organiser la collecte et le transport de plantes depuis les jardins botaniques de l’océan indien (île Bourbon et île de France) vers ceux des Antilles. Hippolyte Nectoux, jardinier en chef du Jardin du Roi à Saint-Domingue, publie dans les Mémoires d’agriculture (Trimestre d’hiver 1791, pages 110 à 123) ses « Observations sur la préparation des envois de plantes et arbres des Indes Orientales pour l’Amérique, et leur traitement pendant la traversée ». Les observations d’Hippolyte Nectoux sont accompagnées de modèles de caisses destinées à les conserver pendant une traversée de plusieurs mois, à les protéger du soleil, des intempéries, des rongeurs et des tempêtes « qui occasionnent des coups de mer capables de détruire en un instant tous les fruits des plus longs voyages » (Trimestre d’hiver 1791, pages 118 à 119).
L’introduction de l’arbre à pain aux Antilles et en Guyane
La variété avec graines, le chataignier-pays
Le naturaliste Pierre Sonnerat avait introduit à l’île de France (île Maurice) et à l’île Bourbon (La Réunion) des plants d’arbres à pain qu’il avait rapportés de Nouvelle Guinée en 1772. En 1788, le ministre de la Marine et le Jardin du Roi confient au jardinier-botaniste Joseph Martin la mission de rapporter de l’Île de France vers les Antilles des plants d’arbres à pain et d’arbres à épices. Une partie de ces plants était destinée à Saint-Domingue. Joseph Martin arrive en Guyane avec l’arbre à pain en juin 1788. Le correspondant de la Société royale d’agriculture Baron Daniel Lescallier, commissaire ordonnateur à Cayenne mentionne dans son Mémoire sur les épiceries de l’Inde naturalisée dans la Guiane (Trimestre d’Automne 1788) le dépôt de quelques plants dans l’habitation « La Gabrielle » « entr’autres l’arbre à pain mais la plupart morts ou en mauvais état ». A la suite de sa mission, le jardinier Joseph Martin recevra une médaille d’or de la Société royale d’agriculture au cours de la séance publique du 28 décembre 1789 « pour avoir transporté de l’isle de France, dans nos colonies des Antilles les arbres à épices et l’arbre à pain » (Trimestre d’automne 1789, page XIII).
C’est ainsi qu’une première variété d’arbre à pain fut introduite à Cayenne, en Guyane, et à Saint-Domingue. Quelques années après, cette introduction fit l’objet d’un article intitulé « Sur la culture de l’Arbre-a-Pain et des épiceries à la Guyane française » dans le Journal d’Histoire naturelle, (volume 2, 1792, pages 72 à 80). L’auteur de l’article, G.A. Olivier, cite une lettre du botaniste-jardinier Joseph Martin écrite de Cayenne et datée du 6 février 1792 annonçant que « l’Arbre-à-Pain est multiplié, et [que] l’on ne court plus les risques de le perdre » (page 73). Il précise, en effet, « avoir au moins cinq ou six cents de ces arbres à délivrer aux Colons cette année » et par ailleurs « avoir récolté des fruits qui contenaient jusqu’à quatre-vingt et cent graines, de la grosseur d’une châtaigne » (page 80). Il s’agit de la variété à graines appelée en créole chataignier-pays.
L’acclimatation de la variété à graines (chataignier-pays) à Saint-Domingue
Parallèlement aux naturalistes dans les jardins botaniques, les colons travaillent au développement agricole des îles.
A Saint-Domingue, dès l’introduction de la première variété de fruit à pain, des particuliers s’efforcent de l’acclimater sur les « habitations ». Moreau de Saint-Méry relate dans sa Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle de Saint-Domingue (1797-1798) comment un planteur, M. Belin, prend soin d’un arbre à pain planté le 7 août 1788. Il surveille son développement jour après jour pour donner le 28 décembre 1788 « un tronc d’un pied, d’où partait un jet de 4 pouces et demi, de 7 lignes de diamètre, ayant des feuilles de 17 pouces de long » (tome 1, page 653).
La variété sans graine, le fouyapen
L’introduction de l’arbre à pain dans les Antilles britanniques
Le rôle du jardin botanique de Saint-Vincent
Vue des rochers d'Otahiti sur la description de M. Banks et Solander
dans leurs Voyages autour du Monde en 1768
Échanges de graines, échanges intellectuels entre botanistes français et anglais
Comme dans les Antilles françaises, des échanges de plantes ont lieu entre les jardins botaniques des îles du vent : la mangue et la cannelle introduites par Lord Rodney à la Jamaïque en 1782 sont envoyées dans le jardin botanique de Saint-Vincent. Mais surtout, bien que ces îles soient l’enjeu de la rivalité entre la France et l’Angleterre et passent tantôt sous domination française, tantôt sous domination anglaise (traité de Paris 1763, traité de Versailles 1783) des échanges intellectuels existent entre les botanistes.
En 1779, l’île de Saint-Vincent est prise par les Français. Le gouverneur de la Martinique, le général de Bouillé était, comme le Dr George Young, un botaniste distingué : de 1780 à 1783, date à laquelle Saint-Vincent passe définitivement sous la domination anglaise par le Traité de Versailles, le comte de Bouillé et le Dr Young échangent des plantes entre la Martinique et Saint-Vincent. Le Dr Alexander Anderson succède au Dr George Young à la direction du jardin botanique en 1785. Passionné de botanique, il avait attiré l’attention de Joseph Banks, président de la Royal Society, en découvrant à Sainte-Lucie une variété locale d’une écorce péruvienne, dont on pouvait extraire la quinine, très utilisée à l’époque contre les fièvres.
Les relations qu’il entretient avec les botanistes des colonies françaises sont fructueuses : en 1787, on lui envoie la girofle de la Martinique, et en 1809, deux arbres de noix de muscade de Cayenne. Le Dr Anderson fait d’ailleurs remarquer dans ses écrits que le jardin botanique de Saint-Vincent doit aux Français ses variétés les plus précieuses (Alexander Anderson, The Saint Vincent Botanic Garden, edited and transcribed by Richard A. and Elisabeth S. Howard, Cambridge, Massachussetts : Arnold Arboretum, 1983).
Cartes de l’île de Saint-Vincent et de la Barbade par Thomas Jefferys (1775)
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