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Eiffel, le triomphe d’un ingénieur-entrepreneur de génie

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Constructeur audacieux et inventif, homme d’affaires avisé, Gustave Eiffel laisse au monde un immense patrimoine de structures métalliques qui façonnent le paysage d’innombrables villes, régions et pays. La tour Eiffel, symbole de sa réussite, est connue de tous les Français et s’exporte dans le monde entier. Le centenaire récent de la disparition de Gustave Eiffel est l'occasion de revenir sur son parcours. 
 

Gustave Eiffel, Atelier Nadar, 1888

Gustave Eiffel est né le 15 décembre 1832 à Dijon. Il étudie à l’École centrale des arts et manufactures à Paris, où il se spécialise dans la métallurgie. Il obtient son diplôme d’ingénieur en 1855. Sa mère, qui a des relations dans le domaine de la métallurgie, lui fait rencontrer en 1856 Charles Nepveu, entrepreneur parisien spécialisé dans la construction métallique. Il travaille pour plusieurs entreprises d'ingénierie et acquiert une expertise dans la construction de ponts en métal.

Les réalisations de Gustave Eiffel ou la volonté d’être toujours à l’avant-garde de la technique

Sa première grande réalisation est le pont ferroviaire de Saint-Jean à Bordeaux en 1858 en collaboration avec Paul Régnauld, auteur du Traité pratique de la Construction des ponts et viaducs métalliques. Par cette réalisation longue de 510 mètres, il prouve ses compétences d’ingénieur, mais aussi de chef de projet, par une prouesse technique sur un fleuve aussi large. Le pont est livré à temps en moins de deux ans.

Bordeaux, Pont du chemin de fer, 1870

Fort de cette expérience, Gustave Eiffel s’installe à son compte en 1864 comme entrepreneur spécialisé dans les charpentes métalliques. Il met en œuvre plusieurs techniques et stratégies pour assurer le succès de son entreprise. Il travaille en collaboration avec des experts ingénieurs, architectes et des techniciens hautement qualifiés pour travailler sur ses projets, favorise la collaboration et l'échange d'idées pour trouver des solutions créatives aux défis techniques rencontrés. Il investit dans la recherche et le développement de nouvelles technologies et méthodes de construction dans une préoccupation constante d'amélioration et d'innovation, de façon à optimiser les processus de construction pour garantir l'efficacité et la rentabilité de ses chantiers.

Le talent de cet ingénieur-entrepreneur, c’est sa vivacité à saisir toute nouvelle idée ou projet, mais aussi sa grande capacité à s'entourer de brillants collaborateurs. Il s'associe à Théophile Seyrig en 1868 pour le concours international ouvert par la Compagnie royale des Chemins de fer portugais portant sur la réalisation d’un viaduc ferroviaire qui permet de franchir une vallée de 400 mètres de large dont 150 mètres occupés par le fleuve Douro. Léon Boyer lui confie la réalisation du chantier de construction du Viaduc de Garabit qui rend possible le franchissement des gorges de la Truyère. Il est inauguré en 1884, date à laquelle est conçue la tour Eiffel. Enfin, Gustave Eiffel s'adjoint les services d'Émile Nouguier à partir de 1875 et Maurice Koechlin à partir de 1879, les deux collaborateurs à l’origine de la tour de 300 mètres.

S’ajoute à cela une conception novatrice d’assemblage qui lui vaut de surclasser ses concurrents. Il produit avec une très grande rigueur l’ensemble des pièces dans ses ateliers pour n’avoir qu’à les monter sur les chantiers, ce qui évite des frais sur place. Grâce au perfectionnement des techniques de montage, il est plus rapide sur le temps de construction, ce qui réduit considérablement les budgets. Un rapport de M. Schlemmer, inspecteur des Ponts et Chaussées et ancien directeur des chemins de fer, présenté à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, salue l'intérêt considérable qu'apporte cette innovation. 

Gustave Eiffel se montre également visionnaire en matière de marketing et de promotion de ses réalisations : il promeut ses projets à travers des expositions, des publications et des événements publics, ce qui lui permet de gagner en notoriété et d'attirer de nouveaux clients. Il publie plusieurs monographies relatant la construction de la tour Eiffel : une version de luxe tirée à peu d'exemplaires et offerte à des bibliothèques, des universités, des sociétés scientifiques et des personnalités, et également une version pour le grand public qui est commercialisée. C’est aussi la mise en place d'escaliers et d’ascenseurs, pour permettre les visites de la tour, ou encore l'ouverture de restaurants et boutiques.  

Gustave Eiffel remporte plusieurs grandes commandes d'édification de viaducs et de bâtiments à structures ou charpentes métalliques. Il est sollicité pour une gare en Hongrie en 1875 ou encore l’Observatoire de Nice en 1878 pour lequel il dessine lui-même le croquis. Dans l’ancienne Indochine, il construit des ponts portatifs : ces ponts en kit ont rapporté gros à la Société Eiffel et annoncent une méthode de fabrication qu’il développera plus tard sur la tour de 300 mètres. Ayant étudié la résistance au vent des constructions métalliques, il est sollicité pour concevoir l’ossature de la statue de la Liberté de New York.
 

Ponts de Rach-Lang et Dong-Nhyen (Vietnam) ; Statue la liberté à New York

La tour de 300 mètres ou le couronnement d’une vie à repousser les limites des défis humains et scientifiques

La construction

En 1884, la France se porte candidate à l’Exposition universelle de 1889 dans le cadre du centenaire de la Révolution française de 1789, pour des raisons politiques, industrielles et commerciales. Il fallait une exposition éclatante et donc réaliser un exploit technique. Dans son ouvrage Travaux scientifiques exécutés à la tour de 300 mètres, de 1889 à 1900, Gustave Eiffel évoque la hantise des hommes à construire une tour de très grande hauteur et les essais antérieurs qui ont eu lieu. Selon Émile Monod, auteur de L’exposition universelle de 1889, Il aurait déjà eu le projet d’une tour en 1879. En 1884, Eiffel avec ses deux collaborateurs, Émile Nouguier et Maurice Koechlin, dépose un brevet pour constuire une pile de pont de plus de 300 mètres de haut. A la fin de cette même année il rachète les droits de ses deux collaborateurs pour rester seul dépositaire de ce qui deviendra la tour Eiffel.

Comprenant que cette tour pourrait être la principale attraction de l’Exposition universelle, Gustave Eiffel s’investit corps et âme et présente à la Commission en 1885, le projet novateur qui consiste en une tour en fer puddlé de 300 mètres de hauteur.

Exposition Universelle de Paris en 1889. La tour Eiffel, le plus haut monument du globe. Affiche, 1888

Le projet n'est pas exempt de critiques. Quarante-sept artistes parmi lesquels Maupassant ou Alexandre Dumas fils fustigent ainsi la future « inutile et monstrueuse tour Eiffel » dans Le Temps du 14 février 1887. Gustave Eiffel leur répond dans le même numéro : « Parce que nous sommes des ingénieurs, croit-on donc que la beauté ne nous préoccupe pas dans nos constructions et qu’en même temps que nous faisons solide et durable nous ne nous efforçons pas de faire élégant ? ». A cela s’ajoutent les doutes sur la faisabilité du projet et les tergiversations sur son emplacement. Eiffel réussit cependant à convaincre les autorités avec son projet et obtient le 8 janvier 1887 la convention l’autorisant à construire la tour de 300 mètres.

Parce que nous sommes des ingénieurs, croit-on donc que la beauté ne nous préoccupe pas dans nos constructions et qu’en même temps que nous faisons solide et durable nous ne nous efforçons pas de faire élégant ?

La construction débute en 1887 et s'achève en 1889, en seulement deux ans, deux mois et cinq jours. Il s'agit d'un exploit d'ingénierie sans précédent à l'époque, qui utilise des techniques de construction métallique révolutionnaires. Pour les fondations, quatre immenses piliers se dressent, destinés à soutenir l’énorme poids de la tour. Des arbalétriers sont posés sur la maçonnerie et les montants de la tour sont disposés en porte-à-faux. Ensuite, un système complexe de charpenterie métallique se déploie, résultat de précis calculs d’ingénierie. Des milliers de rivets fixent chaque pièce métallique. La tour se termine par un campanile avec un phare qui lance ses feux tout autour de Paris dans un cercle d'un rayon de 70 kilomètres. Le travail est périlleux et les ouvriers se mettent en grève pour protester contre la dangerosité au fur et à mesure que la tour s’élève. Gustave Eiffel, qui veut tenir les délais, accepte de faire un geste financier et les ouvriers reprennent le travail.

Monod, Émile. L'Exposition universelle de 1889. Tome 1. E. Dentu, 1890

La construction de la tour Eiffel s'achève dans les temps, ce qui vaut à Eiffel la Légion d'honneur. Elle rencontre immédiatement un immense succès. Elle est inaugurée le 31 mars 1889. Ce jour-là, Gustave Eiffel gravit les 1 710 marches de la tour et prononce un discours qui sonne un peu comme une revanche de celui qu’on avait accusé d’être à la solde de la Prusse à cause de ses origines allemandes : « Mes chers amis, Je viens d'éprouver une grande satisfaction, celle d'avoir fait flotter notre drapeau national sur le plus haut édifice que l'homme ait jamais construit. Nous voici au bout de notre tâche ; mais, pour l'atteindre, que d'efforts ont été faits par nous tous, soit comme intelligence, soit comme travail ! ». Gustave Eiffel rentre dans l’Histoire : il est à l'apogée de sa carrière.

Exposition Universelle Paris 1889. M. Eiffel au sommet de la tour. Neurdein frères, 1889

Le financement

La tour Eiffel est financée par la société exploitante de l'Exposition universelle de 1889, qui alloue un budget pour la construction de la tour comme mentionné à l’article 7 de la convention du 8 janvier 1887. Édouard Ackroy dans la préface qu'il signe pour L'Exposition universelle de 1889 d'Émile Monod revient longuement sur ce financement.

Le coût total de la construction de la tour Eiffel s'élève à environ 7,8 millions de francs français et Gustave Eiffel finance une grande partie de la construction lui-même, en utilisant des fonds provenant de ses propres entreprises et de ses investissements personnels. Il obtient également des prêts et des investissements de la part de partenaires financiers pour compléter le financement du projet. Cependant la tour Eiffel, comme tout monument conçu pour une exposition universelle, était vouée à être démontée. Gustave Eiffel négocie afin que la tour ne le soit pas pendant 20 ans pour pouvoir rentrer dans ses fonds. De plus, une fois terminée, la tour Eiffel est exploitée comme une attraction touristique payante, ce qui permet de générer des revenus pour rembourser les coûts de construction et assurer la rentabilité de l'investissement.

Gustave Eiffel quitte les affaires pour la science et sauve la tour de sa destruction

Après la réalisation de la tour Eiffel, Gustave Eiffel continue à travailler sur de nombreux autres projets d'ingénierie à travers le monde. Il réfléchit même à la construction d’un métro, ou encore à la création du Tunnel sous la manche. 

On sait l’attachement de Gustave Eiffel pour le monde scientifique comme le prouve son discours à la conférence Scientia du 13 avril 1889. Il abandonne finalement les affaires au profit des sciences. Conscient que seule l’utilité scientifique de la tour peut prolonger sa durée de vie, il permet la réalisation de nombreuses expériences scientifiques : installation d'un laboratoire aérodynamique ; recherches expérimentales sur la résistance de l'air. Il n’aura de cesse de sauver sa tour de la destruction en démontrant son utilité : au lendemain même de l’inauguration, Gustave Eiffel installe au troisième étage un laboratoire de météorologie. Il la propose aussi comme support d’antenne monumentale. Ainsi, le 5 novembre 1898, Eugène Ducretet réussit à établir une liaison radio en morse depuis la tour Eiffel jusqu'au Panthéon distant de quatre kilomètres. Un poste émetteur est alors installé à demeure. La tour poursuit dès lors sa fonction d’émetteur et de récepteur de radio diffusion. C’est de là que sont captés nombre de messages allemands pendant la guerre de 1914. L’interception en mars 1918 d’un radiogramme codé permet de déjouer l’attaque allemande et dès lors de renverser le cours de la guerre, jusqu’à la victoire finale. L’intérêt stratégique de la tour était ainsi amplement démontré. Par la suite, Radio Tour Eiffel émet régulièrement à partir de décembre 1921.

La tour Eiffel aujourd’hui

L’héritage de Gustave Eiffel en tant qu'ingénieur visionnaire et entrepreneur innovant perdure. Le clou de l’exposition universelle de 1889 scintille pleinement dans le ciel de Paris. C’est au pied de la tour Eiffel qu’est tiré le feu d’artifice du 14 juillet et elle est désormais le symbole de la capitale française et un site touristique de premier plan. Depuis son ouverture au public, elle a accueilli plus de 300 millions de visiteurs. Aujourd'hui, la gestion financière de la tour Eiffel est assurée par la Société d'Exploitation de la Tour Eiffel (SETE), qui veille à la rentabilité économique de la tour tout en préservant son patrimoine historique et architectural. 

Voir aussi

Sélection Expositions industrielles et universelles, dans Les Essentiels de l'économie

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