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L'histoire tourmentée d'une rivière : quand la Bièvre disparaît

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8 octobre 2020

La Bièvre disparaît peu à peu devant l'urbanisation croissante et l'intensité des activités artisanales et industrielles le long de ses rives. Au XIXème siècle, elle est endiguée, enterrée, déviée dans les égouts parisiens. Ainsi, ce beau ruisseau ne coule plus « en rossignolant ».

[Rue de Bièvre] : [dessin]. 18..

Au XIXème siècle, la Bièvre apparaît encore à certains endroits comme une rivière naturelle, malgré les aménagements hydrauliques qui y ont été construits. Mais la pression démographique s’accroît à Paris comme en banlieue où, à partir de 1846, le Sud de la capitale est desservi par les lignes de Sceaux et de la Grande ceinture.
La vallée s’urbanise progressivement, rendant imperméables des surfaces considérables provoquant crues brutales et fortes inondations.

 
Ces phénomènes ne sont cependant pas nouveaux. Parmi les plus violents, citons ceux de 1479 et du 1er avril 1579, la Bièvre s’étant transformée en un torrent en grande furie noyant plusieurs personnes.

Dans Paris, la pression sur le cours d’eau devient de plus en plus forte, notamment par les rejets qui s’intensifient. On a peine à comprendre qu'un si faible ruisseau, puisse alimenter une aussi grande quantité d'ateliers, dont plusieurs sont remarquables par leur étendue, leur importance et le nombre d'ouvriers qu’ils emploient.

A cela s'ajoutent les petits affluents de la Bièvre qui amènent les eaux viciées des tanneries et autres activités.
Alexandre-Jean-Baptiste et Charles Pavet de Courteille citent, parmi les établissements parisiens déversant leurs effluents : de grands hôpitaux (ceux des Petits-Enfans-Trouvés, du Val-de-Grâce, les hospices des Vénériens et de la Pitié), des maisons de santé, quatre casernes, des écoles, couvents, mais également un vaste amphithéâtre d'anatomie employé toute l’année soit aux vivisections, soit aux macérations, et la prison de Sainte-Pélagie. Il faut également compter avec les fabriques de bleu de Prusse, des brasseries, des fabricants de mottes à brûler. Il semble que tous les nourrisseurs s’y soient réunis ce qui contribue beaucoup  à infecter l'air et les ruisseaux du voisinage, surtout lorsqu'on y élève des cochons.

Ainsi, comme l’écrit Huysmans :

« La Bièvre, si joyeuse et si bleue à Buc, plus malingre, plus noire à mesure qu'elle s'avance épuisée par les constants labeurs qu'on lui inflige, impotente et putride alors qu'ayant terminé sa lourde tâche, elle tombe, exténuée, dans l'égout qui l'aspire d'un trait et va la recracher au loin, dans un coin perdu de Seine ».
Eh oui, la Bièvre n'est qu'un fumier qui bouge ! mais elle arrose les derniers peupliers de la ville ; oui, elle exhale les fétides relents du croupi et les rudes senteurs des charniers […]

La Bièvre devient tout naturellement source de maladies.
Dans un rapport demandé en 1789 à la Société de médecine sur l’état de la rivière et sur les moyens d’assainir ses abords, de préserver les riverains de plusieurs maladies qui offraient des symptômes graves et alarmants, le professeur Hallé préconisa de nombreuses mesures : combler bassins et canaux latéraux et faire refluer leurs eaux vers le lit naturel de la rivière, retirer les moulins, réduire les obstacles, faire paver ou daller le fond pour faciliter le nettoyage et curage mensuel, couvrir les égouts, éviter les angles aigus…
Quelques années plus tard, MM. Parent-Duchatelet et Pavet de Courteille rendirent hommage au médecin. En effet, des enquêtes dont les conclusions seront confirmées par le docteur Esquirol qui dirige un établissement d’aliénés, montrèrent les progrès sanitaires apportés par les travaux effectués : « Ce n'est pas sans éprouver une vive satisfaction, que nous pouvons rassurer les habitants sur les résultats de l'influence que peuvent avoir les exhalaisons de la Bièvre sur la santé de ceux qui y sont exposés, soit passagèrement, soit d'une manière continue ».

Des mesures destinées à fluidifier le cours de la rivière se poursuivent néanmoins. Vers 1835, des barrages régulateurs sont réalisés. Sur la suggestion de François d'Arago, des puits artésiens sont ouverts pour alimenter la Bièvre par des eaux souterraines pendant les étiages.


Puits artésien de la Butte aux Cailles : [photographie] / Atget, Eugène (1857-1927). 1898-1901

A Paris, entre 1826 et 1830, les bords de la rivière sont bétonnés, afin d'éviter les infiltrations des eaux polluées dans les sols et la nappe. Le Conseil municipal approuva d'autres projets de transformation de la rivière : la construction de cunettes pour uniformiser la pente, l'aménagement d'une réserve d'eau au-dessus du boulevard des Gobelins servant de chasse, afin de provoquer l'évacuation rapide des eaux.

À Paris, la rivière parcourt 5 kilomètres. A partir de 1840, elle est progressivement recouverte, intégrant ainsi le réseau d’assainissement parisien. La Bièvre morte est détournée dans le collecteur Bièvre (ou Égout Rond) posé quelque temps auparavant entre Cachan et Gentilly; la Bièvre vive est dirigée vers la galerie du collecteur Colonie, futur collecteur Pascal.


La Bièvre en deux bras, bd. d'Italie n° 77 et 79 : [dessin] / [Jules-Antoine Chauvet].1893

En 1852, M. Mary, inspecteur général des Ponts et chaussées, signalait que, certaines années, les étangs de Versailles servaient à assainir la Bièvre, par le versement rapide d'une importante quantité de leurs eaux, afin de chasser celles infectées par les déjections des buanderies, des tanneries et autres établissements insalubres existant sur les bords de la rivière. Les machines de Marly ayant été complétées et perfectionnées, un traité fut conclu le 17 octobre 1860 entre l'administration des Domaines de la Couronne et le département de la Seine. Les Domaines s'engageaient à verser chaque année dans la Bièvre, pendant la période d'étiage, 1 500 000 mètres cubes d'eau. Mais en 1870, tous les biens de la Couronne retournèrent à l'État et ce dernier ne souhaita pas renouveler l'engagement, déclarant que les eaux des étangs suffisaient à peine au service hydraulique de Versailles.
Afin que la capitale soit alimentée avec une eau de qualité au débit régulier, le préfet Haussmann et Eugène Belgrand mirent en oeuvre en 1856 le réseau d'alimentation en eau encore en service de nos jours.


Siphon de la dérivation de la Dhuys / Ecole nationale des Ponts et chaussées. 1873

En 1880, le Conseil municipal de Paris adopta un programme d'assainissement de Paris : le tout à l'égout, un système déjà mis en place dans de nombreuses grandes villes comme Londres.


Atlas de Paris et de la Région parisienne / Association universitaire de recherches géographiques et cartographiques. Paris, 1967

Le journal « L’Intransigeant » du 2 avril 1895 revient sur l’histoire de la Bièvre : la construction des collecteurs dans lesquels ses deux bras seront conduits et la destruction méthodique de tous ses biefs, source de pollutions.

Au moment où Belgrand entreprit l'établissement d’un réseau de collecteurs, la Bièvre était déjà tellement infectée par l'usage que l’industrie avait fait de ses eaux, elle était si bien considérée dès lors comme un véritable égout à ciel ouvert, qu’un des premiers soins du directeur des Eaux et Égouts fut de jeter tout le débit de la rivière dans le nouveau collecteur général de la rive gauche, auquel il donna même le nom caractéristique de collecteur de la Bièvre.
Au début du XXème siècle, il était encore possible de voir la Bièvre morte dans le XIIIème arrondissement. Les photographes Charles Marville et Eugène Atget ont ainsi pu laisser des témoignages visuels sur la rivière avant qu’elle ne disparaisse de la vue des Parisiens.

La topographie des quartiers parcourus par la Bièvre sera entièrement réaménagée. En 1852, des terrassiers travaillant à la construction d’un égout, rue Geoffroy-Saint-Hilaire, mirent à jour, à une profondeur de 6 à 7 mètres, le lit d’une petite rivière, affluent de la Bièvre, sur laquelle était encore un pont de pierre en parfaite conservation.


Entrée de la Bièvre sous terre rue de Tolbiac. Aquarelle de Chauvet. Musée carnavalet. 1887

Dès 1860, des travaux de comblement de la vallée de la Bièvre furent entrepris. Interrompus par la guerre de 1870, ils ne reprirent qu’après l’ouverture de la rue de Tolbiac en 1877 qui traversait en remblai la largeur de la vallée. Le nivellement d’une hauteur moyenne de 15 mètres ne fut terminé qu’en 1924. Les dénivelés étaient en effet à certains endroits impressionnants : 11 mètres à l'emplacement des rues Vergniaud et Wurtz ouvertes postérieurement, entre la rue de Tolbiac et le fond de la vallée, et 19 mètres rue du Moulin des Prés.
Depuis 1912, la Bièvre cesse totalement de couler à ciel ouvert dans Paris. Ses eaux sont intégrées au réseau d’assainissement et dirigées vers des stations d’épuration. La Bièvre a ainsi perdu son statut de cours d’eau. Aujourd’hui, seuls quelques médaillons placés au sol témoignent de son parcours parisien (Ancien lit de la Bièvre – Bras vif ou Bras mort).


Gentilly : La Bièvre : [photographie] / [Eugène Atget]. 1915-1927
 

Certains tronçons continuent de couler librement jusqu’en 1935 à Arcueil.
En 1956, elle est entièrement enfouie sur les onze kilomètres de son tracé, entre Antony jusqu’à Paris. Quelques années plus tard, elle le sera jusqu’à Verrières-le-Buisson.

Que sera la Bièvre demain ?
La mobilisation pour sauver la vallée date des années 60. C’est en 1968 que l’association Les amis de la vallée de la Bièvre est créée. En 2000, la Communauté d’agglomération de Val de Bièvre se dote de la compétence « valorisation de la Bièvre » et en 2007, la rivière retrouve son statut de cours d’eau.
A l’heure du changement climatique, la Bièvre à ciel ouvert, tout au moins sur certains tronçons, permettrait de créer un îlot de fraîcheur, de favoriser la biodiversité, de requalifier le paysage.
La Bièvre aval a fait l’objet de projet d’aménagement dans le Val-de-Marne. Découverte en 2016 sur un tronçon à L'Haÿ-les-Roses, la Bièvre poursuivra sa remise à l’air libre, à horizon 2021, sur un nouveau tronçon à Arcueil et Gentilly.
Mais qu’en est-il à Paris ? La Bièvre s’écoule toujours dans le déversoir Bièvre-Watt. Alors qu’il est démontré que les températures baissent de plusieurs degrés aux abords immédiats des cours d’eau, une découverture partielle de la rivière serait un atout pour les communes traversées, les promeneurs, la faune, et la flore.

Pour compléter ce billet :
. le parcours Gallica Seine et cours d’eau
. le billet de blog Histoire tourmentée d'une rivière : de la Bièvre paysage à la Bièvre laborieuse

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