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Aux origines de la route des Grandes Alpes - II

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5 juillet 2019

La route des Grandes Alpes, cet itinéraire en haute altitude qui chemine du lac Léman jusqu'à la mer Méditerranée, permet aux touristes en villégiature et aux cyclistes du Tour de France d'admirer un panorama majestueux à travers les hauts massifs. Second volet de l'épopée consacrée à cette route des grands cols

Barcelonnette-Briançon : Route des Alpes, service de transport automobile assuré par la compagnie PLM. Hameau du Châtelard et Fort Tournoux [à d.] : [photographie de presse] / [Agence Rol]

 

 

 

En 1912, les pouvoirs publics se sont emparés du projet de route des Alpes. Dès février, dans les débats préalables à l’adoption de la loi, le Sénateur de Savoie, César Empereur plaide pour la participation de l’Etat à la construction « des routes de tourisme ».
 

La loi du 5 avril 1912 qui décrète le classement d’une nouvelle route nationale à travers les Alpes, marque le soutien définitif des pouvoirs publics à la construction de ce nouvel itinéraire touristique. La revue mensuelle du Touring Club de France exulte
 « Le très significatif empressement montré par le Parlement […] témoigne de l’intérêt de plus en plus grand soulevé par l’idée du tourisme en France, de la place de plus en plus importante prise par ce dernier dans les préoccupations des pouvoirs publics »

 

 

Briançon-Grenoble [Route des Alpes, service de transport automobile assuré par la compagnie PLM,] glaciers du Casset et le pic des Agn[eaux, vue prise près du village du Casset] : [photographie de presse] / [Agence Rol]

 

Quels transports sur la route ?

Lorsqu’est menée l’enquête d’utilité publique, à partir de 1910, se pose la question des moyens de transport de la future route. La compagnie des chemins de fer Paris-Lyon Méditerranée (PLM), ancêtre privé de la SNCF, qui exploite un vaste réseau ferroviaire mais pas dans les Alpes, se porte candidate pour assurer un service d’autocars sur la route.
 
Le TCF, par la voix de Léon Auscher, ne cache pas sa satisfaction dans son bulletin de septembre 1912 : « Une compagnie de chemins de fer qui crée, sur près de 600 km, une ligne d’automobiles sur route ! Quel signe des temps et de quel heureux augure pour l’avenir du tourisme ».
 
La compagnie PLM lance alors une grande campagne publicitaire, dont le point d’orgue doit être un voyage inaugural à Nice, le 3 juillet 1911. La route est encore loin d’être achevée mais la presse s’emballe « Nul, s’il ne l’a déjà parcourue, ne peut agréablement se rendre compte du merveilleux panorama qui se déroule aux yeux du touriste, comme une bande magique de cinématographe » peut-on lire dans l'Univers illustré.
 
 
Arrivée des cars alpins devant le châlet du P.L.M. : [photographie de presse] / Agence Meurisse

 
 

Sur cet axe vont circuler les fameux « cars alpins » assurant un service touristique soumis aux horaires des correspondances ferroviaires. Comme l’indique Léon Auscher, « le développement du tourisme dans une région est en raison directe de l’accroissement de ses moyens de transport ». Le maillage est assuré sur les pentes alpines.
 

La Route des Alpes sur papier glacé

Plusieurs initiatives accompagnent alors le développement touristique du nouvel itinéraire. Henri Ferrand, géographe grenoblois, l’un des fondateurs du club alpin français section Isère en 1874 et qui préside désormais la société des touristes du Dauphiné, publie, en 1912, La Route des Alpes. Cet ouvrage richement illustré détaille par le menu, c’est à dire par les étapes et leurs variantes, l’itinéraire complet qui mène de Nice à Evian. Une sorte de « topo » pour automobiliste en villégiature.
 
Dans la même veine, le TCF – assurément soucieux que le gouvernement tienne ses promesses d’achèvement de la route – offre à « Raymond Poincaré, président de la République », ainsi que l’indique sa reliure en cuir du plus bel effet, La Route des Alpes. L’ouvrage multiplie les clichés des splendeurs alpines qui émaillent la route tout autant qu’il rappelle que l’itinéraire n’est pas encore finalisé dans sa version initialement projetée, "la route future, la vraie" peut-on d'ailleurs lire en introduction du recueil.
 
En 1913, la compagnie Paris Lyon Méditerranée (PLM) assure néanmoins la traversée intégrale de la route des Alpes, parcourue en 5 étapes. Les cols de l’Iseran et de la Cayolle, toujours inaccessibles, empêchent l'emprunt d'un tracé aérien au plus près de la ligne de crête ; des travaux d’élargissements et de mise aux normes doivent encore être menés sur plusieurs sections de la route des Alpes mais enfin les premiers touristes affluent pour profiter de cet itinéraire provisoire.
 
Et alors que le 10 août 1914, le président de la République, Raymond Poincaré, est convié à inaugurer en personne le tronçon du col de la Cayolle, l’entrée en guerre de la France, dix jours plus tôt, ajourne le voyage présidentiel planifié par le Touring Club de France.

 

"Où en est la route des Alpes?"

Au lendemain du premier conflit mondial, la route est en suspens.

Le service des cars automobiles PLM avait, durant la guerre, réduit son parcours en s’arrêtant à Briançon. Il est rétabli le 1er juillet 1919 jusqu’à la « Riviera ». Parrallèlement, le 16 décembre 1920, la RN 202 devient officiellement « route des Alpes ».
 

En février 1921, le Touring Club de France se fend d'un dossier intitulé : « Où en est la Route des Alpes ? », dans sa revue mensuelle. A l’appui d’une réponse du groupe parlementaire du tourisme à la Chambre, présidé par le député de Savoie, Antoine Borrel, le TCF liste les sections de la route classée en 1912 qu’il reste encore à aménager ou à construire. Parmi elles la route de l’Iseran demeure l’épine qui empêche l’itinéraire de s’élever sur les hauteurs majestueuses du massif de la Vanoise. Lapidaire, le TCF conclut « Il reste donc un gros effort à faire »
 
Perspective schématique de la route des Alpes publiée dans la Revue du Touring Club de France, février 1921

 

Mais en ces lendemains de guerre, la priorité n’est pas à construire une route touristique, qui plus est sur les contreforts escarpés des Alpes qu’il a fallu défendre quelques années plus tôt. Les travaux trainent, le tracé initial voulu par le TCF s’enlise. Alors, face à l’inertie des pouvoirs publics, l’association de tourisme décide de reprendre la main et publie, dans sa revue de juillet 1930, un article en forme de lettre de mission « Pour achever la route des Alpes ». Et c’est à nouveau Antoine Borrel, également président du Conseil général de Savoie, qui est à la manœuvre :
La Route des Alpes, ce n’est pas seulement le nom d’un itinéraire conçu par des techniciens et des artistes pour le plus grand avantage des voyageurs et pour le renom de nos sites ; la « route des Alpes », c’est une vraie route, un vrai grand chemin, tracé, taillé, creusé, suspendu, accroché au pied, au flanc, parfois à la crête des monts : une œuvre d’ingénieur qui mérite de passer dans l’histoire comme elle est déjà dans la géographie (...) La route des Alpes affronte la montagne intégrale, naguère inaccessible ; elle cotoie les glaciers et les précipices ; elle sinue le long des champs de neige et surprend les torrents  à leur source. C’est la route des escalades, des sites tragiques, des lacets obstinés

 

A l’Iseran, Borrel ajoute un passage dans le défilé du Bonhomme qui relierait Bourg Saint Maurice à Saint Gervais, plus précisément les Chapieux à la route de Notre Dame de la Gorge qui mène aux Contamines-Montjoie. Le tracé initial du TCF envisageait également ce passage en bordure du massif du Mont-Blanc : « La zone du col du Bonhomme particulièrement belle et attachante est pratiquement inaccessible dans l’état actuel des choses ».
 
Ce projet sera finalement abandonné pour le plus grand bonheur des randonneurs puisque le col deviendra un passage éminent de la grande Traversée des Alpes (autrement connue sous le nom de GR5), mais à pied cette fois. Un rapport du Sénat concernant le budget 1931-1932 des travaux publics souligne « il reste à achever la construction de la route des Alpes, pour laquelle les lacunes à combler ont une longueur de plus de 100km, et représentent une dépense de 80 millions au moins ».
 

 

Iseran, point culminant

 

 

A l'été 1935, enfin, la route du col de l’Iseran, plus haute route d’Europe, est terminée. Entamé en 1929, il aura fallu 6 années et près de 600 ouvriers pour achever ce chantier et ouvrir « le plus beau tronçon touristique de la route des Alpes françaises », selon le mot d'Henry Onde. Le 10 juillet 1937, le président de la République en personne, Albert Lebrun, emprunte "une voiture automobile" jusqu'au sommet du col pour une inauguration officielle.
Cette inauguration marque pour le tourisme une conquête nouvelle. La Route des Alpes va drainer vers ces régions un grand nombre de voyageurs français et étrangers. Il n’est pas un automobiliste qui ne voudra éprouver à ces altitudes le moteur de sa voiture

 

Et se passer des 225 kilomètres qu'il fallait auparavant parcourir pour rallier Bonneval et Val d'Isère. Le col de l'Iseran a été emprunté à 7 reprises par le Tour de France depuis son ouverture. Il le sera une huitième fois, le vendredi 26 juillet 2019 lors de la 19e étape, comme point culminant de cette édition du Tour.

 

Quant à la route des Alpes, rebaptisée "route des Grandes Alpes" par un comité réuni à Vars en 1950 pour relancer cet itinéraire après-guerre, il faudra attendre le tronçon du Cormet de Roselend, entre le Beaufortain et la Tarentaise, dernier aménagement routier qui donnera à la route son visage actuel.

 

Laissons le mot de la fin sur la route, à Henri Ferrand qui n'aura pas ménagé sa plume pour se célébrer l'itinérance à travers les Alpes françaises : « Liaison de toutes les beautés grandioses de nos Alpes, synthèse des énergies et des élégances, cette heureuse création ne peut que grandir et se développer, en mettant à la portée de tous les merveilles les plus renommées de la terre française ». Eu égard à sa fréquentation aujourd'hui, il avait vu juste.
 

Bibliographie

 

 

 

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