Marcelle Auclair et "Marie-Claire", réseaux littéraires et journalistiques (2/4)
Marcelle Auclair a porté le projet de ce nouvel hebdomadaire féminin et utilisé ses réseaux de relations journalistiques et littéraires pour concevoir les sommaires. Elle a été la grande figure du magazine, aussi bien pour la rubrique Beauté que pour ses conseils de toutes sortes.
Marcelle Auclair, « Un miroir, un sourire », Marie-Claire, 1er février 1942
Marcelle Auclair avant Marie-Claire
Marcelle Auclair (1899-1983) est la fille de l’architecte Victor Auclair, qui fit une grande partie de sa carrière au Chili. À 20 ans, elle écrit à Yvonne Sarcey (Cousine Yvonne) qu’elle vient de fonder à Santiago le Salon des Annales et cette dernière l’annonce dans Les Annales politiques et littéraires. À 23 ans, de retour à Paris et munie d’une lettre de recommandation du diplomate et poète Henri Hoppenot pour Adrienne Monnier, elle va rencontrer dans la librairie de cette dernière, La Maison des Amis des Livres, de nombreux écrivains : Valery Larbaud qui la conseillera pour ses premiers romans, Léon-Paul Fargue et Jean Prévost, alors secrétaire de rédaction du Navire d’Argent.
Les Nouvelles littéraires, 16 octobre 1926
Elle traduit des auteurs espagnols ou sud-américains comme Ramón Gómez de la Serna et publie son premier livre Changer d'étoile en 1926, préfacé par Valery Larbaud ( avec quelques extraits en avant-première dans Le Crapouillot en janvier 1926).
Quelques mois auparavant, elle s’est mariée avec Jean Prévost, normalien, ancien élève d’Alain et jeune auteur Gallimard. Ils écrivent, traduisent ensemble, notamment Ricardo Güiraldès.
Ils ont rapidement trois enfants Michel, Alain et Françoise Prévost. Ils multiplient tous deux les travaux alimentaires dans différents titres de presse, plus rémunérateurs que la littérature.
La Femme de France, 21 octobre 1934
Marcelle Auclair collabore aux Annales politiques et littéraires entre 1924 et 1928, puis à L’Intransigeant l’année suivante. À partir de 1931, elle publie régulièrement des articles ou des feuilletons dans La Femme de France, et va incarner le "type de la femme nouvelle", mère, intellectuelle, sportive et élégante.
Portrait de Marcelle Auclair, 13 septembre 1931 ; annonces, 26 mars 1933 et 13 janvier 1935
Un couple d’écrivains-journalistes : Littérature, hygiène, sport et beauté
En 1933 elle signe dans La Femme de France une rubrique sur la culture physique, où elle présente des exercices que Jean Prévost a conçus pour elle, et en 1935 une seconde rubrique « Parlez-moi d’amour ». Fin 1932, elle remplace Colette pour la page « Beauté mon beau souci » de l’hebdomadaire Marianne, créé par Gaston Gallimard en octobre. À partir de 1934, elle rédige pour Paris-Soir de petits échos. Jean Prouvost lui demande alors de s’occuper de la « Page de la femme » de Paris-Soir qui paraît le jeudi et ensuite de celle de Paris-Soir dimanche.
Marcelle Auclair signe seule, mais Hervé Mille raconte dans ses souvenirs Cinquante ans de presse parisienne ou La nuit du Strand que le couple travaillait ensemble :
Jean Prévost était toujours le passager clandestin du tandem, c’était un spectacle qui ne manquait pas de piquant que celui de ce gaillard sportif initié aux bagarres du Quartier latin, abandonnant un roman, une traduction, ou une étude sur Stendhal pour vanter les mérites d’un cosmétique ou expliquer comment il fallait se servir d’un shampoing.
Un des premiers ouvrages de Jean Prévost était d’ailleurs Plaisirs des sports, essais sur le corps humain (1925).
11 juin 1937 ; 2 juillet 1937 ; 5 novembre 1937
Les débuts de Marie-Claire
Les premiers numéros de Marie-Claire sont fabriqués de façon assez artisanale. Marcelle Auclair signe généralement les rubriques Beauté et Mode, Jean Prévost Sport et Culture physique :
Jean Prévost, 26 mars 1937 ; 7 mai 1937
Ils se répartissent les rubriques Hygiène, Santé, Vie pratique, Conseils pour la vie de couple, vie en famille, les vacances ou l’éducation des enfants. Des photographies faites en famille servent même à illustrer les articles.
Articles de Jean Prévost illustrés d’exercices en famille 18 juin 1937 et 9 juillet 1937
L’équipe était probablement éclectique et très réduite. De nombreux articles ne sont pas signés ou de pseudonymes assez transparents. « Anne Fauvet », par exemple, est le titre d’un roman de Marcelle Auclair, Anne Fauvet ou l'Assortiment difficile. Jean Prévost est aussi « Jean Prey » ou « Monsieur Monocle » qui signait des chroniques avec Marcelle Auclair dans Paris-soir Dimanche.
Lecture et littérature dans Marie-Claire
Dans le n°2 (12 mars 1937) Gaston Bonheur publie « Marguerite Audoux, la maman de Marie-Claire ». C’est le seul articles qui établit un lien entre le titre du magazine et le roman Marie-Claire (prix Femina 1910) de Marguerite Audoux (1863-1937). Celle-ci est morte le mois précédent le lancement du magazine. Toutefois il faut sans doute chercher ailleurs les raisons qui ont déterminé le choix du titre, dont certaines sont racontées dans les souvenirs de Marcelle Auclair ou d’Hervé Mille.
Cependant le profil et la culture littéraire de Marcelle Auclair et Jean Prévost expliquent en partie l’importance donnée à la littérature au début du magazine.
5 mars 1937, n°1
Si une des parties du sommaire s’intitule « Lecture », la rubrique « Livres » ou « Conseils de lecture » est assez irrégulière et placée généralement au milieu d’informations pratiques très variées. Claude Mauriac rédige « Le livre de la semaine » à partir de juin 1937, qui disparaît assez vite. En 1939, « Vos amis les livres » présente Le Piéton de Paris de Léon-Paul Fargue, Georges Simenon et Marcel Aymé. Des listes de conseils de lecture sont publiées, de temps en temps, puis de moins en moins. Cela reprend un peu pendant la guerre. L’éditorial du 20 janvier 1942, « Parlons d’autre chose » cite Haute Solitude de Léon-Paul Fargue « un des gros succès d’édition de cette année ».
La liste des auteurs publiés est assez hétéroclite, tout comme le genre des textes : fiction, roman-feuilleton, chronique, souvenirs, conseils. Un des auteurs les plus représentés est Colette. À partir d’août 1938, elle donne quelques textes à Marie-Claire : des chroniques, une nouvelle et des réponses pour Le Courrier de Marie-Claire. Elle est surtout l’invitée du n°100 en janvier 1939 « fait par Colette » dont elle signe plusieurs articles : « Pourquoi je les aime », « La chatte », « Je suis bien chez moi, et vous ? » et « J’aime être gourmande ».
Colette, 18 août 1939
L’année suivante, un numéro Colette vous parle contient sept articles : « Jeunes femmes d’aujourd’hui, Colette vous parle », « Je suis restée une paysanne… », « Colette vous parle d’amour » ou « L’amour filial, Sido et moi ».
Le magazine accueille régulièrement des pages de Léon-Paul Fargue, Gaston Bonheur, Henry Bordeaux ou Pierre Bost. On trouve quelques textes de François Mauriac, Jacques de Lacretelle, Germaine de Beaumont, Irène Némirowsky (août 1938, octobre 1939, février 1940 et mai 1940) ou Titayna. Quelques collaborations de Blaise Cendrars « Quelque part en France » (un reportage sur la vie dans les villages en octobre 1939), Joseph Kessel, Francis de Miomandre, Gérard d’Houville ou encore Claude Roy.
Irène Némirowsky, 5 août 1938
Irène Némirowsky, octobre 1939
Sans compter un nombre important de signatures inconnues, oubliées ou inattendues comme Arlette de Pitray (arrière petite-fille de la comtesse de Ségur) ou le spécialiste de mots croisés, Max Favalelli, futur animateur de télévision. Bien sûr Marcelle Auclair et Jean Prévost fournissent, en plus de leurs chroniques, énormément de fictions et même des romans-feuilletons.
Jean Prévost, 8 juillet 1938 ; 4 novembre 1938
Au fil des années les conseils de lecture et les auteurs littéraires disparaissent au profit de nouvelles adaptées de l’anglais ou même du norvégien « Alfred et le coup de foudre », d’histoires « vraies » et de fictions aux titres accrocheurs « La secrétaire et son secret » ou « À cet instant, Bettina entra… ». On y trouve aussi quelques surprises comme ce feuilleton « Il n’avait jamais pensé à elle » de Curt Riess, écrivain allemand qui, après avoir fui le nazisme en 1933, est journaliste dans l’équipe de Paris-Soir.
Les écrivains célèbres sont souvent sollicités pour des enquêtes ou des jeux. Paul Valéry ou Jean Cocteau répondent à « Quels sont les livres que toute jeune fille doit connaître » ; Titayna et Joseph Kessel à « Quelle est la plus jolie ? ». Colette, André Maurois, l’abbé Mugnier, la princesse Bibesco ou Marcel Achard donnent leur opinion à propos de la jalousie. En avril 1942 Marie-Claire interroge Cocteau, Léon-Paul-Fargue ou encore Colette pour un nouveau jeu : « J’aurais voulu connaître…»
On verra que certains ne dédaignent pas non plus participer au « Courrier de Marie-Claire ». Il faut dire que le magazine offrait une rémunération très intéressante.
Retrouvez les autres billets de la série "Marie-Claire, le nouveau magazine de la femme" :
- 1937, création de Marie-Claire (1/4)
- Marie-Claire, le grand écart de la ligne éditoriale (3/4)
En ce moment à la BnF :
Marie-Claire, magazine de la femme moderne ? Présentation de documents en salle B.
Du 19 novembre 2024 au 5 janvier 2025, la salle de la Presse consacre une sélection de documents patrimoniaux au magazine Marie-Claire.
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