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"Marie-Claire", le grand écart de la ligne éditoriale (3/4)

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Valorisant jeunesse, beauté et succès, Marie-Claire encourage les femmes à développer leur personnalité et à prendre leur destin en main. Cependant, cette ligne éditoriale moderne se mêle à une autre, plus traditionnelle, qui prône le sens de la famille, du devoir et de la morale.

26 mars 1937

Depuis Marie-Claire quasiment toute la presse féminine s’organise autour d’un triple objectif : informer, distraire, conseiller. Les sommaires, qui évoluent peu, au-delà de leurs recherches typographiques, balayent une très grande variété de rubriques pour s’adresser à des femmes de tous âges, parisienne ou provinciale, mariée ou divorcée, mère de famille avec une activité professionnelle ou demeurant au foyer.

28 janvier 1938 ; 22 avril 1938 ; 10 juin 1938

Cependant, lorsque l’on feuillette le magazine, l’image de la femme qui en ressort est celle d’une épouse et d’une mère, qui travaille, cuisine, tricote, jardine, bricole, tout en étant élégante, maquillée, bien habillée et cultivée ; une « femme idéale », dont la définition gêne même Henry de Montherlant !

11 février 1938 ; 8 juillet 1938

En effet deux courants se côtoient et amènent le magazine à faire un véritable grand écart. Une vision très traditionnelle de la femme lui rappelle ses devoirs de femme mariée et de mère de famille (« Êtes-vous une épouse modèle? ») et l'autre, plus moderne, l’incite à développer sa personnalité et à prendre son destin en main pour être actrice de son bonheur (« Savez-vous que le bonheur est là, tout près de vous »).

Marie-Claire et son mari

23 juillet 1937 ; 16 septembre 1938

La norme est celle de la vie de couple avec, par exemple, ces « 10 commandements du bonheur quotidien » qui placent la femme au service de son mari. On aura aussi tous les conseils pour recevoir des invités à l’improviste « Allo ! Chérie… ».

17 mars 1939

 « Vos maris sont si fragiles » explique comment nourrir un mari qui travaille pour qu’il ne meure pas avant sa femme.

11 juin 1937 ; 14 janvier 1938

La seconde ligne éditoriale est celle de l’optimisme pour trouver l’amour et pour tous les moments de la vie quotidienne, car « Le bonheur se gagne chaque jour », « Soyez de bonne humeur » et « Sachez tirer parti de vos petits ennuis ».

23 avril 1937

Ces deux lignes se confondent souvent puisqu’il s’agit de trouver le bonheur dans le mariage et d’être jolie et de bonne humeur pour plaire à son mari : « Les hommes aiment les femmes gaies… » ou « Pour plaire à l’homme que vous aimez »

25 février 1938

La grande affaire, qui revient de numéro en numéro, c’est l’amour : « Jeunes filles, le véritable amour le voici… ». Un bel exercice de style pour Marcelle Auclair, puisqu’il n’y a pas d’amour sans mariage, il n’est jamais question d’amant et la part d’indépendance de la femme mariée est toujours limitée.

Couverture et page intérieure, 10 février 1939

Vers une certaine forme d’indépendance ?

De cette hétérogénéité manifeste ressortent de façon surprenante des rubriques d’informations pratiques sur le droit des femmes. Dès le n°1, une série « La loi, mesdames » par l’avocate et militante féministe Yvonne Netter (1889-1985), qui a soutenu une thèse en 1923 sur L'indépendance de la femme mariée dans son activité professionnelle, déclinent toutes les informations utiles aux femmes : « Mesdemoiselles, choisissez bien votre mari et le régime matrimonial sous lequel vous vivrez », « La rupture de la promesse de mariage », « Quel est le nom de la femme mariée ? »). D’autres juristes interviendront « Pour obtenir une pension alimentaire »  ou « Le meilleur contrat de mariage ».

Des rubriques renseignent sur les carrières féminines « Jeunes filles, avez-vous pensé à ces carrières ? » (infirmière, speakerine, couturière, monitrice d’éducation familiale et ménagère ou conductrice à la Croix-Rouge). Rien de révolutionnaire, pourtant quelques métiers moins typiquement féminins sont suggérés comme celui d’ingénieur-chimiste.

7 juin 1941

Lentement certaines évidences de la ligne traditionnelle sont remises en question. Dans « Le travail des femmes est un problème » (décembre 1940), Marcelle Auclair invite ses lectrices à réfléchir. Le fait même de pointer ces difficultés et de les écrire, est déjà une avancée.

14 décembre 1940

Marcelle Auclair soutient aussi, avec mesure, une répartition des tâches ménagères dans le couple :

J’estime qu’une stricte collaboration s’impose, mais il ne faudrait tout de même pas exagérer et laisser au mari les corvées ménagères. 

4 juin 1937

François Mauriac affirme quelques semaines plus tard que la revendication de toutes les femmes est celle de la « paix du ménage ».

Ces contradictions sont visibles dans tout le magazine et pour tenter de les adoucir, Marie-Claire utilise l’humour et tente d’établir un dialogue entre les hommes et les femmes. Cela commence avec le très caricatural « Moi, j’épouserai une provinciale » de Léon-Paul Fargue. Suzanne Normand réplique quinze jours plus tard avec l’« Éloge de la parisienne », où elle épingle les clichés sur la provinciale et sur les femmes.

25 février 1938 ; 2 septembre 1938

En février 1938, le magazine propose à ses lectrices de mieux comprendre les hommes. Puis en mai Pierre Bost tente le « Yumph », curieux concept sur l’attrait entre homme et femme et se fait sévèrement contredire par une lectrice « C’est vous messieurs qui n’avez pas de « Yumph ». Pendant l’été 1938, Marcelle Auclair tente des médiations : « Conseils aux maris, ce que vos femmes n’osent pas vous dire » et « Conseils aux jeunes gens, si les jeunes filles vous disaient ce qu’elles pensent ».

En avril 1939, un numéro fait par des hommes, montre que la pédagogie mise en œuvre est peu efficace ! Pierre Bost enfile les clichés dans « Nos quatre vérités… et quelques autres » et surtout la rubrique Tricot nous ramène à la contradiction centrale imposée à la femme qui doit plaire et être une bonne ménagère : « Tricotez pour nous mais pas devant nous ! »

Couverture et page intérieure, 7 avril 1939

17 mars 1939

Marcelle Auclair répond au numéro fait par des hommes « Que feriez-vous sans nous, que ferions-nous sans vous ? », avec notamment ce « Du tac... au tac... », franc et sévère :

28 avril 1939

À nouveau, en janvier 1943, « Les hommes sont parfaits, affirme Pierre Bost, Êtes-vous de cet avis madame ? Ah ! non répond Marcelle Auclair »

20 janvier 1943

On assiste ainsi à des chamailleries de couples, présentées avec humour sans pour autant qu’une évolution profonde se fasse sentir.

Ces petites querelles seront laissées de côté pendant la guerre. La presse féminine ne parle quasiment jamais de politique ou d’actualité. Cependant les messages de Marcelle Auclair « L’élan de l’espoir » ou « Vous ne renoncerez jamais » prennent un autre sens. Maris et fiancés sont mobilisés ou en permission, et Marie-Claire continue à conseiller ses lectrices, de façon comique :

19 janvier 1940

Ou de façon touchante « En parlez-vous aux enfants ? ».

 

Retrouvez les autres billets de la série "Marie-Claire, le nouveau magazine de la femme" :

- 1937, création de Marie-Claire (1/4)
- Marcelle Auclair et Marie-Claire, réseaux littéraires et journalistiques (2/4)

En ce moment à la BnF :

Marie-Claire, magazine de la femme moderne ? Présentation de documents en salle B.
Du 19 novembre 2024 au 5 janvier 2025, la salle de la Presse consacre une sélection de documents patrimoniaux au magazine Marie-Claire.

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