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Ils n’allaient jamais naviguer : les bateaux-décors au théâtre

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Les arts de la scène ont contribué à leur manière à l'enrichissement du patrimoine maritime : la mer et les marins ont été un motif prisé des librettistes et des compositeurs d’opéra et de ballet dès l’origine de ces deux genres.

 Philippe Chaperon, le bateau à vapeur « la Pintade », esquisse de décor pour Le Voyage en Chine
opéra-comique, musique de François Bazin, livret d’Eugène Labiche et Alfred Delacourt, Paris 1865

BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra, D-345 (I,15)

 

L’Odyssée s’impose à cet égard comme une source d’inspiration majeure. Claudio Monteverdi s’empare ainsi du sujet et créé, en 1640, à Venise, Il Ritorno d’Ulisse in patria, sur un texte de Giacomo Badoaro (1602-1654). Tout au long du XVIIe et du XVIIIe siècle, navires et ports sont des éléments de scénographie incontournables des productions lyriques et chorégraphiques à grand spectacle. Sous le règne de Louis XV, Michel-Ange Slodtz, auquel nous avons déjà consacré un billet de blog, réalise divers projets de décors « marins » particulièrement élaborés.
 

Michel-Ange Slodtz,  étude de navire : esquisse de décor

BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra, ESQ 18-11 (28)

L’évolution de la technique permet aux scénographes du XIXe siècle de nouvelles audaces. Les toiles peintes, notamment, sont progressivement remplacées par d’imposantes constructions en trois dimensions. L’une des réalisations les plus extravagantes est le navire de Don Pedro, qui constitue le décor du IIIe acte de l’Africaine, de Meyerbeer. L’ouvrage est créé le 28 avril 1865, salle Le Peletier (Paris), un an après le décès du compositeur.

Giacomo Meyerbeer, L’Africaine
Edition originale du livret d’Eugène Scribe, Brandus & Dufour, Paris 1865

BnF, Littérature et art, 8-YTH-251

Dans la veine des grands opéras historiques, Meyerbeer souhaitait que le titre en soit Vasco de Gama, mais le musicographe belge François-Joseph Fétis – ancien bibliothécaire du Conservatoire –, qui se charge de l’achèvement de la partition, préfère un libellé plus « exotique », que Meyerbeer avait pourtant rejeté. La reproduction, grandeur nature, d’un tronçon du navire, vue en coupe, a posé des défis techniques considérables aux machinistes de l’Opéra. Plus de cent vingt hommes étaient nécessaires pour manœuvrer l’énorme coque, et quarante charpentiers avaient été requis pour renforcer la scène afin qu’elle soit en mesure de supporter les neuf tonnes du décor, qu’il fallait de surcroît faire basculer pour simuler un naufrage.
 

Giacomo Meyerbeer, L’Africaine,  acte III scène 6 (naufrage), gravure par B. Losson in L’Illustration n° 1158, Paris 1865

BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra, ESTAMPES SCENES Africaine (1)

 

Philippe Chaperon, qui avait collaboré à la création de l’Africaine, s’inspire de la production de 1865 pour une reprise de Haydée ou le secret (1847) de Daniel-Francois-Esprit  Auber à l’Opéra-comique en 1891. Les représentations ont lieu au théâtre du Châtelet, qui abrite temporairement l’institution suite à la destruction de la salle Favart par un incendie en 1887. La machinerie est certes moins imposante, mais la filiation entre les deux décors est évidente :

Philippe Chaperon, esquisse de décor pour Haydée ou le secret
Opéra-comique, musique Daniel-François-Esprit Auber, livret d’Eugène Scribe, Paris 1891
BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra, D-345 (I,11/1)

  

Le dernier décor de la lignée des « ponts de navire » est celui – conçu dans un esprit encore très « dix-neuvième siècle » – par Marcel Jambon et Alexandre Bailly pour l’entrée tardive de Tristan et Isolde, de Wagner, au répertoire de l’Opéra de Paris en 1904. Étonnamment, cette scénographie luxueuse mais quelque peu datée demeure en usage au Palais Garnier jusqu’en 1958.

 

Marcel Jambon et Alexandre Bailly
Esquisse de décor pour Tristan et Isolde, drame musical de Richard Wagner, Paris 1904

BnF, Bibliothèque-musée de l’Opéra, MAQ 364

Dans un registre très différent  a lieu en 1876, au Théâtre Historique (actuel Théâtre de la Ville), alors dirigé par Sarah Bernhardt, une création anecdotique sur le plan artistique, mais originale du point de vue du sujet : une adaptation scénique d’Un drame au fond de la mer, « roman maritime » [sic] de Richard Cortambert (1836-1884). Cortambert a lui-même emprunté l’idée de son ouvrage à Une ville flottante, récit de Jules Verne, qui paraît d’abord en feuilleton dans Le Journal des débats en 1870, puis en volume relié chez Hetzel l’année suivante. La trame juxtapose rivalité amoureuse, meurtre et réalité historique  autour de la pose du premier câble télégraphique transatlantique par le Great Eastern, qui est à l’époque le plus grand navire du monde.

Jules Verne, Une Ville flottante, Hetzel, Paris 1871

BnF, Littérature et art, Y2-72886

Initialement conçu par l’ingénieur britannique Isambard Kingdom Brunel comme un paquebot géant pouvant transporter jusqu’à quatre mille personnes, le Great Eastern est reconverti en câblier après une carrière commerciale calamiteuse, émaillée d’accidents graves, et ruineuse pour ses armateurs.


Affiche publicitaire pour les voyages transatlantiques à bord du Great Eastern, Decaux, Paris, [1867]
BnF, Estampes et photographie, ENT DP-232-FT 6
 

Un drame au fond de la mer est en revanche un grand succès et connaît plus de cent représentations entre 1876 et 1877. La pièce est reprise en 1884 au théâtre de l’Ambigu-comique et sert – fait extraordinaire pour l’époque – de scénario à un film de cinéma muet dès 1900. Elle sombre ensuite dans l’oubli, mais les sujets « maritimes » continuent de stimuler les compositeurs des XXe et XXIe siècles. Parmi les ouvrages les plus notables, et qui se sont imposés au répertoire des grandes scènes lyriques, on trouve deux partitions de Benjamin Britten, Peter Grimes (1945), qui a pour cadre un village de pêcheurs du Suffolk et Billy Budd (1951), adaptation d’une nouvelle d’Herman Melville, dont l’action se déroule en 1797 à bord d’un navire de la Royal Navy, l’HMS Indomitable.

Affiche pour la reprise du Drame au fond de la mer en 1884

BnF, Estampes et photographie, ENT DP-232-FT 6

Pour aller plus loin
Sélection d’ouvrages lyriques et chorégraphiques du XIXe siècle ayant également un décor maritime

par ordre chronologique

  • L’Île des pirates, ballet-pantomime, musique de Casimir Gide et Luigi Carlini, livret d’ Adolphe Nourrit, chorégraphie de Louis Henry, Paris, salle Le Peletier, 1835 : costumes, décor et notice de spectacle.
  • Le Naufrage de la méduse, opéra, musique d’Auguste Pilati et Friedrich von Flotow, livret de Charles-Théodore et Jean-Hippolyte Cogniard, Paris, Théâtre de la Renaissance, 1839 : scènes.
  • Le Vaisseau fantôme ou le Maudit des mers, opéra, musique de Louis Dietsch, livret de Paul Foucher et Bénédict-Henry Revoil, Paris, salle Le Peletier, 1842 : costumes, décor et notice de spectacle. En raison de difficultés financières, Richard Wagner dut céder les droits du Vaisseau fantôme au compositeur Louis Dietsch et au librettiste Paul Foucher. Pour cette raison, il devenait juridiquement impossible de créer l’ouvrage à Paris, comme l’espérait Wagner. Celui-ci poursuivit tout de même la rédaction du désormais Fliegende Holländer, dont la première a lieu – en allemand –  à la Hofoper de Dresde en 1843
  • L’Étoile du Nord, opéra-comique, musique de Giacomo Meyerbeer, livret d’Eugène Scribe, Paris, ssalle Favart, 1854 : livret, décor et notice.
  • Le Naufrage de La Pérouse, musique d’Amédée Artus, livret d’Adolphe d’Ennery, Henri Thiery et Amédée de Jallais, Paris, Théâtre de la Porte Saint-Martin, 1859 : livret, costumes et notice.
  • Le Voyage en Chine, opéra-comique, musique de François Bazin, livret d’Eugène Labiche et Alfred Delacourt, Paris, salle Favart, 1865 : décor et notice.
  • Surcouf, opéra-comique, musique de Robert Planquette, livret de Henri Chivot et Alfred Duru, Paris, Théâtre des Folies-dramatiques, 1887 : affiche et livret.

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