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Sarah Bernhardt, muse lyrique

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Plusieurs grands rôles, soit créés par Sarah Bernhardt, soit marqués par son interprétation, ont été transposés par la suite à l’opéra. Parfois, les initiatives des directeurs de théâtre, des dramaturges et des compositeurs se sont quasiment télescopées.  C’est notamment le cas de Marion Delorme, pièce de  Victor Hugo, mise en musique par Amilcare Ponchielli, sur un texte italien adapté par Enrico Golisciani.

Affiche d’Alfons Mucha pour La Tosca, pièce de Victorien Sardou, Paris, Théâtre Sarah-Bernhardt BnF, Estampes et photographie, ENT DN-1 (MUCHA, Alphonse /4)-FT 6 (détail)

 
La première de la Marion Delorme de Ponchielli a lieu, sans grand succès, à la Scala de Milan le 17 mars 1885. En décembre de la même année, Sarah Bernhardt reprend le rôle-titre de l’ouvrage d’Hugo au théâtre de la Porte Saint-Martin, sur les lieux de sa création, en 1831 (la salle, construite en 1781, avait été ravagée par un incendie en 1871 et rebâtie au même endroit en 1873). La prestation de Sarah Bernhardt ne fait pas l’unanimité de la critique, mais l’actrice trouve, en Maurice Barrès, un soutien d’importance :
 


Maurice Barrès : « A propos de Marion Delorme », Revue illustrée, T. 1, 12 décembre 1885, p. 108
 


Sarah Bernhard dans Marion Delorme, Paris, 1885
BnF, Arts du spectacle, 4-ICOPER-2369 (10)
 

Sarah Bernhardt elle-même entretient des liens assez étroits avec des musiciens et des artistes lyriques, ainsi qu’en témoigne la correspondance avec  la soprano Lucienne Bréval, l’une des « stars » de l’opéra au tournant du dix-neuvième et du vingtième siècle, réputée, elle aussi, pour ses qualités de tragédienne. Elle compte aussi dans son cercle d’amis le compositeur Camille Saint-Saëns, qui lui dédie la musique de scène  qu’il compose en 1903 pour Andromaque. L’actrice tient alors le rôle d’Hermione, dans la tragédie de Racine, dont une nouvelle production figure à l’affiche du théâtre sis place du Châtelet à Paris et qui porte désormais le nom de Sarah Bernhardt.
 


Sarah Bernhardt dans le rôle d’Hermione (Andromaque), Paris, 1903
BnF, Arts du spectacle, 4-ICOPER-2369 (6)

 


Page de titre de la partition de Camille Saint-Saëns dédiée à Sarah Bernhardt
BnF, Musique, Ancien fonds du Conservatoire, D-13810
 
Je n’arrive pas à joindre les deux bouts. Il faut que j’écrive la musique d’Andromaque pour Sarah Berhnardt et je [ne suis pas ?] parvenu à m’y mettre

Lettre de Camille Saint-Saëns au compositeur Philippe Bellenot, Paris, 4 juillet 1902
BnF, Musique, NLA-254 (39)
 

Gabriel Pierné a également fourni plusieurs musiques de scène pour des pièces créées par Sarah Bernhardt. La Samaritaine, dont le texte est dû à Edmond Rostand, est la plus notable d’entre elles. Créé en 1897 au Théâtre de la Renaissance, dont la Bernhardt a pris la direction en 1893, l’ouvrage sera transformé quarante ans plus tard en opéra par le compositeur Max d’Ollone. La Première a lieu le 23 juin 1937 au palais Garnier, mais La Samaritaine, dans sa version lyrique, disparaît du répertoire au bout de sept représentations, et n’y reviendra plus par la suite.


Affiche d’Alfons Mucha pour La Samaritaine, Théâtre de la Renaissance, Paris, 1897
BnF, Estampes et photographie, ENT DN-1 (MUCHA,Alphonse/5)-ROUL
 

Si la Tosca de Puccini, créée à Rome le 14 janvier 1900, a rapidement connu une célébrité mondiale, et constitue aujourd’hui encore l’un des piliers du répertoire des grandes scènes lyriques, la pièce dramatique éponyme qui lui a servi de base est tombée dans l’oubli.
La Tosca originelle est due à Victorien Sardou, qui conçoit ce drame sentimental de facture assez classique – il s’en tient notamment au principe de l’unité de lieu et de temps, ce qui facilitera son adaptation ultérieure en tant qu’opéra – à l’attention expresse de Sarah Bernhardt. La grande tragédienne, au sommet de sa gloire, remporte un triomphe personnel lors de la première, qui a lieu le 24 novembre 1887 au Théâtre de la Porte Saint-Martin.

au Théâtre de la Porte Saint-Martin en novembre 1887, E. Monnier, Paris, [1887]
BnF, Littérature et arts, 4-YF-97
 

Sarah Bernhardt photographiée par Nadar dans La Tosca de Victorien Sardou en 1887
BnF, Estampes et photographie, FT 4-NA-238 (17)
 

Puccini, lui aussi au faîte de sa célébrité, avait assisté à deux représentations de l’œuvre de Sardou, tout d’abord à Milan en 1889, puis à Florence en 1895, avec, à chaque fois, Sarah Bernhardt dans le rôle-titre. Apparemment peu convaincu par la performance de la tragédienne française dans la métropole lombarde, il s’enquiert, sans trop insister, auprès de son éditeur, Giulio Ricordi, de la possibilité d’acquérir les droits d’adaptation de Tosca. En raison de l’indécision de Puccini, c’est un compositeur de bien moindre notoriété, Alberto Franchetti (1860-1942), qui remporte l’affaire.
 

Air « Ferito, prigionier » enregistré en 1905 par le baryton Riccardo Stracciari
BnF, Audiovisuel, NC Fonotipia 39159
 

En 1894, alors que Luigi Illica a achevé le livret, Puccini, sous l’influence semble-t-il de Verdi, change d’avis et sollicite Ricordi pour que ce dernier persuade Franchetti de renoncer à mettre en musique Tosca et de lui céder les droits sur l’ouvrage. Puccini obtient gain de cause, et le livret d’Illica est remodelé par Giuseppe Giacosa, qui réduit à trois les cinq actes d’origine, en dépit des réticences de Sardou. Puccini étant par ailleurs occupé par la composition de La Bohème, ce n’est que le 14 janvier 1900 que la version opératique de Tosca est enfin créée au Teatro Costanzi, à Rome, dans une ambiance tendue, des anarchistes ayant menacé d’attenter à la vie du roi d’Italie, Umberto 1er. En dépit de critiques très négatives – visant principalement le livret -, la Tosca de Puccini remporte un succès triomphal auprès du public et les vingt représentations prévues se tiennent toutes à guichet fermé. La première parisienne a lieu en 1903, dans une traduction française de Paul Ferrier, à l’Opéra-Comique, sous la direction du compositeur André Messager.


Livret de La Tosca, trad. de Paul Ferrier pour la création française à l’Opéra-comique, G. Ricordi, Paris 1903
BnF, Littérature et art, 8-YD-399
 

La Tosca originelle de Sardou connaît, elle, une ultime résurrection en 1923, au Théâtre Sarah-Bernhardt (actuel Théâtre de la Ville, à Paris).  Le rôle-titre est cette fois tenu par Simone Frévalles, une comédienne également pionnière du cinéma muet en France. Sarah Bernhardt, malgré son état de santé très dégradé, prodigue ses conseils à Mlle Frévalles. Elle lui confie également  – pour les représentations - la canne utilisée lors de la création en 1887. 


Portrait de Simone Frévalles par Léopold Reutlinger
BnF, Estampes et photographie, PET FOL-NA-260 (58)
 

Malgré l’excellent accueil que la presse et le public réservent à cette reprise, La Tosca ne parvient pas à se maintenir durablement au répertoire après la mort de Sarah Bernhardt, qui survient le 26 mars, trois semaines avant la première, et l’œuvre de Sardou ne passe à la postérité que par l’intermédiaire de l’opéra de Puccini.
Inversement, l’adaptation lyrique de L’Aiglon, due à Henri Cain pour le texte et à Arthur Honegger et Jacques Ibert pour la musique, n’effacera pas la prestigieuse réussite de la pièce écrite par Edmond Rostand pour son actrice-fétiche. 

Rostand, Edmond, L’Aiglon, première édition du texte, Paris, Fasquelle, 1900
BnF, Littérature et art, 8-YTH-29510
 

Selon le musicologue suisse Jacques Tchamkerten, Edmond Rostand aurait lui-même envisagé la transformation de plusieurs de ses pièces en opéras, mais il faut attendre  le milieu des années 1920 pour que des tractations sérieuses en ce sens soient entreprises par la veuve du dramaturge (décédé en 1918), Rosemonde Rostand. Des contacts sont établis avec le librettiste Henri Cain, qui avait acquis la célébrité grâce à ses nombreuses collaborations avec Jules Massenet, en vue d’adapter La Princesse Lointaine, Cyrano de Bergerac et L’Aiglon à la scène lyrique (Tchamkarten, Jacques : « L’Aiglon à l’opéra ou les tribulations d’un mythe », in : L’Opéra en toutes lettres, études de lettres vol. 4/2016, sous la dir. de Chiara Bemporad et Gabriele Bucchi, Lausanne 2016 p. 131-150). En ce qui concerne plus spécifiquement L’Aiglon, la proximité des célébrations du centenaire de la mort du duc de Reichstadt, prévues en 1932, confère un attrait supplémentaire à un arrangement de L’Aiglon sous forme d’opéra. Le projet – retardé par une brouille entre les héritiers de Rostand et Henri Cain – ne prend cependant véritablement corps qu’en 1936, lorsque Raoul Gunsbourg, directeur de l’opéra de Monte-Carlo, passe commande de la version lyrique de L’Aiglon à Jacques Ibert et Arthur Honegger. La création a lieu le 10 mars 1937 à la salle Garnier de Monte-Carlo, avec, en tête d’affiche, l’une des grandes stars du chant français de l’entre-deux guerres, Fanny Heldy, épouse à la ville de l’industriel du textile Marcel Boussac. Une loge d’artiste porte encore son nom au Palais Garnier, à Paris, où l’ouvrage est repris dès le 31 août 1937, avec une distribution quasi-identique à celle de Monaco.

L’Opéra de Paris met à l’affiche de la saison 1952-1953 une nouvelle production de L’Aiglon, avec une distribution luxueuse, dominée par la soprano Géori Boué. Une nouvelle mise en scène, due à Max de Rieu, remplace celle de Pierre Chéreau, et les ballets, initialement réglés par Paul Goubé, sont cette fois confiés à Albert Aveline. L’orchestre est quant à lui placé sous la direction d’un chef de renommée mondiale, André Cluytens.

Cette débauche de moyens ne suffit pourtant pas à imposer l’ouvrage, qui ne reviendra ni au répertoire de l’Opéra de Monte-Carlo, ni à celui de l’Opéra de Paris. Des reprises tardives à Marseille (2004, 2016), à Lausanne (2013) et à Tours (2013 également), n’y changeront rien. L’Aiglon restera, pour la postérité, une pièce de théâtre par laquelle Edmond Rostand a offert à Sarah Bernhardt l’un de ses plus grands triomphes.
 

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