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Entre plaisirs éphémères et mémoire d’un règne : les représentations des fêtes royales à l’époque de Molière

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2 novembre 2022

Les fêtes royales données par Louis XIV, dans lesquelles Molière intervient à plusieurs reprises, et les gravures qui les représentent participent d’un même programme d’affirmation de la puissance du roi par l’image. Plusieurs de ces œuvres de grande qualité, réimprimées pendant près de trois siècles, sont conservées au département des Estampes et de la photographie de la BnF. Elles participent à la construction d’une image du règne de Louis XIV présente encore aujourd’hui dans la culture populaire.

Illuminations des palais et jardins de Versailles, dans Relation de la feste de Versailles. Du dix-huitiéme juillet mil six cens soixante-huit, gravure de Jean Lepautre, 1679

La politique de prestige visant à renforcer le pouvoir royal mise en place par Colbert, dès le début du règne personnel de Louis XIV en 1661, a concerné tous les arts : architecture, peinture, arts graphiques, musique et danse, théâtre. Assez vite, aux côtés d’autres formes d’expression artistique, la gravure s’est affirmée comme un médium de choix : à la force visuelle de l’image s’associe la reproduction multiple et donc la capacité de diffusion et de circulation de cette image. En 1667, le Conseil d’Etat prend un arrêt qui réserve à des graveurs et imprimeurs choisis la tâche de représenter ce qui concerne le roi et son règne: les plans des maisons royales, leurs décors, les objets provenant de la manufacture des Gobelins, les animaux et les plantes lui appartenant. Le « Cabinet du roi » publie ainsi, entre 1665 et 1678, de nombreuses planches de graveurs renommées comme Jean Lepautre, Sébastien Leclerc, Claude Mellan, Israël Silvestre, Adam Pérelle, Jean Bérain, parfois accompagnées de « descriptions » ou commentaires rédigés par des hommes de lettres renommés, tels Charles Perrault ou Isaac de Benserade.

 
 

Destinés à circuler, à être commentés et admirés (ils sont souvent distribués en cadeau à des dignitaires, étrangers ou non -évêques, magistrats, ambassadeurs), planches et recueils sont les instruments d'une politique de prestige culturel et représentent un coût élevé. Le Cabinet du roi travaille alors en étroite relation avec l’Imprimerie royale, qui édite et commercialise les gravures au sein de livres illustrés.

Dans le cadre du Cabinet du roi entre 1662 et 1674, plusieurs occasions deviennent prétextes à somptueuses fête royales, après lesquelles on édite des Livres de fêtes, présentés au roi puis publiés par l’Imprimerie royale, sous forme de recueils comprenant une relation officielle et des estampes destinées à graver l’événement dans les mémoires.

Ainsi, dès 1662, une commande est passée pour garder la mémoire du Carrousel donné par Louis XIV les 5 et 6 juin 1662, dont les planches sont gravées par Israël Silvestre et François Chauveau.
Il suffit de lire et de contempler ces relations officielles pour s’en convaincre : les célébrations données par Louis XIV ont suscité l’ébahissement à la cour. Conçues pour éblouir, elles présentent des programmes aussi ambitieux que variés qui se déroulent souvent sur plusieurs jours, mêlant collations, tournois, banquets, spectacles, jeux d’eaux et de lumière. Molière, qui est alors l’auteur dramatique le plus « en vue » à Paris, est sollicité pour présenter de nouvelles créations lors des divertissements royaux de 1664 et 1668.
Le genre nouveau de la comédie-ballet, où le merveilleux et le faste prédominent, se révèle particulièrement adapté à ce type de célébration qui vise à subjuguer et à marquer une rupture avec la réalité, avec le temps ordinaire.
Du 7 au 13 mai 1664 a lieu la première fête célébrée à Versailles, intitulée Les Plaisirs de l’île enchantée. Lors de ces réjouissances, Molière créé avec Lully La Princesse d’Elide, première « comédie ballet », aux décors de verdure fastueux, qui fait intervenir danseurs, musiciens et comédiens. Cette représentation s’intercale entre une course de bagues et la présentation d’une « baleine » factice sur les eaux du bassin d’Apollon. Au cours de cette fête, Molière donne également Le Mariage forcé et sa première version de Tartuffe.

Cette fête sera gravée en neuf planches par Israël Sylvestre et Jean Lepautre et donnera lieu à une publication par l’Imprimerie royale en 1673, La Fête de Versailles de l’année 1664, tirée à deux-cents exemplaires.
 

En 1668, le Grand Divertissement royal, qui célèbre le Traité d’Aix-la-Chapelle, condensé en une journée, voit la création d’une autre comédie entre trois actes, Georges Dandin ou le mari confondu, insérée dans une comédie-ballet composée par Lully intitulée Les Festes de l’Amour et de Bacchus. A la Relation de la feste de Versailles du 18 juillet mil six cent soixante-huit rédigée par André Félibien en 1679 s’ajoutent cinq planches gravées à l’eau forte par Jean Lepautre, d’après des dessins fournis par Jean Bérain, qui n’a pas été directement été témoin de cette fête.
 
Au cours des Divertissements de Versailles, le 19 juillet 1674, la comédie Le Malade imaginaire est reprise après la mort de Molière lors de la quatrième représentation le 17 février 1673. Les planches fixant la mémoire de l’événement sont gravées par Jean Lepautre et François Chauveau entre 1675 et 1677.
Durant ces années de réjouissances, le château de Versailles est encore en chantier et il n’y a pas de « théâtre » à proprement parler. Les représentations ont donc lieu essentiellement en extérieur, dans des structures provisoires destinées à surprendre et à dérouter les spectateurs à grand renfort de trompes l’œil et de sculptures de bois légers,  de papiers mâché et de végétaux, aussi splendides qu’éphémères.
Les planches sont donc précieuses aujourd’hui pour avoir une idée de ces décors aujourd’hui disparus et des conditions matérielles de représentations des pièces de Molière, en gardant bien sûr à l’esprit qu’il s’agit d’une vision idéalisée et partielle de la réalité, reconstituée en général plusieurs années après l’événement, parfois tempérée par des récits moins officiels de témoins des mêmes événements. Ainsi, sur la gravure qui donne à voir la représentation de Georges Dandin, spectateurs et comédiens semblent en ordre parfait, alors lors que le récit du marquis de Saint Maurice, par exemple, décrit une cohue et des bousculades telles que la reine elle-même eut du mal à se frayer un chemin dans la foule pour rejoindre le roi !
Il n’y a jamais eu si peu d’ordre. La Reine fut plus de demi-heure avant que de pouvoir entrer à la comédie, il fallut que le Roi agît lui-même pour lui faire faire place ; les gardes du corps, qui ne sont que des soldats qui ont toujours été dans les troupes, ne connaissent personne, ne savent rien de ce qu’il faut faire en semblables occasions, ne songent qu’à faire entrer leurs parents, amis et commères. Les personnes de qualité font elles-mêmes la confusion et en ressentent les premières les fâcheries, y perdent leurs plumes, se font déchirer leurs canons et paraissent après dans le bal chiffonnées par leur peu de conduite ».  Saint-Maurice, Lettres sur la Cour de Louis XIV. I : 1667-1670, éd. J. Lemoine, Paris, Calmann-Levy, 1910, lettre du 20 juillet 1668.

Représentations de représentations, ces planches matérialisent le rôle central et l’usage politique de la mise en scène qui est fait sous Louis XIV. Elles présentent une double théâtralité qui advient une première fois lors de la production de l’événement, puis bien après, lors de sa reconstitution par les artistes graveurs. Elles comptent encore aujourd’hui parmi les estampes du Cabinet du Roi les plus admirées, perpétuant une mémoire de l’éphémère en l’inscrivant dans une temporalité longue.

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