Entre plaisirs éphémères et mémoire d’un règne : les représentations des fêtes royales à l’époque de Molière
Les fêtes royales données par Louis XIV, dans lesquelles Molière intervient à plusieurs reprises, et les gravures qui les représentent participent d’un même programme d’affirmation de la puissance du roi par l’image. Plusieurs de ces œuvres de grande qualité, réimprimées pendant près de trois siècles, sont conservées au département des Estampes et de la photographie de la BnF. Elles participent à la construction d’une image du règne de Louis XIV présente encore aujourd’hui dans la culture populaire.
La politique de prestige visant à renforcer le pouvoir royal mise en place par Colbert, dès le début du règne personnel de Louis XIV en 1661, a concerné tous les arts : architecture, peinture, arts graphiques, musique et danse, théâtre. Assez vite, aux côtés d’autres formes d’expression artistique, la gravure s’est affirmée comme un médium de choix : à la force visuelle de l’image s’associe la reproduction multiple et donc la capacité de diffusion et de circulation de cette image. En 1667, le Conseil d’Etat prend un arrêt qui réserve à des graveurs et imprimeurs choisis la tâche de représenter ce qui concerne le roi et son règne: les plans des maisons royales, leurs décors, les objets provenant de la manufacture des Gobelins, les animaux et les plantes lui appartenant. Le « Cabinet du roi » publie ainsi, entre 1665 et 1678, de nombreuses planches de graveurs renommées comme Jean Lepautre, Sébastien Leclerc, Claude Mellan, Israël Silvestre, Adam Pérelle, Jean Bérain, parfois accompagnées de « descriptions » ou commentaires rédigés par des hommes de lettres renommés, tels Charles Perrault ou Isaac de Benserade.
Destinés à circuler, à être commentés et admirés (ils sont souvent distribués en cadeau à des dignitaires, étrangers ou non -évêques, magistrats, ambassadeurs), planches et recueils sont les instruments d'une politique de prestige culturel et représentent un coût élevé. Le Cabinet du roi travaille alors en étroite relation avec l’Imprimerie royale, qui édite et commercialise les gravures au sein de livres illustrés.
Dans le cadre du Cabinet du roi entre 1662 et 1674, plusieurs occasions deviennent prétextes à somptueuses fête royales, après lesquelles on édite des Livres de fêtes, présentés au roi puis publiés par l’Imprimerie royale, sous forme de recueils comprenant une relation officielle et des estampes destinées à graver l’événement dans les mémoires.
Le genre nouveau de la comédie-ballet, où le merveilleux et le faste prédominent, se révèle particulièrement adapté à ce type de célébration qui vise à subjuguer et à marquer une rupture avec la réalité, avec le temps ordinaire.
Du 7 au 13 mai 1664 a lieu la première fête célébrée à Versailles, intitulée Les Plaisirs de l’île enchantée. Lors de ces réjouissances, Molière créé avec Lully La Princesse d’Elide, première « comédie ballet », aux décors de verdure fastueux, qui fait intervenir danseurs, musiciens et comédiens. Cette représentation s’intercale entre une course de bagues et la présentation d’une « baleine » factice sur les eaux du bassin d’Apollon. Au cours de cette fête, Molière donne également Le Mariage forcé et sa première version de Tartuffe.
Cette fête sera gravée en neuf planches par Israël Sylvestre et Jean Lepautre et donnera lieu à une publication par l’Imprimerie royale en 1673, La Fête de Versailles de l’année 1664, tirée à deux-cents exemplaires.
Les planches sont donc précieuses aujourd’hui pour avoir une idée de ces décors aujourd’hui disparus et des conditions matérielles de représentations des pièces de Molière, en gardant bien sûr à l’esprit qu’il s’agit d’une vision idéalisée et partielle de la réalité, reconstituée en général plusieurs années après l’événement, parfois tempérée par des récits moins officiels de témoins des mêmes événements. Ainsi, sur la gravure qui donne à voir la représentation de Georges Dandin, spectateurs et comédiens semblent en ordre parfait, alors lors que le récit du marquis de Saint Maurice, par exemple, décrit une cohue et des bousculades telles que la reine elle-même eut du mal à se frayer un chemin dans la foule pour rejoindre le roi !
Il n’y a jamais eu si peu d’ordre. La Reine fut plus de demi-heure avant que de pouvoir entrer à la comédie, il fallut que le Roi agît lui-même pour lui faire faire place ; les gardes du corps, qui ne sont que des soldats qui ont toujours été dans les troupes, ne connaissent personne, ne savent rien de ce qu’il faut faire en semblables occasions, ne songent qu’à faire entrer leurs parents, amis et commères. Les personnes de qualité font elles-mêmes la confusion et en ressentent les premières les fâcheries, y perdent leurs plumes, se font déchirer leurs canons et paraissent après dans le bal chiffonnées par leur peu de conduite ». Saint-Maurice, Lettres sur la Cour de Louis XIV. I : 1667-1670, éd. J. Lemoine, Paris, Calmann-Levy, 1910, lettre du 20 juillet 1668.
Représentations de représentations, ces planches matérialisent le rôle central et l’usage politique de la mise en scène qui est fait sous Louis XIV. Elles présentent une double théâtralité qui advient une première fois lors de la production de l’événement, puis bien après, lors de sa reconstitution par les artistes graveurs. Elles comptent encore aujourd’hui parmi les estampes du Cabinet du Roi les plus admirées, perpétuant une mémoire de l’éphémère en l’inscrivant dans une temporalité longue.
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Pour aller plus loin
Images du grand siècle, l'estampe française au temps de Louis XIV, 1660-1715, Sous la direction de Rémi Mathis, Vanessa Selbach, Louis Marchesano et Peter Fuhring, Bibliothèque nationale de France:The Getty Research Institute,2015
Decarne, Pauline. « Le Grand Divertissement royal de Versailles (1668) ou l'actualité paradoxale : l'événement, le pouvoir et la mémoire », Littératures classiques, vol. 78, no. 2, 2012, pp. 211-226.
Les musiques de Molière (podcast), Centre de musique baroque de Versailles.
Film d’animation à vocation pédagogique produit par l’Institut de France mettant en scène la fête donnée par Louis XIV au château de Versailles en juillet 1668.
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