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Elise Moreau, Madame Gagne

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Femme de lettres, épouse du fou littéraire Paulin Gagne, Élise Moreau (1813-18??) a côtoyé les auteures et salonnières de son époque et connu la reconnaissance de son talent dans sa jeunesse.

Physiologie du Bas-Bleu de Frédéric Soulié

Un talent précoce

Née à Rochefort en 1813, Élise Moreau de Rus débute très jeune en littérature. À Niort, où ses parents ont emménagé, ses premières compositions de poésie connaissent un certain succès, et lui valent d'être remarquée par le préfet de la ville, qui la recommande à des connaissances à Paris.

 

 

Ces lettres de recommandation ouvrent de nombreuses portes du milieu littéraire parisien à la jeune fille. Elle est reçue par des femmes de lettres, notamment Amable Tastu, Delphine de Girardin et la baronne Alexandrine-Sophie de Bawr, dramaturge et future auteure d'ouvrages pour la jeunesse. L'écrivaine écrira en 1861 un éloge posthume en hommage de cette dernière, dans un ouvrage intitulé Mme de Bawr, étude biographique sur sa vie et ses ouvrages.

À cette époque, Élise Moreau écrit, en collaboration avec Marceline Desbordes-Valmore et Laurent de Jussieu, la pièce Arlequin, pièce à tiroirs pour demoiselles. Elle devient aussi une protégée de François Guizot, qui lui fait allouer une pension. La jeune femme doit probablement l'attribution de cette pension à la volonté de la remercier pour le poème qu'elle avait rédigé à la mémoire de son épouse Eliza Dillon-Guizot, décédée en 1833, et que le préfet de Niort avait transmis au Ministre de l'Instruction publique.

Portrait de Guizot vers 1839

 
 
En 1837, la jeune écrivaine concourt au prix de l’Académie Française, et obtient une mention honorable ; le prix est remporté cette année-là par Évariste Boulay-Paty pour L'Arc de triomphe de l'Étoile.

Son premier recueil de poésies contenant Une destinée scène de la vie intime et Mon étoile est publié en 1839 et il sera suivi d'autres pièces romantiques et d'ouvrages dédiés à la jeunesse comme Souvenirs d’un petit enfant. Contes à la jeunesse (1840).

Mater Dolorosa. À Sa Majesté la Reine des Français sur la mort du prince royal (1842) qui sera repris dans le recueil Rêves d’une jeune fille, poésies (1843) est quant à lui un poème de circonstance sur les thèmes de la mort et de la condoléance. Dans ce recueil, pour lequel elle reçoit les encouragements de Nodier et Chateaubriand, on trouve d’autres poèmes liés au deuil comme Regrets, écrit à l’occasion du décès de la fille de Lamartine, et les pièces dédiées à la mémoire d’Élisa Mercœur et d’Élisa Dillon-Guizot. Lamartine publiera l’élégie d’Élise Moreau à sa fille à la suite des Harmonies et y répondra.

 

 

 

L’avant-propos, signé par la « Marquise de R*** », de la première édition de Rêves d’une jeune fille, poésies, célèbre la qualité des vers d'Élise Moreau qui aurait découvert la poésie à l’âge de douze ans en lisant Racine et qui, appréciée de grands poètes, charme de sa voix les habitués des salons. Un texte publié à Niort en 1936, Une visite à Élise Moreau, témoigne par ailleurs du succès de la poétesse dans les cercles littéraires.

 

 
Une courte préface ajoutée à la seconde édition de Rêves d’une jeune fille (1844) précise que l’ouvrage peut être mis sans crainte entre les mains des enfants. Les thèmes abordés par la poètesse, outre ceux des regrets, du deuil et de la mort déjà évoqués, sont liés au Romantisme, comme la contemplation de la nature, les souvenirs d’enfance. Ce caractère romantique se retrouve dans les épigraphes de Lamartine, Hugo, Walter Scott, Marceline Desbordes-Valmore… Élise Moreau y aborde aussi des thèmes plus conventionnels comme la famille, la grandeur maternelle, la patrie ou la transcendance bienveillante. Parmi les dédicataires de ses poèmes, on compte, outre Lamartine, François Guizot, Casimir Delavigne, André Thévenot, le comte de Paris et Amable Tastu.
 

Figure d'un Bas-Bleu aristocrate par Jules Vernier dans Physiologie du Bas-Bleu de Frédéric Soulié

En 1847, Élise Moreau publie un roman La Fille du maçon suivi de Simple histoire d’une famille, un récit chrétien antirévolutionnaire, qui participe à la relance de la légende napoléonienne, et connaitra sept réimpressions entre 1849 et 1869. Trois ans plus tard, en 1850, elle retourne à la poésie avec L’Âge d’or. Poésie de l’enfance. Illustré de quatre vignettes dessinées par Staal qui est réédité en 1863. Dans ce recueil destiné aux enfants, Élise Moreau souhaite instruire en amusant. Elle est régulièrement publiée dans la presse, notamment dans la Revue littéraire, le Journal des femmes, et la presse pour enfants, tel Asmodée.

En 1853, elle revoit Paulin Gagne (1801-1876), « L’avocat des fous », de retour de Montélimar où il a tenu des fonctions politiques et qu’elle avait côtoyé dans les milieux littéraires au début des années 1840. Elle qui se voyait devenir vieille fille épouse le 28 avril 1853 ce personnage fantaisiste, classé parmi les fous littéraires. Ils emménagent à Montélimar et entament une collaboration littéraire.

 

 

 

Le couple Gagne

Si en 1860, Paulin Gagne qualifiera leur union de « mariage poétique » dans Histoire des miracles, ouvrage dédié à sa femme, c'est en raison de leurs nombreux projets littéraires en commun. On compte parmi ceux-ci l'ouverture d'un « cours gratuit de littérature » : Le Théâtre du monde — Parnasse français et la création, d'un journal, Le Théâtre du monde, journal et cours littéraire et artistique (1854-1857), que Paulin poursuivra seul sous le titre du Journalophage ou le mangeur de journaux
 
 
À plusieurs reprises, l'un ou l'une apparaissent dans les publications de l’autre. Ainsi, Paulin la seconde pour Une vocation, ou le jeune missionnaire (1855-56), ouvrage republié sous le titre Voyage et aventures d’un jeune missionnaire en Océanie (1860) et pour lequel il compose les épitaphes versifiées en tête de chaque chapitre. Élise, elle, rédige le prologue et l’épilogue de l'Unitéide ou la femme messie (1857), "vaste poème humaintaire et chrétien" de 25 000 vers qui évoque l'avénement de la femme-messie unitrice et sauveuse du monde.

En 1856 et en 1859, les Moralités en vers d'Élise Moreau sont publiées à la suite de rééditions des Enfants de Pauline Guizot.

 

 

 

Omégar ou le dernier Homme

En 1858, le couple Gagne retourne à Paris, et s'installe rue Taranne. Cette année-là, Élise écrit Omégar ou le dernier homme, pour lequel son époux rédige prologue et épilogue. Dans ce poème, si Omégar est le personnage proncipal, on retrouve aussi la figure de l'Unitéide créée par Paulin Gagne. Selon l'auteure, l'Unitéïde est "l'Eglise faite-femme envoyée sur terre par son céleste époux" afin de rétablir l'unité et faire refleurir le bonheur antérieur à la chute d'Adam et Eve.

Élise Gagne aborde dans ce texte un thème né à la suite de la Révolution française et qui se retrouve dans plusieurs œuvres du XIXe siècle : la disparition de l'humanité. En 1805, Bernardin de Saint-Pierre avait fait publier Le Dernier homme, roman posthume de son beau-frère Jean-Baptiste Cousin de Grainville après le suicide de ce dernier. En évoquant le dernier couple de l'humanité, l'auteur avait pris le contrepied du Paradis perdu de Milton, qui évoquait le premier couple selon la Bible.

 

 

 

Traduit et publié sous le titre Last man : or, Omegarus and Syderia: a romance in futurity en Angleterre en 1806, ce thème inspira plusieurs auteurs britanniques : Lord Byron avec Les Ténèbres - Darkness - (1816), Thomas Campbell dont The Last man avait été intégré à Theodoric : a domestic tale (1824) et Mary Shelley pour The Last Man (1826). En France, la résurgence de ce thème est visible à travers une imitation de l'œuvre de Cousin de Grainville par Auguste Creuzé de Lesser en 1831 et la publication en 1851 de la biographie de Jean-Baptiste Cousin de Grainville par Jules Michelet dans L’Événement.

Mais Omégar ou le dernier homme est un échec, à la suite duquel Elise Moreau se consacre à la littérature pieuse.

Préface d'Omégar ou le dernier homme

Des années difficiles

Outre cet échec professionnel, les difficultés s'accumulent. Leurs carrières ne sont plus placées sous les meilleurs auspices, ce qui entraîne une situation financière délicate. Mais à cela s'ajoutent des difficultés personnelles.

En effet, en cette même année 1858, à la faveur de la vague spirite qui suivi la publication du Livre des Esprits (1857) d’Allan Kardec, Paulin autorise des évocateurs d’esprits à investir leur salon. Les Gagne participent à des séances et au cours de l’une d’elles, Paulin entend le démon. Et pour échapper à celui-ci, il se réfugie dans la prière pendant des semaines et procède à un auto-exorcisme. Interné à la Maison de santé pour aliénés de la rue de Picpus, l'archi-auteur de la Monopanglotte et promoteur de la philanthropophagie, voit dans cet enfermement, une épreuve divine, « le Calvaire de Picpus ». Victime d’hallucination, il se mure dans un silence qu'il prétend être imposé par Dieu, on lui passe la camisole de force et il est attaché à son lit. Auto-guéri de son mutisme et de ses hallucinations, il dit avoir voulu s’échapper pour retrouver son épouse afin de la rassurer.
 


Figure du Bas-Bleu associé
par Jules Vernier dans Physiologie du Bas-Bleu de Frédéric Soulié

 

De nombreuses anecdotes et caricatures circulent. Comme celle-ci publiée en 1898 dans Les Quat'z'art par Charles de Sivry dont Anatole France, voisin des Gagne à l'époque, a donné aussi une autre version :

 

 

Fortement intéressé par la politique pendant une quinzaine d'années, Paulin Gagne se présente à plusieurs reprises aux élections à partir de 1863 dont en 1869, année où il lance la bataille de l'Obélisque ; ce qui lui vaut de nombreuses caricatures.
 

Caricatures de Paulin Gagne dans l'Eclipse (1869)

Les excentricités de son époux, qui lui valent d'être une des proies favorites des caricaturistes, n'empêchent pas Élise de poursuivre son activité littéraire. Ainsi, elle publie en 1865 L’Anémone du Colisée. Imitation en vers d’un fragment de « Rome », par Mme la marquise de B*** , et en 1874, Nancy Vallier, épisode des jours néfastes, un récit anticommunard et chrétien du siège de Paris et de la Commune. On la retrouve dans des recueils dédiés à la jeunesse et des revues telles le Magasin des jeunes personnes et le Journal des demoiselles. Le sentiment religieux présent dans toute son œuvre explique sans aucun doute son souhait de publier les mémoires de Christine de Saint-Vincent, Comtesse de Valombray, sous le titre Mémoires d'une sœur de charité, dont elle écrira la dédicace.

L'Intermédiaire des Chercheurs et des curieux consacre un article le 30 avril 1911 à Élise Moreau (avec un complément le 10 mai) dans lequel l'auteur dit qu'elle serait décédée autour des années 1860. Mais ses publications postérieures à cette date attestent qu'elle vécut plus longtemps.

 

Poétesse précoce romantique, auteure d'ouvrages d'éducation à destination de la jeunesse d'influence chrétienne et de science-fiction, Élise Moreau gagne à sortir de l'ombre de son hétéroclite de mari.
 

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