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Le drame de Hautefaye

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30 octobre 2017

Le 16 août 1870, le village de Hautefaye en Dordogne est le théâtre d’un crime d’une brutalité inouïe. Lors de la foire annuelle aux bestiaux, un notable de la région, Alain de Monéys, est accusé à tort par la foule d’être un partisan de la Prusse. S’en suivent un lynchage, des actes de torture et une crémation publique.

Carte routière et hydrographique de la Dordogne, 1860
 

Espions prussiens et mauvaises récoltes

La France a déclaré la guerre à la Prusse le 19 juillet 1870. Suite aux premières défaites françaises sur le front de Lorraine au début du mois d’août, la crainte de la présence de traîtres ou d’espions prussiens se propage au sein de la population et de nombreux incidents et méprises sont à déplorer. La Dordogne connaît quant à elle, lors de l’été 1870, une importante sécheresse et les récoltes sont désastreuses. C’est dans ce contexte local et national difficile que prend place la foire annuelle aux bestiaux de Hautefaye.
 


Bataille de Reischoffen, 6 août 1870, image d'Épinal de la Maison Pellerin

 

De la méprise au supplice

Avant l’arrivée d’Alain de Monéys à la foire de Hautefaye, son cousin Camille Maillard est au cœur d’une première dispute avec quelques participants au sujet de la bataille de Reischoffen. Les esprits s’échauffent, le climat devient violent, mais Maillard parvient à s’enfuir. Alain de Monéys arrive à la foire et prend connaissance de l’incident. Refusant de croire les accusations portées à l’encontre de son cousin, il est pris à partie. Les éclats de la dispute se propagent rapidement sur la place du village et Alain de Monéys est accusé à tort de soutenir financièrement les Prussiens, d’avoir crié « Vive la République, à bas l’Empereur ! » ou encore « Vive la Prusse ! », quand il n’est pas simplement confondu avec son cousin. Poursuivi par une foule majoritairement alcoolisée qui ne cesse de s’accroître, il est désigné comme un traître à la solde des Prussiens. La dispute se transforme rapidement en lynchage accompagné d’actes de torture. Après un supplice de près de deux heures et une tentative de pendaison infructueuse, la foule décide de brûler le notable.

À partir du 20 août, la presse nationale relate l’événement dans ses rubriques dédiées aux faits-divers en reprenant les informations publiées dans la presse locale.
 

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Le Constitutionnel, le Journal des débats politiques et littéraires, Le Gaulois, L’Univers
 

Le Journal des débats politiques et littéraires du 20 août 1870 se fait écho du drame repris dans Le Charentais. Le Constitutionnel reprend Le Périgord, Le Gaulois et L’Univers L’Écho de la Dordogne

Les répercussions du crime sont également traitées dans la presse nationale, comme la révocation par décret de Bernard Mathieu, maire de Hautefaye, dans le Journal des débats politiques et littéraires du 26 août 1870, ou encore le décès de la mère de la victime dans Le Petit Journal du 7 septembre 1870.
 

Le procès à Périgueux et l’exécution sur les lieux du crime

Suite à l’enquête de la gendarmerie, vingt-et-une personnes sont inculpées et comparaissent devant le tribunal de Périgueux. Le procès se déroule du 13 au 21 décembre 1870. Quatre hommes sont condamnés à la peine de mort par arrêt de la cour d’assises de Dordogne : François Chambord, maréchal-ferrant, Pierre Buisson, cultivateur, Léonard dit Piarrouty, chiffonnier et François Mazières, cultivateur. L’arrêt ordonne que l’exécution se déroule sur les lieux du crime. Des peines d’un an de prison à huit ans de travaux forcés sont prononcées à l’encontre des autres accusés.

L’exécution se déroule le 6 février 1871 près de la halle aux bestiaux de Hautefaye devant une centaine de personnes. Les quatre corps sont inhumés dans le cimetière du village. Le Journal des débats politiques et littéraires du 14 février et Le Petit Journal du 16 février relatent en détail le transfert des quatre condamnés de Périgueux à Hautefaye ainsi que l’exécution en reprenant les informations publiées dans L’Écho de la Dordogne, tout comme Le Constitutionnel du 17 février qui cite Le Charentais.
 

L’affaire comme précédent dans la presse et à la Chambre des députés

Révélateur des dangers de la paranoïa collective pour les uns, de l’admiration aveugle de l’Empire ou de la haine des rentiers pour les autres, les faits sont repris plusieurs années après. Ainsi, le Gil Blas du 10 septembre 1887 rappelle à ses lecteurs le drame de Hautefaye dans un article dénonçant la paranoïa et la « mouchardomaniea » (sic) qui sévit dans le pays.

Gil Blas en 1909, à propos d’une exécution effectuée par le bourreau Anatole Deibler à Béthune, évoque l’affaire de Hautefaye. L’article rappelle ainsi que cette quadruple exécution, contrairement à ce qui a été publié dans la presse, n’est pas une première depuis 1866. Notons cependant que l’article surévalue l’« immense foule » qui aurait assisté à l’exécution de Hautefaye.
 


Anatole Deibler par A. Dellanoy, dans Les Hommes du jour, 23 janvier 1909

 

Le Petit Journal du 17 août 1921 fait une analogie entre le drame de Vandélicourt, lors duquel un dénommé Caron a été torturé et brûlé vif par un groupe d’hommes, et l’affaire de Hautefaye.

Le drame est également évoqué à la Chambre des députés lors de la séance du 10 mai 1894 portant sur la proposition de loi relative à la suppression de la publicité des exécutions capitales. Le député Henri de Perier de Larsan, membre du groupe des Républicains progressistes, s’appuie sur le drame de Hautefaye et le caractère exemplaire de l’exécution sur le lieu même du crime des quatre désignés coupables pour défendre avec véhémence le maintien des exécutions publiques.
 


Henri de Perier de Larsan, dans l’Annuaire du tout Sud-Ouest illustré, 1907

La proposition de loi sera rejetée en 1898. Les exécutions publiques ne seront abolies en France qu’en 1939.
 

Bibliographie

Essais historiques :
Marbeck Georges, Hautefaye : l'année terrible, R. Laffont , Paris, 1982 (notice catalogue)
Corbin Alain, Le village des cannibales, Flammarion , Paris, 1995 (notice catalogue)
Roman :
Teulé Jean, Mangez-le si vous voulez, Julliard, Paris, 2009 (notice catalogue)

Commentaires

Soumis par Scribe le 05/12/2017

Le texte du Gil Blas du 10 septembre 1887 porte « mouchardomanie » et non *mouchardomaniea qui ne fait pas sens ; l'auxiliaire du passé composé (« a toujours sévi ») est simplement resté accolé par coquille typographique…

Soumis par yoyo53 le 22/05/2018

bonjour je viens de lire cette histoire horrible que je connaissais pas....un film serait pas mal

Soumis par Alx40 le 02/05/2020

Bonjour. Je viens de lire votre article après celui de Wikipedia. Le vôtre est très bien rédigé et documenté (forcément...fruit d’une longue recherche à n’en pas douter). Bravo et merci.

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