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La littérature par les femmes : Sarah et Dominique Sauquet

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7 mars 2020

Professeure de lettres et créatrice d'applications littéraires, Sarah Sauquet sort cette semaine une application ultra addictive, dédiée aux textes de femmes, qui fourmille de trouvailles faites dans Gallica. Elle l’a créée avec sa mère, spécialiste de développement logiciel.

Bonjour, Sarah et Dominique Sauquet. Pouvez-vous nous parler un peu de vous ?

Nous sommes une mère et sa fille, respectivement ingénieure et professeure de lettres, qui avons décidé il y a près de huit ans maintenant d’unir nos compétences et passions respectives pour créer des applications littéraires. Ce qui ne devait être qu’un coup d’essai est devenu une formidable aventure professionnelle et personnelle.

Comment vos applications littéraires sont-elles nées ?

Passionnée depuis toujours par la littérature classique, j’ai offert en 2009, à Noël, une anthologie littéraire personnalisée à tous les membres de ma famille. J’avais sélectionné des textes en fonction de leurs centres d’intérêt. Ce petit cadeau, sous format papier, les a beaucoup touchés. Ma mère, qui a toujours beaucoup d’idées, m’a, un an plus tard, proposé de créer une version numérique de cette anthologie. Nous souhaitions créer un outil proposant non pas des œuvres dans leur intégralité, mais de courts textes expliqués que l’on pourrait lire rapidement et aussi bien dans le bus qu’attablé devant son petit-déjeuner. Nous avons tout de suite souhaité en faire un outil pédagogique, à destination des étudiants et lycéens, comportant des jeux afin de tester ses connaissances, et des notes dans l’esprit de ce que l’on apprend au lycée. L’application Un texte Un jour est née en octobre 2012  sur iPhone. Elle a tout de suite trouvé son public, et nous avons continué, en parallèle de nos activités professionnelles principales. Nous avons aujourd’hui 7 applications : Un Texte Un Jour, Un Poème Un Jour consacrée à la poésie française classique, A Text A Day, réalisée avec un professeur d’anglais, Nicolas Gosnet, qui vous permet de relire, en anglais, les classiques de la littérature anglo-saxonne, Un Texte Un Eros, consacrée à la littérature amoureuse et érotique, Un Mot Un Jour, qui est un jeu de vocabulaire autour de citations littéraires, Aurélien et Bérénice, en lien avec mon premier livre, La première fois que Bérénice vit Aurélien, elle le trouva franchement con, publié aux éditions Eyrolles en 2017, et notre dernière-née, Un Texte Une Femme.

Un Texte Une Femme, votre dernière application, qui sort cette semaine, propose de recevoir, chaque jour, un texte qui parle de femmes et qui est écrit par une femme, connue ou méconnue. Sarah, pouvez-vous nous raconter comment vous avez sélectionné ces textes ? Et comment vous les avez enrichis, mis en scène dans l’application ?

Pour des raisons de droits d’auteur, nous ne faisons figurer au sein de nos applications que des textes d’auteurs entrés dans le domaine public. Cette règle s’applique pour Un Texte Une Femme, dans laquelle je souhaitais vraiment mettre à l’honneur de célèbres femmes de lettres bien sûr, mais aussi beaucoup d’autrices oubliées ou méconnues, abordant des sujets extrêmement divers afin de parler au plus grand nombre, et d’aborder la condition féminine le plus largement possible.
À l’exception des femmes de lettres, ou femmes célèbres que je connaissais déjà, j’ai fait des recherches de manière très systématique en faisant des listes de femmes (listes de femmes scientifiques, listes de sages-femmes, liste de femmes artistes, activistes, etc.) et en cherchant si elles avaient écrit. Gallica est donc devenu mon premier moteur de recherches, et je dois dire que sans votre fonds extraordinaire, je n’aurais pu finaliser le contenu de l’application.
Le choix des textes s’est fait à la fois sur des coups de cœur, sur des femmes qu’il me semblait nécessaire de remettre à l’honneur (je pense par exemple à Madeleine Pelletier, première femme diplômée en psychiatrie en France, dont les textes sur l’avortement ou le harcèlement sont, bien qu’écrits au début du 20e siècle, d’une incroyable modernité), sur la pertinence d’un propos sur un sujet donné.
J’ai mis un point d’honneur à ne pas piller d’anthologies déjà existantes, à ne pas m’attribuer un travail de recherches qui n’aurait pas été le mien.
Chaque texte s’accompagne d’une introduction dans laquelle j’évoque le contexte dans lequel il a été écrit, et pourquoi, ce texte-là, nous parle encore aujourd’hui. Il y a également une biographie de chaque autrice. Plus l’autrice en question est méconnue, plus la biographie sera longue !

Vous souvenez-vous du jour où vous avez découvert Gallica ?

J’ai entendu parler de Gallica pour la première fois pendant mes études de lettres, et pendant ma préparation du capes, mais le site (nous étions en 2006) me semblait alors complexe d’utilisation, ou du moins, je ne voyais pas bien comment l’utiliser. Il faut dire que je n’étais, à l’époque, pas du tout technophile. Il demeurait pour moi, néanmoins, un gage de sérieux, et une véritable référence. Je l’utilise véritablement depuis 2010, mais j’ai vraiment pris la mesure du catalogue absolument extraordinaire de Gallica avec la création de cette application, sur laquelle je travaille depuis août 2019.

110 autrices figurent dans votre application. Certaines sont célèbres, comme Madame de Sévigné, George Sand ou Louise Labé, d’autres le sont moins : Louise Bourgeois – la sage-femme de Marie de Médicis, et non l’artiste – Madeleine Brès, Jeanne Chauvin, ou Madeleine Pelletier. Parmi les moins connues d’entre elles, lesquelles avez-vous découvertes dans Gallica ?

Je dirais que 40% de l’application s’est fait grâce à Gallica et j’ai donc découvert une quarantaine d’autrices grâce à Gallica. Il y a bien sûr des femmes que je connaissais déjà, mais dont je ne connaissais pas les écrits. Je pense par exemple à Élisabeth Vigée Le Brun, qui raconte dans ses mémoires qu’elle perd les eaux en pleine réalisation d’un tableau ! Mais grâce à Gallica, j’ai découvert une quantité importante de femmes que je ne connaissais absolument pas. Je pense à Lucie Faure-Goyau, la fille de Félix Faure, qui a écrit un ouvrage plein de poésie sur les fées, à la sage-femme Angélique de Coudray, à la journaliste Séverine ou à la danseuse Lola Montez. J’ai également découvert beaucoup de féministes, comme Josephine Butler, Aline Valette, ou des aventurières comme Olympe Audouard.

S’il ne fallait en retenir qu’un, quel texte de femme trouvé dans Gallica aurait votre préférence ?

Vaste question ! Je cherchais si des écrits d’Helen Keller étaient tombés dans le domaine public. En tapant "Helen Keller" dans le moteur de recherche de Gallica, j’ai découvert la Française Marie Lenéru, elle-même sourde et muette, qui lui a consacré une biographie, Le cas de miss Helen Keller. Cet ouvrage est passionnant et plusieurs extraits se trouvent au sein de l’application. Il y est question du handicap, et du parcours exceptionnel que fut celui d’Helen Keller.

Bien souvent, les textes que vous avez sélectionnés montrent des femmes obligées de se justifier ou de se défendre. Pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet ?

Les préfaces de nombreux ouvrages sont très révélatrices de ce phénomène. Il n’est pas rare qu’avant de se consacrer au sujet de son ouvrage, l’autrice commence par se présenter, rappeler son parcours, et ce qui fait sa légitimité à prendre la plume. Mais il arrive souvent que l’ouvrage en lui-même serve de justification. Je pense par exemple à Louise Bourgeois : la sage-femme accoucha Marie de Bourbon, la belle-sœur de Louis XIII. Elle donna naissance à Anne-Marie Louise d’Orléans, que l’on connaît mieux sous le nom de "la Grande Mademoiselle". Malheureusement, Marie de Bourbon décède six jours après la naissance de sa fille à l'âge de 21 ans. L’autopsie pratiquée par les chirurgiens stipule que le décès serait dû à la persistance de débris placentaires dans l’utérus et Louise Bourgeois est alors accusée de négligence. Elle dut se justifier dans un essai virulent, que j’ai découvert dans Gallica et présenté au sein de l’application.

Comment ces femmes ont-elles finalement pu accéder à la notoriété ?

Si ces femmes ont pu prendre la plume, et que leurs écrits nous sont parvenus, c’est qu’elles avaient une certaine notoriété, et qu’elles jouissaient d’une reconnaissance certaine, dans leurs domaines. La question porte davantage sur la pérennité de cette notoriété. J’ai été très frappée d’apprendre que Louise Colet, que l’on présente toujours comme la maîtresse de Flaubert, avait énormément écrit et qu’elle avait été bardée de prix littéraires. J’ai adoré son essai Ces petits messieurs, plein d’ironie et d’irrévérence, consacré aux gigolos, que j’ai découvert grâce à Gallica. Après sa rupture avec Flaubert – leur liaison aura duré dix ans –, l’auteur de Madame Bovary ne cessera de dénigrer l’œuvre de son ancienne maîtresse, ce qui explique en partie l’oubli relatif dans lequel sont tombés les écrits de Louise Colet. Cette découverte m’a révoltée. Parce que Louise Colet était brillante et qu’elle a été manifestement invisibilisée par son ancien amant. Sans cela, je suis sûre que nous lirions encore Louise Colet aujourd’hui. Puisse Un Texte Une Femme nous aider à la faire redécouvrir.

Dominique, c’est vous qui développez les applications de Sarah. Pouvez-vous nous parler de votre parcours dans un milieu trop souvent considéré comme exclusivement masculin ?

Je suis sortie de l’école Centrale en 1979. J’avais fait des mathématiques appliquées, ce qui m’a très vite amenée à l’informatique, puisqu’il faut implémenter les algorithmes que l’on conçoit. J’ai travaillé en France, aux États-Unis, j’ai ensuite fait de l’informatique de process dans l’industrie lourde – en l’occurrence une aciérie. Finalement, j’ai souhaité travailler pour la médecine et suis rentrée à l’Assistance publique. J’y suis restée une petite vingtaine d’années. En 2004, j’ai décidé de créer mon entreprise, It’s Sauquet.com, tout en enseignant à Centrale.  
J’ai toujours fait du développement de logiciel, depuis mes années d’école jusqu’à aujourd’hui. Cela m’a toujours plu, je ne m’y suis jamais ennuyée. C’est un métier dans lequel le renouvellement est constant, qui demande à la fois de la rigueur et de la créativité, qui convient très bien à ceux qui aiment la langue. Le développement est un métier idéal pour les amoureux des mots car il s'agit de formaliser une idée de façon simple puis de la traduire dans un langage informatique. C’est une question de sémantique et de grammaire, qui fait appel à la réflexion, et à la conception.
C’est en cela que je me retrouve tout à fait dans ma collaboration avec Sarah.
 
Quels sont les prochains projets qui vous tiennent à cœur à toutes deux ?

Nous rêvons de développer d’autres applications littéraires, notamment consacrées à la francophonie, mais également un jeu, assez ambitieux, de culture générale. Pour cela, nous sommes à la recherche d’investisseurs !

Le mot de la fin ?

Montaigne nous le dit dans ses Essais : "Car le magasin de la mémoire est volontiers plus fourni de matière que n’est celui de l’invention". Mille mercis à Gallica !

Pour aller plus loin...

Vous aussi vous utilisez Gallica pour un projet qui vous tient à cœur et vous souhaiteriez en parler sur le blog Gallica ? N’hésitez pas à nous contacter à gallica@bnf.fr en mentionnant "Billet Gallicanautes" dans l’objet de votre message.

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