Manuscrits musicaux de Claude Debussy

Cette sélection présente les manuscrits autographes d’une grande partie de l’œuvre pour piano seul, quatre mains ou deux pianos de Claude Debussy, dont la BnF conserve des pages célèbres : les Estampes (1903), les Préludes (le deuxième livre) (1910-1913), En blanc et noir (1915), et une partie des Douze études (1915). Quant au cycle des Images, la BnF en conserve uniquement Reflets dans l’eau, issu du premier livre. Il s’agit de manuscrits à l’encre ou au crayon, sobrement annotés, dans des versions nettes et généralement destinées à la gravure chez la maison Durand, l’éditeur à l’origine de l’importante collection de manuscrits de Debussy de la BnF. La notation est claire et, en dépit de la marge laissée à l’interprète, souvent précise dans ses indications (phrasé, nuances, tempi par exemple), notamment dans les Préludes et les Estampes.

Des manuscrits d’œuvres de jeunesse, composées avant 1892, sont également accessibles : Diane ouverture (1881) dédié à Ernest Guiraud, son professeur de composition au Conservatoire et inspiré d’une comédie héroïque de Théodore de Banville ; Fantaisie (1889-1890) pour piano et orchestre, dont la BnF conserve la particelle, soit une présentation condensée des parties d’orchestre (ici sur trois portées) avant rédaction de la partition définitive, pratique courante chez Debussy ; ou encore les célèbres Deux Arabesques (1891) dans lesquelles se dessine déjà son écriture pianistique à venir. Enfin on retrouve des pièces plus marginales : les Six épigraphes antiques (1914) ici dans leur version pour quatre mains, qui reprennent des parties de La Chanson de Bilitis, ou encore Lindaraja (1901), pour deux pianos, à l’histoire trouble puisque l’œuvre était inconnue du vivant de Debussy et disparut un temps lors d’une vente aux enchères à Drouot.

Grâce à Marmontel, son professeur de piano au Conservatoire, le jeune Debussy est introduit très tôt dans les salons de grands amateurs aristocratiques et bourgeois en tant que pianiste accompagnateur. Il y fait de temps à autre entendre quelques pièces de sa composition. En 1881, il fait la connaissance de la cantatrice Marie-Blanche Vasnier, à laquelle il dédicace vingt-quatre mélodies en cinq ans. Le recueil de neuf mélodies constitué à son intention témoigne, au-delà d’une admiration amoureuse à peine dissimulée, d’une sensibilité poétique déjà exceptionnelle.

Après une période transitoire fortement teintée de wagnérisme s’ensuivent à partir de 1891 des années particulièrement fécondes. Placées sous le signe du symbolisme, ellessont encadrées par les deux livres des Fêtes galantes, recueils de trois poèmes de Verlaine composés respectivement en 1891 (dont le fameux Clair de lune) et 1904 (contemporain de Pelléas, qui se clôt sur le Colloque sentimental). Les Proses lyriques composées sur ses propres textes tiennent de ce fait une place à part, et c’est avec les Trois Chansons de Bilitis (1897-1898), composées sur les poèmes de l’ami Pierre Louÿs, que Debussy atteint véritablement son but dans la mise en musique d’un texte en prose, dont l’érotisme fit par ailleurs scandale.

Les recueils publiés après 1904 rendent hommage à la tradition poétique française  chère à Debussy. S’y affirme une sensibilité de plus en plus marquée pour l’intemporel et l’indicible, qui trouve son inspiration dans un passé médiéval rêvé (Trois Chansons de France, Trois Chansons de Charles d’Orléans,  Trois Ballades de François Villon) ou dans la poésie du XVIIe siècle avec Tristan L’Hermite (Le Promenoir des deux amants). L’idée d’une musique faite pour l’inexprimable atteint sa pleine réalisation dans les Trois poèmes de Stéphane Mallarmé (1913), dernier recueil mélodique et véritable chef-d’œuvre, qui représente en quelque sorte le testament esthétique du compositeur. Très proche de l’écrivain, Debussy tourne cette fois définitivement le dos au symbolisme pour atteindre à cette musique « dont l’essence première est le mystère », fondée sur un non-dit qui aboutira aux dernières œuvres mélodiques purement instrumentales que sont les trois sonates.

Le Noël des enfants qui n’ont plus de maison, courte mélodie dédiée aux enfants européens victimes de la guerre, clôt l’œuvre vocal du compositeur.

C’est entre 1880 et 1882, lors de ses séjours comme « pianiste privé » auprès de la baronne Nadedja  von Meck, la riche protectrice de Tchaïkovski, que le jeune Debussy,  découvre la musique de chambre et compose ses premières pièces.

Dix ans plus tard, le Quatuor à cordes op. 10, créé le 29 décembre 1893 à la Société nationale de Musique par le célèbre Quatuor Ysaÿe, le révèle au grand public parisien puis bruxellois. Composé en 1892 et 1893, alors que Debussy travaille au Prélude à l’après-midi d’un faune, le quatuor est une œuvre charnière ; de facture classique, le quatuor constitue par sa forme cyclique un hommage à César Franck et à son fameux quatuor à cordes (1890). Debussy en réécrira à trois reprises le final, dont plusieurs esquisses sont conservées, ainsi qu’il le confie à Ernest Chausson le 2 juillet 1893 :

 « Quant au final du Quatuor, je n’arrive pas à ce que je voudrais qu’il fût, et voilà trois fois que je recommence sans succès. C’est étouffant ! »

Final qui semble achevé avant le 15 août, date à laquelle Debussy propose à Chausson de le lui montrer :

« Je crois décidément pouvoir vous montrer le Final du Quatuor, qui m’aura rendu vraiment malheureux ».

Très innovante dans sa forme harmonique et rythmique, cette pièce très atypique dans la production debussyste déroute les contemporains avant de s’imposer au répertoire de tous les chambristes.

À partir de 1894 s’ouvre ensuite une période de maturité artistique dominée par les grandes œuvres pianistiques, orchestrales et lyriques. Ce n’est que vingt ans plus tard que Debussy renoue avec la musique de chambre. À l’éblouissant Syrinx pour flûte seule (1913) succèdent les derniers chefs d’œuvre que sont les trois sonates : Sonate n° 1 pour violoncelle et piano (1915), Sonate n° 2 pour flûte, alto et harpe (1915, Sonate pour violon et piano (191), Composées dans la souffrance de la maladie et marquées d’une profonde mélancolie, ces trois pièces sont les seules abouties sur l’ensemble des Six sonates initialement projetées à la demande de Jacques Durand et conçues comme un hommage du compositeur français le plus novateur à ses illustres prédécesseurs et modèles, François Couperin et Jean-Philippe Rameau.

Écrit entre 1892 et 1894, librement inspiré du poème de Mallarmé, le Prélude à l’après-midi d’un faune  marqua son époque. Selon Harry Halbreich, ces quelques pages de musique « ouvrent une ère nouvelle : avec elles commence la musique moderne ». C’est avec émotion que l’on peut voir sur la première page du manuscrit de l’œuvre, tracées à l’encre, les quelques notes du célèbre solo de flûte introductif, entré dans l’histoire de la musique.

Achevée en 1905, La Mer est sans doute l’œuvre la plus étroitement associée au nom de Debussy. Le manuscrit autographe pour orchestre, annoté par l’éditeur Jacques Durand à qui l’œuvre fut dédiée et qui en fit don au Conservatoire de Paris en 1923, est accompagné du manuscrit d’une réduction de l’œuvre pour piano à 4 mains, témoin d’une autre étape de la conception de la pièce dans l’esprit du compositeur.

Les trois Nocturnes, fruit d’un long travail entre 1897 et 1899, comptent eux aussi parmi les œuvres orchestrales majeures de Debussy. Le manuscrit visible en ligne, qui porte une dédicace à Georges Hartmann, éditeur de musique et mécène de Debussy, est une mise au propre particulièrement soignée.

Le cycle des Images pour orchestre est lui aussi représenté, par plusieurs manuscrits différents. Pour la célèbre suite Iberia, datée de 1908 et constituée de trois pièces (« Par les rues et par les chemins », « Les Parfums de la nuit », « Le Matin d’un jour de fête »), il existe à la fois le manuscrit complet mis au propre, et une esquisse du premier thème qui donne un aperçu de la pensée musicale de Debussy à un état plus embryonnaire. L’ensemble est complété par le manuscrit de la dernière pièce du cycle, Rondes de printemps.

Pelléas et Mélisande est un drame lyrique en 5 actes et douze tableaux sur le livret de Maurice Maeterlinck, texte symboliste inspiré du récit de Tristan et Yseult. Il fut composé entre 1893 et 1902 : Debussy avait composé dès 1895 avec une première version non orchestrée, dont la BnF conserve des esquisses, avant d’en faire l’orchestration en 1901, après que le directeur de l’Opéra-Comique Albert Carré s’était engagé à programmer sa création. La partition connut enfin d’importantes modifications au moment des répétitions en 1902, avant sa création le 28 avril 1902 (générale), avec Mary Garden dans le rôle de Mélisande. L’œuvre entre dans le domaine public en 2020 : c'est pourquoi le manuscrit complet de l'opéra, bien que numérisé et en ligne dans Gallica, ne peut être consulté à l'heure actuelle que dans les murs de la Bibliothèque nationale de France.

Claude Debussy fut également sollicité par Gabriele D’Annunzio pour écrire la musique du Mystère de Saint Sébastien, mystère en 5 actes sur un texte symboliste imprégné d’hagiographie médiévale. L’écrivain avait auparavant contacté les compositeurs Roger-Ducasse et Henry Février, sans succès. La musique fut composée en seulement quatre mois, entre février et mai 1911, l’écrivain envoyant son travail par fragments jusqu’en février. Aussi Debussy fut-il aidé pour l’orchestration par André Caplet et d’autres copistes, dont la partition manuscrite porte les mains. La création eut lieu le 22 mai 1911 avec, dans le rôle-titre, la célèbre danseuse Ida Rubinstein, commanditaire de l’œuvre, les décors et costumes de Léon Bakst, et la mise en scène de Michel Fokine, autant de personnalités des Ballets Russes. Insatisfait du résultat, notamment par la longueur du texte parlé, Debussy fit le projet de transformer en « drame lyrique », dont il ne subsiste pas de trace musicale.

Egalement commandé et créé par la troupe des ballets russes, Jeux est un poème dansé, sur un argument du chorégraphe Nijinski, inspiré d’une partie de tennis. Il fut composé en août 1912-avril 1913 et créé le 15 mai 1913 au Théâtre des Champs-Elysées. Le contrat fut signé en deux temps entre le musicien et la compagnie de danse : une réduction pour piano devait d’abord permettre au chorégraphe de commencer son travail, avant de fournir la partition d’orchestre.

Une des dernières œuvres de Debussy est La boîte à joujoux, ballet pour enfants sur un argument du peintre André Hellé qui avait illustré la partition imprimée de dessins en couleurs. Elle est dédiée à la fille aimée du compositeur Claude-Emma, dite « Chouchou », qui s’éteignit tragiquement un an après la mort de son père. Claude Debussy composa une version pour piano, avant de s’atteler à l’orchestration, qui fut achevée par André Caplet après sa mort. La création prévue à l’Opéra-Comique et retardée par la guerre, eut finalement lieu au Théâtre lyrique du Vaudeville le 10 décembre 1919.