Le trésor de Lattaquié
Le trésor de Lattaquié est un ensemble de monnaies d’argent du IIe s. av. J.-C. découvert en 1759 enterré dans un vase sur la côte syrienne, près de la ville de Lattaquié. Le nombre exacte de monnaies qu’il contenait n’est pas connu : probablement plus d’une centaine. Il est aujourd’hui conservé au département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. Son intérêt est double. D’une part il témoigne de la circulation monétaire sur la côte levantine à une période agitée de son histoire, d’autre part il est le premier trésor monétaire à avoir fait l’objet d’une étude scientifique systématique, dès le milieu du XVIIIe s.
L’intérêt pour les trésors ne date, en effet, pas d’aujourd’hui. Cette première étude savante d’un trésor est datée de 1765, dans un volume intitulé Mélange de diverses médailles, pour servir de supplément aux Recueils des médailles de rois et de villes, Paris, 1765 (p. 104-140). Elle est l’œuvre de Joseph Pellerin, collectionneur passionné qui rassembla quelques 35 500 monnaies grecques et en rédigea le catalogue. Cette collection a ensuite été entièrement achetée par le Cabinet du Roi, ancêtre du département des Monnaies, médailles et antiques de la Bibliothèque nationale de France. La présentation que fait J. Pellerin de cette découverte est étonnamment précise et souligne les qualités scientifiques de l’homme. La provenance géographique du lot est établie avec assez de précision par les dires de celui qui l’a vendu à Lattaquié et a ensuite disparu : le trésor a en effet été acheté pour Joseph Pellerin par l’un de ses correspondants en Syrie, il n’y a pas eu d’autre intermédiaire. L’apparence physique des pièces, que Joseph Pellerin nomme médaillons, est décrite d’une manière savoureuse qui permet de se faire une idée de ce à quoi ressemble un trésor quand il arrive entre les mains du chercheur sans avoir été nettoyé : « ils étaient noirs comme du vieux plomb, et la plupart si couverts d’une terre tenace et adhérente à la matière qu’on n’auroit jamais pu les prendre pour de l’argent si l’on n’en avoit pas rompu quelques-uns sur le lieu avant que de les acheter. La terre y étoit attachée, et comme incorporée, de façon que ce n’a été qu’avec une peine et une patience extrême qu’on est parvenu à les en dépouiller. On estime qu’il y a eu un incendie dans le lieu où ils estoient déposés, plusieurs ayant des soufflures qui semblent provenir de ce qu’ils ont souffert un feu violent. Du reste ils sont très beaux et entiers pour la plus grande partie ».
Dès le XVIIIe s., la collection de Joseph Pellerin a été intégrée au fonds général du département des Monnaies, médailles et antique sans conserver d’étiquette distinctive. Il faut un examen particulièrement attentif et l’appui des gravures du Recueil pour retrouver quelques exemplaires. Ce qui sont sont actuellement discernables portent les traces d’un nettoyage peu respectueux qui a laissé de profondes rayures dans le métal. J. Pellerin indique que « ces médaillons […] excèdent le nombre de cent », sans plus de précision. La suite de la description s’attache surtout à la rareté des monnaies et n’en dresse pas une liste comme on le ferait aujourd’hui, mais elle discute chaque pièce jugée intéressante en faisant un commentaire historique chaque fois que c’est possible. La discussion porte sur les ateliers, les datations fondées sur des ères locales, les marques de contrôle apposées sur les monnaies, les variétés, les portraits des rois et l’histoire des royaumes et des cités, la datation du trésor. Il s’agit soit des monnaies des rois qui ont succédé à Alexandre le Grand en Orient (Alexandre lui-même, Lysimaque, les rois séleucides, Mithridrate III), soit des monnaies de cités d’Asie Mineure (confédération ilienne, Alabanda, Sidé) et du Levant (Arados). L’ensemble a été enfoui vers 169 av. J.-C.
La discussion est menée avec une érudition et une acuité qui forcent l’admiration. Il faut souligner la nouveauté du questionnement de Joseph Pellerin qui, par cette étude, ouvre les portes de la numismatique moderne : la provenance, le contenant, le nombre d’exemplaires, leur état physique ont été détaillés avec soin. Trois planches illustrent les principales monnaies dont les ateliers d’origine sont identifiés avec beaucoup de perspicacité. Le premier dans l’histoire, Joseph Pellerin s’interroge sur la date d’enfouissement du trésor. Le premier, il considère le trésor comme un ensemble archéologique qui, selon lui, pourrait avoir témoigné du voyage d’un marchand. Il s’agit en fait de monnaies d’argent qui voyagent à l’occasion des guerres entre les royaumes hellénistiques, probablement en paiement des armées.
Joseph Pellerin limite sont examen aux nouveautés : « Après avoir parlé de la médaille de Mithridate et de celles d’Alexandre, provenant du dépôt découvert près de Latakié, il reste peu de choses à dire concernant les médailles des autres rois qui s’y sont trouvées : elles ne contiennent rien qui ne soit connu ». C’est un effet de l’esprit collectionneur du XVIIIe siècle, qui cherche à combler les manques des séries déjà connues, pas à accumuler les exemplaires pour en faire une étude quantitative. Mais l’essentiel est dit : Joseph Pellerin a posé les grandes questions auxquelles nous cherchons encore à répondre en étudiant les trésors.
Pistes bibliographiques :
- J. Pellerin, Mélange de diverses médailles, pour servir de supplément aux Recueils des médailles de rois et de villes, Paris, 1765, p. 104-140.
- H. Seyrig, Trésors du Levant Anciens et nouveaux, Paris, 1973, n° 11.
- M. Thompson, O. Mørkholm, C.M. Kraay, An Inventory of Greek Coin Hoards, New York, 1973, n° 1544 (version web).
- F. Duyrat, Wealth and Warfare. The Archaeoloy of Money in Ancient Syria, Numismatic Studies 34, New York, 2016, n° 184, p. 116-117.