Manuscrits carolingiens : Styles et écoles

Pratiqué sur le continent durant les VIIe et VIIIe siècles, en particulier à Bobbio, Luxeuil et Corbie, le style mérovingien se caractérise par ses initiales multicolores, inspirées des émaux cloisonnés qui ornaient les bijoux. Ces initiales sont très souvent composées de poissons et d'oiseaux stylisés dont les formes arrondies s'adaptent à la structure de la lettre.

Puisant leur inspiration dans les arts du métal ou du textile, les artistes insulaires ont fait de l’entrelacs, des figures géométriques et des animaux stylisés leurs motifs privilégiés. Ils développent de manière abstraite ces motifs, qui occupent parfois toute la surface de la page. Grâce aux missionnaires anglo-irlandais, ces décors insulaires sont importés sur le continent et diffusés à partir de leurs fondations monastiques.

Foyer de l'école franco-saxonne (ou franco-insulaire) , l'abbaye royale de Saint-Amand pratique un style ornemental abstrait d'une grande originalité, fruit de la combinaison d'ingrédients insulaires et d'apports plus spécifiquement carolingiens. D'une sobre élégance, ce langage formel fait la part belle aux savantes constructions géométriques ou calligraphiques et n'accorde guère de place aux représentations figurées.

La Vallée de la Loire est un haut-lieu de la révision de la Bible : l’Anglais Alcuin, conseiller du roi et abbé de Saint-Martin de Tours, établit dans cette abbaye une nouvelle version de la Bible vers 800, et l'abbaye produit dès les années 830 une série de Bibles illustrées renouant avec les traditions figuratives de la Basse Antiquité.

Les scriptoria de Reims symbolisent le renouveau de l’art classique et pratiquent un art illusionniste qui se caractérise par la recherche de la perspective et par la représentation naturaliste des figures.

Metz est le berceau de la dynastie carolingienne, le siège épiscopal est occupé par des prélats proches du trône. À la fin du VIIIe siècle, Angilram, chapelain de Charlemagne, crée un scriptorium auprès de la cathédrale. Grâce au mécénat de Drogon, fils adultérin de l'empereur désigné comme évêque en 821, Metz connaît au milieu du IXe siècle une activité artistique brillante, qui s'exerce dans la peinture de manuscrits et la sculpture de l'ivoire.

De l’épiscopat de Drogon, demi-frère de Louis le Pieux à la fin du IXe siècle, Metz demeure un foyer culturel de premier plan. Charles le Chauve choisit la cathédrale de Metz pour être couronné roi de Lotharingie en 869. La production livresque tardive de ce centre est rattachée à l’école Lotharingienne ou seconde école de Metz.

L’école du Palais de Charlemagne est traversée par le retour au classicisme. Importés d’Italie, les manuscrits antiques qui circulent à la cour et dans les monastères francs contribuent à véhiculer cet héritage classique.

Durant la seconde moitié du IXe siècle, Charles le Chauve s'engage sur les traces de son illustre grand-père en encourageant les arts, en particulier dans les domaines du livre et de l'orfèvrerie.  L’école du Palais de Charles le Chauve, dont la localisation demeure inconnue, Est dirigée par le scribe Liuthard.  Elle mêle harmonieusement les aspects novateurs des grands scriptoria francs, l'originalité iconographique de Metz et la puissante interprétation des modèles antiques pratiquée à Reims ou à Tours, avec les héritages italien et insulaire.

Dans la partie orientale de l’empire, la Germanie a joué elle aussi un rôle actif dans la renaissance carolingienne. Les centres de productions de manuscrits ont souvent entretenu des relations conséquentes avec leurs homologues occidentaux. Les foyers les plus importants du territoire germanique sont Corvey, Echternach, Freising, Fulda, Mayence, Reichenau, Saint-Gall et Salzburg.

Parmi les centres germaniques, l’école artistique de l’abbaye Saint-Gall connaît un grand essor. Au carrefour de plusieurs sphères culturelles, elle bénéficie dans sa production de multiples influences étrangères. Les manuscrits exécutés dans les scriptoria de Saint-Gall se caractérisent par un décor antiquisant. Ses somptueuses pages d’initiales pourprées et les arcades d’inspiration antique accompagnées par de scènes figurées rappellent l’école du Palais de Charlemagne.

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À l’époque carolingienne, l’Antiquité classique constitue une référence au plan politique comme au plan culturel. Les artistes carolingiens se nourrissent des apports de l’Antiquité classique qu’ils intègrent à leurs propres créations. Ils s'approprient non seulement les formes architecturales et les ornements antiques, mais aussi le style naturaliste et les illusions de perspective de la période hellénistique. À côté de cet héritage, le décor ornemental des manuscrits carolingiens s’inspire de l’art graphique élaboré par les artistes irlandais et anglo-saxons.

De l’art mérovingien, enfin, les artistes carolingiens retiennent la lettrine multicolore, inspirée des émaux cloisonnés qui ornaient les bijoux, le répertoire de poissons et d’oiseaux et le frontispice en forme de portique, un décor qui remonte vraisemblablement à des modèles d’origine lombarde. Les nombreux échanges de manuscrits entre les établissements religieux et la mobilité des artistes professionnels favorisent les croisements de ces différentes tendances. L’enluminure carolingienne offre ainsi un savant mélange d’influences antiques, insulaires et mérovingiennes. Dans certains manuscrits, la conjugaison de ces influences engendre un style unique en son genre.