En effet, il est encore souvent perçu à travers le regard de Pierre Loti (Madame Chrysanthème), comme un pays de petites "mousmés", et non comme une nation cherchant à "gagner définitivement le titre de grande puissance civilisée, en exterminant quelques centaines de mille voisins par les procédés de guerre les plus récents, les plus scientifiques" (L’Illustration, 18 août 1894).
Mais la guerre sino-japonaise, vu d’Occident n’est encore qu’une guerre lointaine entre peuples d’Asie. L’opinion publique française ne commence à se sentir vraiment concernée que lorsqu’en 1905, la victoire du Japon sur la Russie, grande puissance européenne alliée de la France, vient bouleverser l’ordre international.
L’année précédant le conflit sont publiés en France quelques récits de voyage qui anticipent sur son déclenchement : selon leurs auteurs, la victoire du Japon sur la Chine en 1895 annonce celle qui sera remportée sur la Russie. Par exemple, Amédée Baillot de Guerville, dans Au Japon (1904), relève avec finesse les causes de la fureur que les Japonais nourrissent contre la France, la Russie et l’Allemagne, (la "Triple intervention") qui, à l’issue du conflit sino-japonais, s’octroient les bénéfices d’une guerre qu’ils n’ont pas menée.
Le même auteur, après plusieurs séjours dans le pays, envisage deux scénarios : "Deux suppositions sont donc possible : la victoire du Japon et la victoire de la Russie. […] Et maintenant un dernier mot. Si jamais, une armée de cent mille Russes livre bataille à cent mille Japonais, ce sera le combat le plus effroyable, le plus horrible et le plus grandiose que le monde ait jamais vu. Ils s'extermineront jusqu'à ce que l'un des deux n'existe plus, et Dieu seul sait ce qu'il restera de l'autre. Mais ce ne sera pas grand'chose. Souhaitons que la sagesse du Tsar et l'intelligence du Mikado nous épargnent ce spectacle sanglant et épouvantable!" (Au Japon,1904).
Ces écrits au discours parfois alarmistes trouveront un large écho dans la presse quotidienne, illustrée et satirique sans oublier les romans populaires de cette fin de siècle. L’épouvantail du "péril jaune" est brandi, mais quelquefois avec une certaine ironie, Le péril jaune tel qu’on le voit en Europe… pouvant être mis en regard du Péril blanc tel qu’on le voit en Asie !... (L'Assiette au beurre 1904/10/08 (N184), vue 2 et vue 3). De même le japonophile Austin de Croze, alertera l'opinion contre "l'engouement latin qui nous porte à nous emballer pour ou contre des choses et des gens que nous connaissons à peine." (Péril Jaune et Le Japon, 1904).
Dans son ouvrage,il prévient ses lecteurs contre les propos caricaturaux du journaliste Gaston Donnet fondateur de l’éphémère hebdomadaire illustré : Histoire de la guerre russo-japonaise (5 mars 1904 au 20 septembre 1905) : "Il est vrai qu’il y a des journalistes qui, tablant sur les mauvais instincts, écrivent à leur façon l’histoire de la guerre russo-japonaise et en font un roman feuilleton à livraisons dites «populaires»...".(Péril Jaune et Le Japon, 1904).