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« De deux jambes, l’une » ou comment l’amazone chevauche sa monture

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28 novembre 2024

Étiqueté « sport de filles », avec 84,58% d’adhérentes à la Fédération française d’équitation en 2023, l’équitation est pourtant un sport entièrement mixte, où hommes et femmes se disputent les mêmes podiums ; mais les deux jambes du même côté ou non ?

Concours de la plus belle amazone, photographie Agence Rol, 1928

Manière de chevaucher et non discipline équestre, la monte dans les fourches est en effet plus complexe qu’une simple conquête de la monte en pantalon pour les femmes.

Garsault, François-Alexandre-Pierre de. Le nouveau parfait maréchal, ou La connaissance générale et universelle du cheval : divisé en six traités ; avec un Dictionnaire des termes de cavalerie, 1741

Contrairement à ce que l’on pourrait supposer, l’assiette en amazone est relativement solide, du fait que la jambe droite est calée dans deux fourches et le pied gauche appuyé à l’étrier ; la jambe droite (les actions de jambe étant l’un des éléments essentiels de l’équitation classique) est alors remplacée par une badine, tenue main droite. La monte est même considérée comme particulièrement confortable, si tant est que les allures de la monture sont un peu souples - mais n’est-ce pas le cas aussi à califourchon ? Ce confort d’allure explique l’engouement, à compter du Moyen-Âge, pour les haquenées marchant l’amble (où le trot se fait non par successions des diagonales antérieur droit-postérieur gauche / antérieur gauche-postérieur droit, mais par celles des côtés antérieur droit-postérieur droit / antérieur gauche-postérieur gauche, à l’instar des dromadaires), produisant une allure chaloupée particulièrement agréable. Le danger vient en réalité des fourches de la selle, qui, tenant la jambe, empêchent de s’en dégager rapidement en cas de chute. Le comte Joseph Guilhem de Lagondie note en 1874, dans son traité Le Cheval et son cavalier :
La tenue en selle des dames passe en général pour faible et reposant entièrement sur l’équilibre ; mais il n’y a pas de plus grande erreur, et d’après ce que l’on voit en particulier tout aussi bien qu’au cirque, il faut un aussi grand effort du cheval pour déloger une bonne cavalière que pour projeter le gentleman. »

Monte à califourchon et monte en amazone ont longtemps coexisté et longtemps les femmes ont pratiqué conjointement ces deux techniques. Vers 1550, elles peuvent ainsi bénéficier de trois selles, correspondant à leurs besoins : celle à califourchon (comme les hommes), la sambue pour la parade, la selle à corne unique, ancêtre des selles d’amazone modernes. Au Moyen Âge, les dames de la noblesse, pour la chasse à courre, au vol ou bien pour la promenade, montent aussi à califourchon. A partir du XIVe siècle, on trouve de plus en plus de représentations d’amazones grâce à la diffusion de la sambue : le buste et les jambes sont alors perpendiculaire au cheval et la cavalière, uniquement assise sans étrier ni fourche, ne maîtrise absolument pas sa monture qui doit être tenue en main. Pour autant, une telle position a son utilité : se faire représenter de côté à cheval est le meilleur moyen d’être identifié à coup sûr comme une femme, notamment sur des pièces de monnaie. Diane de Poitiers, Marie Antoinette ou Catherine de Russie sont quant à elles connues pour avoir monté (et avoir été représentées) à califourchon.

Collections du Château-Musée de Saumur. Selle d'amazone

Les fourches des selles auraient été inventées par Catherine de Médicis. Elles permettent d’être assise non de côté, mais avec le buste tourné vers la tête du cheval, la jambe droite calée dans la fourche. L’assise solide ainsi créée permet un contrôle indépendant du cheval par sa cavalière, qui n’a plus à être menée à la bride par une aide à pied, au contraire de la sambue.

Concours hippique, Prix des amazones, Nigro [cheval] monté par la comtesse de F. de Bouille, photographie Agence Rol, 1932

On attribue ensuite à Jules Pellier, dans les années 1830, l’invention de la selle à deux fourches : les deux jambes sont cette fois placées dans des fourches adaptées à chaque cavalière, l’assurance de cette dernière est renforcée et son autonomie, à toutes les allures, est complète ; cette selle, encore utilisée aujourd’hui, permet à sa cavalière toutes les facettes des exercices classiques (dressage, saut et même cross). Les selles d’amazone, au contraire des selles anglaises classiques, ne possèdent qu’un étrier, mais trois sangles (une sangle, une sursangle tenant le quartier et une balancine côté droit pour équilibrer l’ensemble). Une selle à trois fourches sera également inventée, mais largement moins diffusée.

Raid hippique Paris-Cannes, Mlle Le Bourdonnec sur son cheval, photographie Agence Rol, 1929

L’amazone est un type de monte qui n’est nullement restrictive : c’est au contraire une monte d’une grande finesse, qui dégage l’avant-main du cheval (la cavalière étant assise légèrement plus en arrière du dos qu’à califourchon) et donne ainsi cette légèreté caractéristique à la dame et à sa monture. La bonne posture est indispensable tant pour éviter que la selle ne glisse que pour ne pas blesser le dos du cheval par un poids mal équilibré. Si les jambes sont d’un seul côté (quasi systématiquement le gauche depuis le XVIIIe, pour garder la cravache dans la main droite plus habile), l’ensemble du corps se tourne vers l’avant du cheval. Epaule, buste et bassin doivent être bien d’aplomb, avec autant de poids sur la fesse droite que sur la fesse gauche.

Le cheval et l'amazone, traité complet de l'équitation des dames, par Mme J. Stirling-Clarke, 1894

Lagondie ajoute ainsi :

Avec […] le soin d’éviter la dureté des mouvements, ce qui est plus facile avec la main fine et le tact délicat d’une dame, toutes les prouesses faites par les hommes peuvent être imitées par elles. »

Le cheval et l'amazone, traité complet de l'équitation des dames, par Mme J. Stirling-Clarke, 1894

A partir du XIXe siècle, l’équitation devient un loisir et non plus une nécessité pour se déplacer, notamment grâce aux progrès réalisés dans l’attelage. L’anglomanie ambiante apporte sa propre mode, faite de coquetterie et d’élégance. La monte en amazone répond alors parfaitement à la norme de décence et l’exigence de pudeur voulue par la société. Le discours médical s’en empare lui aussi avec joie, même si la question du bénéfice ou non d’être à cheval est loin d’être tranchée. Ainsi, dans son Traité des avantages de l'équitation, en 1838, le Dr. Fitz-Patrick indique d’abord :

Les femmes chez lesquelles la menstruation se fait régulièrement devront s’interdire, avec précaution, un usage trop fréquent de l’équitation »

puis :

Mais au contraire pour les femmes dont le sang circule avec peine à l’époque de la menstruation, l’exercice du cheval est un excellent emménagogue [c'est-à-dire qui favorise la menstruation] »

et de conclure en mettant cela sur le dos de la monture :

Il est bien, de même, pour obtenir toute l’efficacité du traitement, de ne pas se servir du premier cheval que l’on rencontre ; […] ainsi les chevaux anglais sont trop pétulans, et doivent être défendus, surtout aux femmes d’un tempérament lymphatique »

et de recommander des chevaux arabes ou limousins pour l’élégance de leur mouvement.

A la même époque, paradoxalement, la monte en amazone développe une technique permettant de véritables prouesses à ses cavalières. Ainsi assiste-t-on à une mode des écuyères de cirque, à l’instar de Caroline Loyo, Pauline Cuzent ou Blanche Allarty. Elèves de grands maîtres comme Baucher, elles attirent les foules sur les scènes parisiennes où elles reprennent les figures de la haute école les plus complexes.

Nouveau cirque. Paris au galop : affiche, 1889

A partir des années 1920, la monte à califourchon pour les femmes est à nouveau en plein essor et se développe par exemple sur les terrains de courses, tandis que c’est également l’âge d’or de la monte amazone sportive.

Concours hippique au Champ-de-Mars, saut en parallèle d'un cavalier et d'une cavalière montant en amazone, photographie Agence Rol, 1925

La monte en amazone ne constitue pas une discipline particulière mais une façon différente de pratiquer les mêmes disciplines qu'à califourchon. Reste à rendre cette pratique mixte comme l’est son sport, en incitant les cavaliers modernes à s’essayer à être eux-mêmes amazons.

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