La tubéreuse
« Les tubéreuses nous font abandonner Trianon tous les soirs, des hommes et des femmes se trouvent mal de l’excès de parfum » écrit Madame de Maintenon dans une lettre en 1689. Fleur blanche délicate à la réputation envoûtante et au parfum enivrant, la tubéreuse incarne l’esprit des Fleurs du Mal.
La tubéreuse, Polianthes tuberosa, appartient à la famille des Asparagacées où on retrouve l’asperge bien sûr, la jacinthe, le muguet, mais aussi de nombreuses plantes originaires d’Amérique, comme le yucca et l’agave.
Jacques Barrelier, Plantæ per Galliam, Hispaniam et Italiam observatæ..., Paris, 1714
Cette plante se distingue par une longue tige unique qui peut atteindre un mètre vingt. À sa base, la tubéreuse produit une touffe de feuilles étroites et élancées. À son sommet, la plante est ornée de grappes de fleurs d’un blanc cireux, légèrement rosé. Vivace herbacée, sa racine est, comme son nom l’indique, tubéreuse. Les fleurs tubulaires s’ouvrent en étoile et se composent de six pétales, libérant une des odeurs les plus suaves du monde végétal.
Originaire du Mexique, cette plante également appelée jacinthe des Indes, a été importée en Europe au 16e siècle et introduite par les Européens en Asie, où elle est cultivée. En France, Pierre Vallet, graveur et brodeur du roi, représente en 1608 la fleur dans le jardin du Louvre tenu par Jean Robin.
Près d’un siècle plus tard, Louis XIV fait orner les jardins de Versailles de ses fleurs, tant pour leur élégance que pour leur fragrance enivrante. Saint-Simon écrit ainsi dans ses Mémoires : « rien n'était si magnifique que ces soirées de Trianon : tous les parterres changeaient tous les jours de compartiments de fleurs et j'ai vu le Roi et toute la Cour les quitter à force de tubéreuses, dont l'odeur embaumait l'air, mais était si forte que personne ne put tenir sur le jardin, quoique très vaste et en terrasse sur un bras du canal ».
Hyacinthus indicus radice tuberosa, Collection des vélins, portefeuille 10 folio 6
En pleine terre, sa culture n’est possible que dans les climats chauds et secs, à l’abri du vent, dans un sol riche en humus. La culture de la tubéreuse demande un soin particulier et constant. À Grasse, berceau de la parfumerie, les champs de tubéreuses apparaissent aux côtés de ceux de roses ou encore de lavande dès le 17e siècle.
Industrie des Parfums à Grasse. Usine Roure-Bertrand fils, 1900
La présence de ces petites fleurs blanches en Provence au 17e siècle est si importante que dans son Annonciation, le peintre Pierre Puget remplace le lys, symbole marial, par la tubéreuse.
François Paul Alibert, Pierre Puget, Paris, 1930
« Quand les tubéreuses se décomposent, elles ont une odeur humaine » écrit Zola dans Nana… Décrit comme suave et capiteux, le parfum des tubéreuses envoûtant, inquiétant, voire dangereux, a fait couler beaucoup d’encre. L’odeur que dégage les fleurs est réputée incommoder les personnes sensibles et les femmes enceintes : on dira ainsi que la maîtresse de Louis XIV, Louise de la Vallière, en disposait dans sa chambre pour assurer à la reine qu’elle n’attendait pas d’enfant ; elle en eut pourtant quatre. Pire encore, on confère à cette fleur des pouvoirs aphrodisiaques et même mortels, qu’on devine aisément dans de nombreux poèmes, romans et feuilletons dans la presse.
La parfumerie française et l'art dans la présentation, Paris, 1925
On ne s’étonnera donc pas que cette fleur à la fragrance si prenante et à l’aura tantôt virginale tantôt scandaleuse soit l’une des plus prisées en parfumerie. Son essence a longtemps été l’une des plus coûteuses en raison de la complexité de son extraction, qui se faisait uniquement par enfleurage à froid avant que le procédé d’extraction par solvant volatil ne se répande au 19e siècle.
Pierre-Joseph Redouté, Les liliacées, Paris, 1807
Aujourd’hui, l’Inde est le premier producteur mondial de tubéreuse, plus pour ses vertus ornementales et rituelles que son utilisation en parfumerie. Aussi divine que sulfureuse, elle est, en Asie aussi, associée à la séduction. Son odeur qui se révèle à la tombée du jour lui valut ainsi le surnom de maîtresse de la nuit en Malaisie.
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