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Ni coupes ni médailles : des amphores !

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25 juillet 2024

Quelle rétribution pour la performance des athlètes en Grèce ancienne ? La gloire ! Et quelques symboles... Pourquoi les Grecs avaient-ils tant à cœur de s'entraîner ? Pour quelle recompense concouraient-ils aux jeux que les cités étaient nombreuses à organiser ? Découvrez quels témoignages l'archéologie nous en a conservés !

De nos jours, l'on s'émeut du salaire considérable versé aux vedettes sportives, la presse bruisse de rumeurs à l'approche du "mercato" qui voit les joueurs s'échanger en millions, tandis que médailles et vases à l’antique récompensent les vainqueurs une fois sifflée la fin du tournoi.  Le sport en Grèce ancienne prêtait-il le flanc à quelque équivalent de notre critique contemporaine de financiarisation et de mercantilisme ? Pourquoi l'exercice physique était-il si répandu dans l’Antiquité et qu'espéraient les athlètes par la victoire ?

Où les Grecs trouvaient-ils la motivation d'aller à la salle de sport ?

Fig. 1 : Groupe Proto-Panaetien, coupe, entraînement de boxe, Athènes, vers 520-500 av. J.-C., prov. Vulci. BnF, DR523 © BnF

Sous la menace du bâton du pédotribe, on s'entraîne ici (fig. 1) malgré les blessures et sous une pluie de coups : image bien rebutante de l'effort sportif ! Et si l'insuffisance est passible d'un châtiment corporel, le bâton était-il donc un instrument plus efficace que la carotte, pour inculquer force et résistance?... C'est bien possible ! Car le jeune citoyen s'exerce pour de multiples raisons.

Fig. 2 : Groupe du Périzoma, kyathos, scènes de palestre, Athènes, 510-500 av. J.-C., prov. Vulci, BnF DR354 © Serge Oboukhoff/BnF-CNRS-MSH Mondes

D'abord, pour fortifier son organisme et développer son corps comme son esprit, dans le cadre d'une conception très complète de la paideia (éducation). Aussi les disciplines sportives sont-elles d'une grande variété : athlétisme (course à pied, saut en longueur, lancer de disque et de javelot) mais aussi lutte sont pratiqués dans l'enceinte de cette palestre (gymnase) que la vasque d’un kyathos (fig. 2) nous invite à arpenter.


Fig. 3 : Peintre de Penthésilée, coupe, cavalier et armement de jeunes soldats, Athènes, 460-450 av. J.-C., prov. Vulci, BnF, DR814  © Serge Oboukhoff/BnF-CNRS-MSH Mondes

Ensuite, pour être apte, une fois l'âge requis atteint, apte à prendre les armes et défendre la cité (entre 18 et 20 ans, le citoyen-soldat accomplissait un service militaire, l’éphébie), dans le corps de l'armée que sa classe censitaire imposera au jeune homme : tel qui possède et peut entretenir un cheval servira dans le corps des cavaliers. Cette coupe le suggère (fig. 3), qui oppose à l'intérieur un jeune cavalier, et à l’extérieur ses compagnons d'âge en train de revêtir leur panoplie. Des disciplines sportives inspirées par l'art de la guerre témoignent de cette éventualité et de cette finalité : ces coureurs armés de pied en cap rivalisent à l’hoplitodromie (course à pied en armes) (fig. 4), tandis que cet athlète s’exerce probablement au lancer de javelot à cheval (fig. 5).


Fig. 4 : Série de Nikomachos, amphore panathénaïque, hoplitodromes, Athènes, 324/323 av. J.-C. (archontat d’Hégésias), BnF, DR248 © Serge Oboukhoff/BnF-CNRS-MSH 

Mais ne fréquentait-on pas assidûment la palestre d'abord par amour de la compétition ? L'agon (l'esprit d'émulation), qui sous-tend la vie publique et privée des Grecs, peut en effet se donner libre cours dans les installations sportives qui le célèbrent. D'ailleurs, les concours sont nombreux qui, dans le monde grec, donnent aux athlètes l'occasion de se mesurer et de bien mériter de leur patrie.


Fig. 5 : Peintre de Diosphos, lécythe, entraînement au lancer de javelot à cheval ? Athènes, 500-490 av. J.-C., BnF, DR493 © Serge Oboukhoff/BnF-CNRS-MSH Mondes

À quoi bon la victoire ? Des nèfles ! Ou plutôt : des brindilles…

La gloire! Voilà l'aspiration de ces compétiteurs aimantés par les jeux de la périodos (jeux organisés successivement, chaque année, dans chacun des quatre plus grands sanctuaires panhelléniques) : remporter une épreuve, ou mieux, faire un grand chelem, était la promesse d'un immense prestige... Et voilà tout, car la marque de la victoire des athlètes est rien moins qu'ostentatoire : une couronne d'olivier à Olympie, de laurier à Delphes. La bandelette textile ou le rameau symbolique sont d’autres insignes du succès, aussi modestes que répandus (fig. 6).

Fig. 6 : Peintre de Bowdoin, lécythe : athlète vainqueur, paré de bandelettes et les bras chargés de rameaux sacrés, Athènes, 2e quart du ve siècle av. J.-C., prov. Sicile, BnF, DR487 © Serge Oboukhoff/BnF-CNRS-MSH Mondes

Pour autant, on aurait bien tort de croire ces célèbres athlètes des champions de sobriété ou des parangons d'humilité... Les allées d'Olympie étaient jalonnées de statues honorifiques perpétuant le souvenir de leurs exploits, leur cité d'origine les comblait de faveurs, tandis qu’inscriptions et textes nous ont conservé les noms d'un grand nombre d'entre eux. Plus tard, l'idéal de désintéressement s'estompe avec la progressive professionnalisation des athlètes et la multiplication des jeux chrematites (ta chremata : « l'argent »), lucratifs à la différence des jeux stéphanites (récompensés par des couronnes) ancestraux.
 

…et des pots ! 

Fig. 7 : Les amphores panathénaïques, remportées par les vainqueurs des jeux d’Athènes, sont de volumineux contenants à huile. Julien Olivier portant l’amphore représentée fig. 4 © Droits réservés

Bien qu'exclue du cycle de la périodos, Athènes célébrait chaque année des jeux en l'honneur de sa déesse tutélaire, Athéna, avec un éclat particulier tous les quatre ans, lors des "Grandes Panathénées". Là, les vainqueurs des épreuves gymniques et hippiques se voyaient récompensés (fig. 7) d’amphores attiques à figures noires remplies de l’huile issue des champs d’oliviers consacrés à la déesse : les heureux gagnants pouvaient utiliser l’huile (comme combustible pour l’éclairage, comme matière grasse en cuisine, comme onguent à la palestre) et le contenant pour leurs propres besoins, ou bien les vendre à bon prix, et même les exporter, aussi loin que s’étendait la renommée des jeux d’Athènes. Car le décor comme l’inscription de ces vases témoignent de cette grande occasion : sur une face Athéna promachos (« qui s’avance au combat ») est accompagnée de l’inscription officielle « [je suis] des jeux d’Athènes » (tôn atheneten athlôn) tandis que le revers représente la discipline dans laquelle s’est illustré le vainqueur.


Fig. 8 : Tétradrachme d’Athènes, viie-iiie siècle av. J.-C., argent, BnF, MMA, Luynes.2082 © BnF

Hommage à Athéna, produit du plus brillant foyer céramique de l’Antiquité et contenant du don fait aux hommes par la déesse (l’olivier dont on tire l’huile), l’amphore panathénaïque figure de manière éloquente aux côtés d’autres puissants symboles civiques sur les monnaies de la cité (fig. 8).

Fig. 9 : Emile Gilliéron fils, prototype (bois, papier, peinture à l’huile) pour la coupe des Jeux olympiques de 1940, Ecole française d’Athènes, EFA.CEG.169. D’après la coupe attribuée au Peintre d’Euergidès, Athéna et artisans, Athènes, 510-500 av. J.-C., prov. Acropole, Musée national d’Athènes, Inv.2.166. Source : Mitsopoulou 2022, cat. 300

Non seulement leur célébrité demeure, mais encore la coutume de décerner des vases en guise de trophées de nos jours puise bien ses racines dans le passé grec. C’est si vrai que l’on s’y est même littéralement référé pour imaginer… une coupe-trophée à figures rouges ! Sur un projet de son père (1906), Emile Gilliéron fils est l’auteur de ce prototype (sans lendemain) de prix à la grecque pour les Jeux olympiques de 1940.

Pour aller plus loin :

  • sur les amphores panathénaïques et découvrir une amphore exportée en Etrurie : https://antiquitebnf.hypotheses.org/13396

  • sur l’activité des Gilliéron et la création de trophées à l’antique : Christina Mitsopoulou, « L’atelier des Gilliéron : une fabrique de l’imagerie nationale grecque », dans Jean-Luc Martinez (dir.), Paris-Athènes, naissance de la Grèce moderne, 1675-1919, cat. exp. Musée du Louvre, paris, 2022,  p. 262-286, part. p. 275-279. L’exposition « L’olympisme : une invention moderne, un héritage antique », organisée au musée du Louvre à partir du 24 avril 2024 mettra cet aspect à l’honneur (commissaires : Alexandre Farnoux, Violaine Jeammet et Christina Mitsopoulou).

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