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Rire dans les galeries des peintures au Salon 2/2

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3 juillet 2024

Dans la deuxième moitié du XIXe siècle, les salons caricaturaux, ce genre satirique très populaire mêlant texte et dessin, prennent souvent pour cible le sujet des œuvres exposées au Salon, ainsi que les genres artistiques traditionnels de la peinture académique. Allons donc rire au Salon…

Album du journal pour rire / Charles Philipon, Paris, Aubert, 1848. vue 39

Toujours un sentiment de « déjà vu » …

Nombreux sont les auteurs des salons caricaturaux à exprimer, à chaque Salon, un sentiment de déjà-vu : thèmes repris sans cesse, sentiment de répétition ou plagiats par des suiveurs... Félix Y. (Félix Régamey) dessine son salon caricatural… avant même d’avoir visité le Salon :

 

Rire du sujet des peintures…

Le journal La Vie parisienne, pour ses salons comiques, a adopté à plusieurs reprises une présentation par genres académiques, en 1863 (Les tableaux de batailles  ; Les folichons ; Les portraits ; Les fripiers ; Les mystiques ; La sculpture), en 1866 (Les portraits ; Les nudités ; La sculpture ; Les batailles ; Les paysages ; Les classiques sérieux et les classiques pour rire…) ou 1875 (22 mai, 5 juin, 19 juin). Et en 1864, une grande farandole révolutionnaire de Hadol entraîne Les fripiers, les clubs de la boucherie, de la douche et du rachat de l’âme
D’autres salons caricaturaux se limitent à créer une galerie fictive de tableaux d’un seul genre : galerie de portraits, galerie de batailles… D’autres enfin, à partir d’une œuvre particulière ou d’une seule caricature, donnent à rire de tout le genre artistique auquel elle appartient.

Le grand genre : peinture d’histoire, mythologique, religieuse…

 

La peinture d’histoire de tradition académique, en costumes, d’où le nom de peintres « fripiers », est souvent raillée pour son emphase, son ridicule et son manque d’originalité. Genre noble, symbole de la conception académique de l’art, elle correspond de moins en moins aux préoccupations du temps et à une conception bourgeoise de l’art qui s’impose petit à petit. Les caricaturistes la prennent souvent pour cible, elle est surreprésentée dans les salons caricaturaux qui ont contribué à son déclin.

 

Parmi les nombreuses scènes mythologiques, la représentation de la déesse Vénus est très fréquente, chaque salon en présente souvent plusieurs. Les caricaturistes ne se privent pas de les comparer :
 

Le Salon de 1863, 4e série : Les folichons, dans la Vie parisienne, met en scène quatre Vénus d’Amaury-DuvalJules-Joseph MeynierAlexandre CabanelPaul Baudry, tout comme le Journal amusant du 30 mai 1863. Ils soulignent aussi leur lassitude et celle du public devant ces sujets répétitifs.

La peinture religieuse - vies de saints, scènes de martyrs, épisodes de l’Ancien et du Nouveau testaments – est tout aussi moquée, pour son pathos, sa violence, sa dramatisation…


Le Salon de 1863. Les mystiques paru dans La Vie parisienne, présente notamment le Martyr de Saint Barthelemy par Omer Charlet, et le Martyr de Sainte Blandine par Pierre-Désiré Guillemet.

Sur les champs de batailles

 

Au Salon, sont exposées de très nombreuses toiles qui rendent compte de combats, essentiellement de l’histoire militaire récente. Ces scènes de batailles font souvent l’objet d’acquisitions par l’Etat, dans la continuité de la constitution de galeries des batailles par Louis-Philippe au château de Versailles. Elles occupent donc aussi une grande place dans les salons caricaturaux.

Voici quelques « galeries de batailles » constituées dans les pages des salons caricaturaux dans La Vie parisienne en 1866, dans Le Tintamarre en 1868 :

 

Devant l’abondance de cette « peinture de caporal » et son peu d’originalité, là aussi une certaine lassitude est exprimée : « Au nombre des maux de la guerre, ne faut-il pas compter les cantates et les tableaux de batailles ? »
De nombreuses batailles du XIXe siècle sont représentées, guerres de Napoléon III : batailles de Magenta et de Solférino lors de la campagne en Italie en 1859, bataille de l’Alma en 1854 et siège de Sébastopol en 1854-1855 lors de la guerre de Crimée…

 
Le Salon de 1857 / Bertall. Journal amusant, 1857, 5 septembre
Le Salon de 1863 et son sous-sol / Bertall. Journal amusant, 1863, 13 juin (Henry-Frédéric-Adolphe Yvon : Bataille de Magenta)

 

 

 Divers procédés picturaux comiques sont employés, perspective, stylisation, exagération, effets de fumée, de vitesse, accentuation d’un détail…

 

 …godillots du tableau d’Armand-Dumaresq, moqués par Galletti et Nadar :

 

Ces représentations de batailles suscitent les réactions des anciens combattants qui visitent le Salon et veulent faire entendre leur vérité :  

 

La grande vogue du portrait

 

Les portraits envahissent toujours plus les cimaises, personnages contemporains le plus souvent, personnages importants ou beaucoup moins. En 1853 par exemple, ils constituent 30 % des tableaux exposés. Substantielle source de revenus pour les artistes, ils témoignent de l’usage social de l’art qui se développe toujours. Ces portraits bourgeois immortalisant l’ascension sociale sont souvent moqués...


Revue du Salon de 1853 / Cham. Paris, Le Charivari, 1853

 

C’est souvent le genre du portrait dans son entier qui est pris pour cible : le fait de considérer la ressemblance comme la valeur principale de qualité d’un portrait, la médiocrité et la faible variété de cette production abondante…
On moque aussi le physique et la vanité des modèles. La confrontation de ceux-ci à l’œuvre qui les représente est propice à des nombreux commentaires et réactions (satisfaction, critique, colère…) et à la mise en scène de nombreuses situations comiques (erreurs de titres dans le livret, quiproquos…).

 

Le Salon caricatural, critique en vers et contre tous... de 1846 moque les portraits officiels, bourgeois, bustes… et souligne le peu d’intérêt des modèles, figurés sous forme d’animaux, de légumes.
Les portraits sont souvent regroupés par les salons comiques sur une même page, en bouquets, florilèges, galeries de personnages « rencontrés » au Salon : « Le Salon de 1874 – Maintenant quelques petits portraits pour nous égayer » par Stop, « Les portraits au Salon de cette année ». La Vie parisienne, 5 mai 1866, « Salon de 1863. Les portraits ». La Vie parisienne.

 

Quelques paysages

 

La peinture de paysage qui représente environ un quart des tableaux exposés, est proportionnellement peu présente dans les salons caricaturaux. Peu spectaculaire proches du gout bourgeois, elle se prête mal à la parodie. On trouve cependant quelques « galeries de peintures de paysages », comme dans La Vie parisienne en 1875, ou en 1866, ci-dessous, la page rassemble Monet, Daubigny, Millet, Rousseau, Corot, Millet…

 

De nombreux tableaux de paysages, tout comme des œuvres d’autres genres artistiques, sont souvent jugés déjà-vus, reproduits à l’infini, réalisés en séries…, en particulier les œuvres du peintre de la Marine, Jean Antoine Théodore Gudin :


« Fragment d’une vague exaspérée, contrefaçon de la fabrique Gudin & Cie brevetés ».
Première impression du Salon de 1843 / Raymond Pelez. Le Charivari, 1843, 9 mars
 

 

Les paysages sont aussi déformés, humanisés, géométrisés…

 

Natures mortes, peinture animalière, peinture de genre

Voici enfin quelques caricatures prenant pour cible le genre de la nature morte dans son ensemble, les artistes qui le pratiquent ainsi que quelques œuvres particulières :

 

 


 

Les scènes de genre, très appréciées du public - notamment les représentations de la famille bourgeoise, la peinture paysanne idéalisée… - plus nombreuses au Salon que les sujets historiques, sont pourtant moins caricaturées.
 
Enfin, se glissent aussi dans les pages des salons caricaturaux, comme on a pu le voir, des tableaux imaginés, qui permettent de rire d’un sujet ou d’une caractéristique picturale.
 
A suivre prochainement…
Salons caricaturaux. 11, Rire dans les galeries des sculptures et de l’architecture au Salon
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