Thomas More et l'Utopie
En marge de l’exposition L’Invention de la Renaissance, ce billet propose de redécouvrir une grande figure de cette période : Thomas More, savant humaniste, mais aussi adversaire acharné de la Réforme. Il est emblématique de cette période remettant à l’honneur les Anciens, mais qui connut des conflits politico-religieux féroces.
Une vie à la croisée de la politique et de la religion
Thomas More (1478-1535) est l’un des principaux protagonistes du courant humaniste avec Erasme. Il est aussi un homme politique reconnu : membre du Parlement et chancelier d’Henri VIII, auquel il s’oppose au sujet de l’affaire de l’annulation de son mariage avec Catherine d’Aragon, il refuse également de le reconnaître comme chef de l’Eglise d’Angleterre.
Ami d’Erasme (1469-1536), ils font tous deux partie de cette « République des lettres ». Si, Erasme prône le retour aux sources de la Bible et influence Martin Luther (1483-1546), Thomas More combat vigoureusement la Réforme dans son action d’homme d’état. Parmi ses victimes, comme Bernard Cottret le signale, se trouve l’homme de loi James Bainham, brûlé le 30 avril 1532 comme hérétique. La carrière de More se termine par sa disgrâce et son exécution le 6 juillet 1535.
La vie de Thomas More est souvent analysée à partir de sa mort héroïque sur l’échafaud. Ainsi est-il perçu comme une des victimes de son souverain. Pourtant dans sa lutte contre les Réformés, il n’hésita pas à prôner le bûcher. D'après Cédric Michon, il fut le défenseur de la tradition catholique, plus qu’un humaniste. Bernard Cottret le perçoit autant comme un persécuteur que comme un persécuté, pour ensuite devenir un saint catholique. Il demeure au croisement de la politique et de la religion : chancelier et homme d’église, homme d’état et saint laïc. Finalement Thomas More porte les contradictions propre à la Renaissance.
L’Utopie (1516)
L’Utopie, rédigée en latin, est un traité en deux livres cherchant la meilleure forme de gouvernement. Il s’agit de la description de l’île des « utopiens ». Le titre de l’édition définitive de 1518 précise l'intention de l'auteur : De optimo reipublicae statu, deque nova insula Utopia soit La meilleure forme de communauté politique et la nouvelle Île d'Utopie.
BnF, département de l'Arsenal, 4-J-110
Dans le premier livre, sous la forme d'un dialogue, More analyse les dysfonctionnements qu’il observe dans la société et le fonctionnement de l’Etat. Il pointe les mauvais conseillers (édition de 1842, p. 97.). Il pose également la question du pouvoir comme modèle ou contre-modèle : « Le prince est la source d’où le bien et le mal se répandent comme un torrent » (p. 50).
Il dénonce les injustices sociales criantes et la misère comme facteur entrainant des fléaux sociaux. Il remet en cause une certaine justice pénale atteignant les pauvres, mais ne prenant pas en compte les privilèges les plus exagérés propres à nourrir ces comportements déviants (p. 55) :
Dans la seconde partie, il décrit concrètement l’île d’Utopie. Les allusions aux textes bibliques sont évidentes : que ce soit à la Jérusalem céleste, à laquelle Utopia fait penser, au chiffre 40 qui revient dans son texte, temps d’épreuve (les 40 jours de Jésus au désert, le peuple hébreu qui passe 40 ans dans le Sinaï). De même, la condamnation de l’oisiveté (p.142) possède un accent biblique. Il n’est pas sans rappeler la phrase de Paul de Tarse dans la deuxième lettre aux Thessaloniciens (chapitre 3 verset 10 Bible Second) : « Si quelqu’un ne veut pas travailler qu’il ne mange pas non plus ». Pour synthétiser, L’Utopie est l’œuvre d’un homme de foi, dogmatique. La cité idéale n’est pas sans rappeler la cité céleste de Saint Augustin : une cité où le bien règne en absolu.
Pour en savoir plus
- L'exposition L'Invention de la Renaissance, l'humaniste, le prince et l'artiste, jusqu'au 16 juin 2024.
- L'utopie dans les Essentiels de la littérature.
- Exposition virtuelle de la BnF sur le thème de l'utopie.
- Saint Augustin, La cité de Dieu. Bourges, chez Gilles, libraire, 1818.
- La Bible : Segond 21 : l'original, avec les mots d'aujourd'hui. Maison de la Bible, 2007.
- Thomas More, L’Utopie de Thomas Morus, traduction nouvelle par Victor Stouvenel. Paulin, 1842.
- Cédric Michon, « Ils ont tué Thomas More », L’Histoire, n° 273, février 2003.
- Bernard Cottret, Thomas More : la face caché des Tudors. Tallandier, 2012.
- Pierre Allard, La constance de Thomas More. Hermann ; Presses de l'Université Laval, 2013.
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