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Le badminton en images : entre enfantillage et virilisation

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Les premiers signalements du badminton dans la presse hexagonale fluctuent entre fictions et mises en scène formelles, selon que ce soient de simples commentateurs, souvent imprégnés de chauvinisme, ou des promoteurs d’un sport, importé d’outre-Manche, qui émerge en France à l’orée du XXe siècle.

La Vie au Grand Air du 1er février 1913

En novembre 1880, on découvre ainsi dans le coin d’une fresque intitulée « au château », publiée par La Vie Parisienne, une vignette représentant une partie de badminton. C’est là une des toutes premières figurations du sport que l’on peut observer dans Gallica.
Le jeu est esquissé comme une partie de volant champêtre entre deux charmantes jeunes filles. N’est-il pas « le café de ceux qui n’en prennent pas encore » ! La légende renvoie explicitement au « cher jeu du volant de notre enfance qui a émigré en Angleterre et qui nous revient sous ce nom pompeux ».

Le badminton qui en est, en France, à ses balbutiements est présenté comme une transformation du traditionnel « jeu du volant ». Une distraction populaire, jeu d’adresse coopératif, que les Anglais nous auraient dérobé avant de le rebaptiser « badminton » alors qu’il ne serait que du « jeu de volant au filet » !

La Vie Parisienne du 27 novembre 1880

En 1898, ce « jeu de pelouse […] encore inconnu chez nous » est également caractérisé comme « une modification du jeu de volant » par La Grande encyclopédie méthodique.

Mais, à l’inverse de la précédente, l’illustration met en scène deux garçons activement impliqués. Le badminton se voit virilisé. Il est toutefois perçu comme exerçant « l’adresse et la force sans produire une grande fatigue [ce qui] permet aux dames d’y prendre part en y ajoutant l’émulation que leur présence excite toujours » !
L’apparition d’un filet vertical est analysée comme un obstacle évitant tous désaccords entre joueurs… de « volant » :

T. de Moulidars, La Grande encyclopédie méthodique, Librairie Illustrée, 1898

Changement radical en mars 1909 dans Le Sport Universel Illustré qui consacre trois pages aux règles du « jeu de badminton ». L’auteur du texte, John Yeo Thomas (future légende du badminton), s’applique à radicalement le différencier du banal « jeu du volant » en le définissant comme un « jeu de volant scientifique ». Une formule régulièrement employée dans les comptes-rendus sportifs pour insister sur la rationalité, la méthode, le surplus de tactique, développés par une équipe où une ligne de joueurs pratiquant un jeu scientifique, savamment pensé.
Le futile jeu du volant est transformé en une activité complexe, exigeante, en un sport fortifiant fait pour les hommes :

Les femmes sont absentes, évincées, de la pleine page montrant les différents coups utilisés. Les gestualités sont ici résolument masculinisées.

J. Yeo Thomas, « Le Badminton » Le Sport Universel Illustré, 7 mars 1909

Le 1er février 1913, La Vie au Grand Air s’intéresse à « un sport appelé à prendre un grand développement en France ». L’article, signé Sam Holl (Président du Badminton Club de Dieppe), ne fait plus du tout référence au jeu du volant, tout en mettant les joueuses à l’honneur : face à « l'un des meilleurs clubs de Londres », l’épreuve du double dames ne permit-il pas enfin aux couleurs de l’équipe française de briller !

La Vie au Grand Air du 1er février 1913

Dans la pleine page de photographies qui suit, celles-ci apparaissent à parité avec les hommes. Alors qu’avant la Première Guerre mondiale les femmes sont les grandes absentes de l’Histoire du sport, en badminton elles sont des actrices qui s’y distinguent.

La Vie au Grand Air du 1er février 1913

Difficile toutefois pour le badminton d’échapper dans les imaginaires au gentillet jeu du volant qui continue d’être un innocent amusement proposé aux jeunes enfants et tout particulièrement aux fillettes.
En juillet 1913, par exemple, la revue La Vie à la Campagne propose comme distraction, les jours de vacances, d’organiser:

une course au volant pour les filles qui doivent lancer et recevoir le volant sur la raquette sans le laisser tomber à terre, tout en se dirigeant vers le but."

La Vie à la Campagne du15 juillet 1913

La même alternance de discours, entre identification au jeu du volant et affirmation que le badminton est « un vrai sport », nourrira encore la presse aux lendemains de la Grande Guerre.

En mars 1933, dans Le Petit Journal Illustré, Jean Lecoq ouvre l’exposé qu’il consacre aux « Jeux qui renaissent » par le « badmington » (avec un G, à la consonnance british). L’article empreint d’anti-britannisme s’appuie sur une image du jeu du volant champêtre, juvénile et féminine.

Le Petit Journal Illustré du 26 mars 1933

Ce « sport nouveau » n’est qu’un divertissement bien français que les Anglais nous auraient chipé avant de l’« affubler d’un nom de leur choix » :

Le Petit Journal Illustré du 26 mars 1933

Le 25 janvier 1934, Robert Poc qui annonce dans L’Écho de Paris la création de la Fédération Française de Badminton (FFB) s’interroge : le désuet « jeu de volant » de jadis serait-il devenu un sport ? Par acquit de conscience, le journaliste teste une « courte partie ». « Au bout d’un quart d’heure [il est] littéralement en nage ». Désormais convaincu que le badminton qui « nécessite un effort athlétique soutenu » est bien un sport et nullement « un jeu de petites filles ».

Cette représentation initiale du badminton comme déclinaison du désuet et féminin jeu du volant va imprégner les représentations et freiner sa reconnaissance de sport fait pour les hommes. Une revendication que souligne la photographie, publiée en novembre 1938 dans Le Miroir des Sports, où le prestigieux footballeur Ben Barek tombe « en extase » devant l’affiche éditée par la FFB naissante, pour viriliser sa discipline : « Badminton. Un vrai sport » !

Le Miroir des Sports, 29 novembre 1938

Pour aller plus loin :

L'Olympiade Culturelle est une programmation artistique et culturelle pluridisciplinaire qui se déploie de la fin de l’édition des Jeux précédents jusqu’à la fin des Jeux Paralympiques.
La série "Histoire du sport en 52 épisodes" de Gallica s'inscrit dans la programmation officielle de Paris 2024.

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