De quelques passeurs de la littérature lusophone en France
Au XVIIe siècle paraissent en France les Lettres portugaises, présentées comme une traduction de l’œuvre d’une certaine religieuse portugaise, Mariana Alcoforado. Si l’authenticité de ces écrits n’est pas contestée avant le XXe siècle, l’on attribue depuis 1968 la paternité de cette œuvre au français Gabriel Joseph de Lavergne de Guilleragues.
D’autres textes portugais sont édités en français à la même époque, essentiellement des récits de voyage et de découverte qui répondent à la soif de connaissance et à la curiosité des lecteurs. Ainsi, les voyages advantureux de Fernão Mendes Pinto connaissent le succès dès leur publication en français en 1645, comme précédemment dans leur édition originale en portugais. De la même manière, les célèbres Lusiades font l’objet de traductions successives dès le XVIIIe siècle.
Les passeurs linguistiques sont parfois venus à cette activité par hasard, tel Arthur Morelet (1809-1892), traducteur du Journal de voyage de Vasco de Gama. Naturaliste et voyageur, il explique dans son récit personnel Une aventure en Portugal, publié en 1887, comment il a préparé un voyage au Portugal pour la société de géologie en 1843 :
« m’initiant à la langue portugaise […] dévorant le petit nombre d’ouvrages qui ont été publiés sur un pays moins connu, encore à présent, que l’Egypte ou la Californie. »
C’est avec deux grandes figures de passeurs, Ferdinand Denis et Philéas Lebesgue, que la littérature lusophone prend place au sein des littératures traduites en français.
Ferdinand Denis (1789-1890) part au Brésil dans sa jeunesse pour y faire fortune. À défaut, il revient en France avec une curiosité inépuisable pour la langue portugaise et ses productions littéraires. Il fait toute sa carrière à la Bibliothèque Sainte-Geneviève, où il laissera sa collection luso-brésilienne. Il écrit une dizaine d'ouvrages sur les littératures lusophones et n’a de cesse d’entretenir une correspondance fournie et de nombreux contacts avec des personnages influents dans le milieu littéraire brésilien. Il traduit l’œuvre dramatique d’Antonio Ferreira, Ines de Castro. Il remarque dans le Résumé de l'histoire littéraire du Portugal , suivi du résumé de l'histoire littéraire du Brésil (1826) :
« Un auteur comparait avec assez de justesse le Portugal littéraire à une de ces îles dont les navigateurs ont vu les côtes, mais dont on ignore complètement les richesses »
Philéas Lebesgue (1869-1958), écrivain prolifique, est chroniqueur trimestriel au "Mercure de France" de 1896 à 1951, où il alimente la rubrique des lettres portugaises ainsi que celle des lettres néo-grecques et yougoslaves. Dans le Mercure de France du 1er avril 1922, il note :
« Il arrive rarement qu’on nous montre ce que la littérature française a pu emprunter à la portugaise, quoique le contraire en Lusitanie soit fréquent, et il n’est sans doute pas mauvais que le troisième centenaire de Molière ait été prétexte à étudier d’un peu près les rapprochements qu’on peut faire entre le Bourgeois gentilhomme et le Fidalgo aprendiz de Francisco Manoel de Mello ».
Le « lusophile le plus important de la première partie du XXe siècle », selon l’expression du spécialiste Pierre Rivas, est venu à la langue portugaise au hasard d’une convalescence alors qu’il était encore adolescent, et restera toute sa vie attaché à la littérature portugaise pour ses particularismes plus que pour ses aspects cosmopolites. Membre de l’association néodruidique du collège bardique des Gaules, qui le désigne grand druide des Gaules, Lebesgue compose des poèmes en breton et s’intéresse de près à l’histoire celtique de la péninsule ibérique.
Lebesgue sera l’ami de Manoel Gahisto (1878-1948), également membre de la Ligue Celtique Française et chroniqueur au Mercure de France pour les lettres latino-américaines, avec lequel il co-signera des traductions d’œuvres brésiliennes, notamment celles de Coelho-Netto et Xavier Marques. En 1908, Gahisto consacre un ouvrage à son collègue et ami.
La littérature lusophone bénéficie ainsi d’une visibilité accrue au tournant du XXe siècle, à laquelle contribue également la création de la Société des Études Portugaises à Paris en 1892 ; de même, la Chaire d’Études brésiliennes à la Sorbonne, créée en 1911. Ladite Société organise en 1900 une cérémonie en hommage à Eça de Queiros au lendemain de sa disparition. La section Amérique latine est à l’origine de la conférence sur Machado de Assis prononcée en 1909 par Oliveira Lima, lors d’une Fête de l’Intellectualité brésilienne à la Sorbonne, sous la présidence d’Anatole France. Notons que l’illustre écrivain brésilien sera rapidement traduit en français.
En juin 1912, la Société préside à l’inauguration du monument élevé à Camões :
Cette activité foisonnante ouvrira la voie à de nouveaux passeurs, écrivains, enseignants, traducteurs. Parmi ceux-ci, l’on songe à Valery Larbaud (1881-1957), passeur multilingue et cosmopolite, qui évoque sa découverte d’Eça de Queiros dans la Revue Commerce (Mars 1926) :
« J’ai appris à lire [le portugais] dans les ouvrages des écrivains portugais d’avant-hier (dernier tiers du XIXe siècle et dix premières années de celui-ci) dont les noms ont survécu. […] Vous voyez, ce n’est une trouvaille, une « découverte », une « révélation » (ces grands mots galvaudés). Eça de Queiros est classique au Portugal et au Brésil, et son influence en Espagne est déjà un fait historique. […] Parlons-en donc comme d’un méconnu en France, et souhaitons, pour l’honneur comme pour le plaisir de la France lettrée, qu’on ne tarde pas à traduire ses principaux ouvrages. Je les vois à leur place dans la collection étrangère que dirige si bien Charles du Bos, à côté des traductions de ses contemporains anglais : Georges Meredith, Samuel Butler, Joseph Conrad. »
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