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Le Paris d’Eça de Queiros

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12 avril 2023

Eça de Queiros est nommé consul du Portugal en France en 1888, l’année de publication des Maia, son chef-d’œuvre. Il le restera jusqu’à sa mort, en 1900. Après des séjours réguliers en France depuis 1879, l’auteur du Crime du padre Amaro (1876) et du Cousin Bazilio (1878), trouve, dans le quotidien de la vie parisienne, une source d’inspiration pour ses écrits.

Statue d'Eça de Queiros à Neuilly-sur-Seine

Une francophilie en demi-teinte
Avant Paris, Eça de Queiros a été en poste à Cuba, à Newscastle et à Bristol. Il admire en France certains de ses écrivains : ouvertement « hugolâtre », il apprécie également Gustave Flaubert, symbole de rupture avec le romantisme.
Son éditeur n’est autre que le Français Ernest Chardron, qui fonde en 1869 à Porto l'ancêtre de la célébrissime librairie Lello.
 

 Couverture du livre A cidade e as serras publié chez Ernest Chardron, en 1901

Ce n’est qu’avec l’expérience de la vie parisienne que la francophilie de l’écrivain laisse la place à l’amertume : l’affaire Dreyfus, lors de laquelle il prend parti pour le capitaine, le bouleverse, ainsi que le spectacle des fortes inégalités sociales engendrées par l’industrialisation croissante de la capitale. Aussi, son dernier roman, 202 Champs-Elysées, publié au Portugal en 1901, révèle un rejet complet de la ville symbolisée par Paris et prône une réconciliation avec le Portugal agraire. Le héros Jacinto, tel Rastignac au Père-Lachaise dans le Père Goriot, toise la ville depuis les hauteurs du Sacré-Cœur:

« Jacinto, mû par un instinct tout jacinthique, s’avança avidement en bordure du terre-plein, afin de contempler Paris. Sous le ciel d’un gris de cendres, dans la plaine grise, la ville s’étendait, elle-même grise et voilée de cendres, comme une épaisse couche de plâtras et de brique (...) oui, peut-être tout est-il illusion...et la Ville serait la plus grande des illusions! »

 (extrait de 202 Champs-Elysées : la ville et les montagnes, traduction de Marie-Hélène Piwnik, éd. Chandeigne, 2019)

Un cadre propice aux rencontres internationales
Eça de Queiros, s’il apprécie parfois la fréquentation nocturne du café de la Paix, place de l’Opéra, et les visites à la librairie Galignani, où il peut retrouver une atmosphère de club intellectuel anglophile, ne fréquente guère les milieux littéraires français. Son activité consulaire le pousse plutôt à fréquenter ses concitoyens, comme António Nobre, qui fait son droit à la Sorbonne, en 1890. Il fonde en juillet 1889 la Revista de Portugal, d’inspiration victorienne, qui paraîtra jusqu’en 1892.

Il publiera également contes et nouvelles dans la Revista moderna fondée à Paris en 1897, dont le siège se situe au 48 rue Laborde, dans le VIIIe arrondissement de Paris. Il enverra aussi de nombreuses chroniques à la Gazeta de Noticias de Rio de Janeiro, dans laquelle il relatera son quotidien parisien et la politique française. Ces textes pour la presse feront l’objet de publications post-mortem en anthologie.

 
Echos de Pariz, édition portugaise, 1905

Il lui arrive cependant de se trouver en compagnie des écrivains français en vue de l’époque, notamment lors du voyage ferroviaire vers Rouen pour l’inauguration de la statue de Flaubert, où il voyage aux côtés de Guy de Maupassant,  d’Edmond Goncourt, d’Alphonse Daudet , d’Emile Zola et des Brésiliens Olavo Bilac, Domicio da Gama et Eduardo Prado. Ce dernier écrit dans la Revista de Portugal et est un membre fondateur de l’Académie des Lettres du Brésil. Richissime, il collectionne les dernières inventions, présentées notamment à l’Exposition Universelle de 1889. Il servira d’inspiration au personnage de Jacinto de 202 Champs-Elysées.
 

Exposition Universelle de Paris de 1889, grande galerie des industries diverses

Faisant des séjours réguliers en France depuis 1879, notamment à Angers, Eça de Queiros maîtrise la langue française, et ses deux derniers enfants sont scolarisés dans cette langue. C’est en français qu’il leur écrira lors de ses déplacements. Après un premier séjour parisien au 5 rue Crevaux, dans le XVIe arrondissement, la famille s’installe à Neuilly, rue Charles-Laffitte puis, durablement, au 38 de l’avenue du Roule. La ville à l’époque se remet de destructions importantes commises par les Versaillais lors de la Commune. Queiros parlera, dans La vie extravagante de Fradique Mendes (1889-1890), de “démence de représailles” de la part des troupes de Mac-Mahon.

 

De 1893 à sa disparition, l’écrivain y mène une vie qu’il qualifie de « routinière et provinciale ». Il tiendra avec ses amis portugais des séances de spiritisme, certainement sous influence hugolienne.
 
Une source d’inspiration pour l’écriture
Fradique Mendes, le personnage éponyme, habite à Paris, connaît personnellement Baudelaire, Leconte de Lisle, Théodore de Banville. Comme Eça de Queiros, il a aussi vécu à Londres et loge à l’hôtel quand il va au Portugal. Si Eça de Queiros n’a jamais rencontré Victor Hugo, Fradique Mendes va lui rendre visite à Guernesey. Fradique Mendes sera enterré au Père-Lachaise, non loin du tombeau de Balzac.

Jacinto, le protagoniste de 202, Champs-Elysées, habite l’avenue la plus courue de l’époque, et apprécie de se rendre régulièrement au Bois de Boulogne pour y voir parader toute la société en vue :
 

“Il en revenait toujours fier de pouvoir affirmer que la Cité n’avait perdu aucun de ses astres, dont il garantissait l’éternel éclat”.

(extrait de 202 Champs-Elysées : la ville et les montagnes, traduction de Marie-Hélène Piwnik, éd. Chandeigne, 2019)

Dans ses Chroniques de Paris, Eça de Queiros déplore l’habitude persistante d’y organiser des duels, tout comme au bois de Vincennes. Il consignera également, entre autres, les bombes anarchistes, les révoltes étudiantes, l’assassinat du président Carnot.

Bien avant qu’elle ne soit traduite en français, Valéry Larbaud avait pressenti l’importance de cette œuvre multiforme :

« Eça entrera, sûrement, fatalement, dans la littérature européenne, et les lettres françaises devront, tôt ou tard, le connaître ou l’apprécier. »

(cité par A. Campos Matos dans Vie et oeuvre d'Eça de Queiroz, 2010, éd. La Différence)

Eça de Queiros à Lisbonne (photographie : Universidade Aberta)

 

 

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