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La « Carte chorographique nouvelle et exacte de la Sicile » en 1779

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22 juin 2023

Imprimée à Rome en 1779, la Nuova ed esatta carta corografica della Sicilia de Giovanni Battista Ghigi, qui cherche à faire connaître les beautés de la Sicile aux voyageurs, savants et curieux, peut être admirée durant l’été au musée de la BnF, dans la Galerie Mazarin.

Nuova ed esatta carta corografica della Sicilia, par Giovanni Battista Ghigi. Rome, 1779. Détail. Département des Cartes et plans, GE A-652 (RES)

 

Œuvre d’érudition, la carte foisonne d’informations illustrées et textuelles sur l’île. Les vingt-six vignettes qui l’entourent déploient de manière encyclopédique ses attractions : trésors culturels légués par l’Antiquité et redécouverts récemment (les temples doriques d’Agrigente), plans de villes (Catane, Messine, Palerme, Syracuse, Augusta, Trapani), constructions humaines (l’aqueduc du fleuve Simeto réaménagé en 1777 et le nouveau port d’Agrigente, aujourd’hui Port-Empédocle, achevé en 1763), ressources naturelles (faune et flore, roches, pierres précieuses et semi-précieuses, minerais, salines), produits de l’économie locale (agriculture, activités de la pêche), sans oublier le volcan Etna. La carte est dédiée à Catherine II de Russie, dont le prestige égale à l’époque celui de la Sicile du passé.
 

Nuova ed esatta carta corografica della Sicilia, par Giovanni Battista Ghigi. Rome, 1779.
Département des Cartes et plans, GE A-652 (RES)
 

On sait peu de choses sur Giovanni Battista Ghigi, son auteur. Originaire de Côme, Ghigi est un érudit connu pour avoir commenté et fait imprimer la Géographie ancienne de Christophorus Cellarius. En 1775, il publie, avec la collaboration de François Tiroli et Francesco Antonio Zaccaria, Le véritable guide des voyageurs en Italie, un ouvrage bilingue accompagné de nombreuses cartes itinéraires. C’est par l’intermédiaire de deux figures de l’Europe des Lumières, Friedrich Melchior Grimm (1723-1807), homme de lettre allemand d’expression française, correspondant de Catherine II, et Ferdinando Galiani (1728-1787), économiste italien et diplomate pour le compte du royaume de Naples, que la carte de Ghigi vient à être dédiée à l’impératrice russe. Mais Ghigi n’est pas à proprement parler le cartographe de cette carte munie d’une grille de latitude et longitude et dont l’échelle est exprimée en « cannes siciliennes », « miles italiennes », « verges du Rhin » et « toises de France ». Elle est fondée sur la carte de Sicile réalisée par le comte Samuel von Schmettau (1684-1751), militaire prussien au service des Habsbourg. Participant à la guerre contre les Bourbons de Madrid venus reconquérir l’île perdue, à la suite de la guerre de succession d’Espagne, au détriment de la maison de Savoie, Schmettau avait été chargé par l’empereur Charles VI de dresser la carte de la nouvelle acquisition territoriale selon les méthodes les plus récentes du lever topographique, au tout début de la domination autrichienne sur l’île (1720-1735).

Véritable encyclopédie de la Sicile rassemblée sur une surface réduite, l’œuvre de Ghigi est, comme son nom l’indique, une carte chorographique, destinée à souligner l’unicité du lieu représenté. Si, selon les définitions de Claude Ptolémée, savant grec du IIe siècle dont l’œuvre a largement influencé les idées géographiques en Europe à la Renaissance, la cosmographie aborde de manière mathématique l’univers dont la Terre est le centre, tandis que la géographie décrit la distribution des terres, mers et climats sur la Terre prise dans sa totalité, la chorographie, quant à elle, s’attache à dépeindre en détail les parties de cette totalité, à embrasser les attributs de lieux particuliers avec leurs reliefs, leur faune et leur flore, leurs paysages, leur architecture et leur population. En resuscitant cette catégorie oubliée, Ghigi montre sa prédilection pour l’érudition antiquisante dans sa manière de restituer les caractéristiques de l’île, mais rencontre aussi le goût contemporain pour le voyage en Sicile, devenue, vers le milieu du XVIIIe siècle, une étape du Grand Tour pour l’élite européenne et une escale appréciée des artistes, curieux et amateurs de culture classique et d’antiquités. 

A défaut de Grand Tour, nous vous proposons un parcours guidé dans la carte, via cette présentation « à la loupe » ci-dessous : 

 

Le voyage pittoresque ou éducatif n’est pas la seule motivation de la visite. Revenue en 1735 dans le giron de Bourbons d’Espagne qui règnent désormais sur Naples et la Sicile, l’île aux trois pointes – ou Trinacrie pour les Grecs – bénéficie de l’intérêt pour les vestiges de la Grande Grèce et pour les sites archéologiques qui font à l’époque l’objet des premières fouilles systématiques et d’une patrimonialisation visant souvent à servir le prestige politique. Jeune roi de Naples et de Sicile, Charles de Bourbon aspire à faire de son royaume une nouvelle Rome, capitale des antiquités, et ordonne en 1738 les fouilles d’Herculanum et Pompéi. En 1751, le père Giuseppe Maria Pancrazi publie ses Antiquités siciliennes expliquées et en 1759 paraissent les Remarques sur l’architecture des anciens temples d’Agrigente de Johann Joachim Winckelmann, archéologue et historien de l’art au rôle fondateur dans ces disciplines. La zone archéologique d’Agrigente, comprenant notamment « la Vallée des Temples », ensemble de temples doriques – dont le temple de la Concorde, celui d’Héraclès et celui d’Héra ou de Junon Lacinienne sont représentés sur la carte de Ghigi –, est inscrite depuis 1997 sur la liste du patrimoine mondial de l’Unesco.

La Carte chorographique nouvelle et exacte de la Sicile en 1779 figure parmi les pièces conservées par le département des Cartes et plans et présentées dans la galerie Mazarin du musée de la Bibliothèque nationale de France, aux côtés d’un globe terrestre doré, des feuilles du somptueux « Atlas Miller » ou encore la sphère armillaire géocentrée de Jérôme Martinot datée du début du XVIIIe siècle. Venez admirer ces œuvres, et bien d’autres, sur le site Richelieu de la BnF.

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