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Le chansonnier Nivelle de la Chaussée

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1 juin 2023

Ce manuscrit musical du XVe siècle au nom curieux, originaire de la vallée de la Loire, est une source remarquable à la fois par sa provenance et par son contenu. Nous vous présentons en détails cette pièce actuellement exposée par le musée de la BnF.

"D'une belle jeune fillle / Coquille bobille", chanson anonyme tirée du chansonnier Nivelle de la Chaussée (fol. 38 v°-39 r°)

Le département de la Musique de la BnF ne conserve que peu de documents antérieurs à 1500, ceux-ci étant historiquement l’apanage du département des Manuscrits ou, pour les imprimés, de l’actuelle Réserve des livres rares. Les quelques manuscrits médiévaux et incunables du département de la Musique proviennent donc soit de l’ancienne bibliothèque du Conservatoire, soit de collections privées. Ainsi le manuscrit du XVe siècle dit « Chansonnier Nivelle de La Chaussée » (département de la Musique, Rés. Vmc ms. 57), actuellement exposé au Musée, est-il entré en 1979 grâce à la dation de la collection Geneviève Thibault, comtesse de Chambure, qui l’avait elle-même acquis en vente le 7 mars 1939.

Le terme « chansonnier » désigne ici un recueil de chansons polyphoniques. Les spécialistes s’accordent pour penser que le manuscrit a vu le jour dans la vallée de la Loire, sans doute à Blois, Tours ou Bourges, à la fin des années 1460 ou au début de la décennie suivante. Quant au nom de Nivelle de La Chaussée, inscrit au XVIIIe siècle au fol. 1v, au-dessus de la première pièce, il pourrait être celui du possesseur de l’époque. L’écriture ne correspond toutefois pas à celle du dramaturge Pierre Nivelle de La Chaussée (1692-1754).

Le chansonnier contient soixante-six chansons, la plupart à trois voix, effectif le plus fréquent au XVe siècle, quelques-unes à quatre, ce qui sera la norme au siècle suivant, toutes sur des textes français. Dix-huit d’entre elles ne se trouvent pas ailleurs. Vingt-trois chansons, soit un tiers du contenu, restent d’auteur inconnu. Les autres se répartissent entre une quinzaine de compositeurs nommés dans le manuscrit ou identifiés par comparaison avec d’autres sources. Les mieux représentés sont Antoine Busnois avec dix à treize pièces (quelques-unes sont attribuées ailleurs à d’autres compositeurs), puis Jean Delahaye, connu seulement par ce manuscrit, avec sept pièces, Jean Ockeghem avec quatre à sept chansons, Guillaume Dufay et Jean Fédé avec trois ou quatre œuvres chacun.  En revanche, les deux compositions que le manuscrit attribue à Gilles Binchois lui sont contestées dans d’autres sources par Walter Frye et Dufay.

Ces chansons mettent en musique des textes d’auteurs généralement inconnus. À côté de quelques attributions possibles à des poètes assez obscurs, notre chansonnier contient la seule mise en musique connue d’un texte de François Villon, le rondeau Mort j’appelle de ta rigueur de Delahaye (fol. 67 v°-68 r°).

La plus grande partie du contenu a été notée par un même copiste. Pour une raison inconnue, certaines des chansons qu’il a copiées ont été ensuite totalement ou partiellement effacées. Son travail a été complété par un enlumineur qui a peint les majuscules initiales en camaïeu d’or. Ces lettrines ont été rapprochées de manuscrits enluminés dans la région de Tours, comme les Heures de Louis de Laval, œuvre de Jean Colombe et de son atelier (département des Manuscrits, Latin 920), les Heures de Thomas Berbisey (ibidem, Latin 1374), ou encore des Heures à l’usage de Tours (ibidem, Latin 1202) et surtout des Heures de Charles de France (Bibliothèque Mazarine, Ms. 473), dûes à l’atelier de Jean  Fouquet.

En revanche, les initiales de la première et des sept dernières chansons, copiées par trois autres scripteurs, n’ont pas été peintes.

 
   
Robert Morton, N’aray-je jamais mieux, première chanson du manuscrit, non enluminée, avec la signature « Nivelle de La Chaussée » (fol. 1 v°-2 r°)
 
Les pièces sont notées sur deux pages en regard. Les voix ne sont pas superposées comme dans les partitions modernes, mais disposées d’une façon héritée des premiers manuscrits polyphoniques et qui perdurera  dans l’impression musicale jusqu’au milieu du XVIe siècle, avant que ne s’impose la présentation de chaque partie dans un cahier séparé. La notation mensurale blanche, qui a supplanté dans la première moitié du siècle la notation noire du siècle précédent, permet aux copistes de travailler plus rapidement tout en économisant de l’encre.

Dans les pièces à trois parties, le verso (page de gauche) contient la voix supérieure ou superius et s’il y a lieu le texte des strophes suivantes, tandis que sur le recto suivant (page de droite) sont notées les deux voix inférieures, respectivement appelées tenor et contra, abréviation de contratenor. Ces deux parties sont pluôt destinées  aux instruments, car contrairement au superius, elles ne comportent que les premiers mots (incipit) du texte chanté.

 
   

 

Dans les huit pièces à quatre voix, le verso porte le superius et le tenor, et le recto suivant le contra et le tenor basis, tels que les nomme le manuscrit. Ces dénominations, même si  elles rappellent les tessitures vocales, ne leur correspondent toutefois pas forcément et se réfèrent plutôt à la position relative des voix dans la polyphonie. Dans la plupart de ces pièces à quatre parties, le superius n’est pas le seul à chanter : il arrive même que chaque voix chante un texte différent, comme c’était la norme dans la polyphonie des XIIIe et XIVe siècles.
 
   
 
Cette disposition des parties sur deux pages en regard sera tout naturellement reprise au siècle suivant par les premiers imprimeurs de musique. Elle sera rapidement supplantée par la présentation en cahiers séparés contenant chacun une voix, sans être toutefois totalement abandonnée. On la trouve encore, par exemple, dans la série des Airs de différents auteurs à deux parties publiée par Robert puis Christophe Ballard dans la seconde moitié du XVIIe siècle.

Pour en savoir plus sur ce manuscrit :

Commentaires

Soumis par Marisa checa le 07/06/2023

Un grand merci pour cette publication éblouissante. Je passerai regarder de plus près.

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