Jacques d’Aldelsward Fersen ou la volonté d’être soi-même
Jacques d’Aldelsward Fersen fut homme de lettres, poète issu tout à la fois de la haute aristocratie du royaume de Suède et de la grande entreprise. Son œuvre peut être redécouverte avec Gallica. Elle nous permet de cerner le parcours de cet écrivain en quête d’authenticité.
Cette photo fait partie d'une série prise pour la publication du recueil de poèmes Les Cortèges qui sont passés publiés sous le nom de Jacques d'Adelswärd (Albert Messein, 1903).
photographie extraite de Les Cortèges (1903) © Wikimedia
Ebauches et débauches est publié en 1901. Dans cette œuvre alternent poèmes et contes. La dernière partie « fêtes vénitiennes » mélange descriptions de Venise et sentiments qui voyagent, un brin de romantisme. Ces sentiments divers, parfois foncièrement mélancoliques nous rappellent la fin des choses, des êtres. Parfois, l’auteur laisse ses sentiments vagabonds, explorés l’ancienne capitale de ce qui fut La Sérénissime :
L’hymnaire d’Adonis est un voyage parmi les mythes grecs et surtout Ganymède, Adonis : deux figures emblématiques de l’homosexualité masculine. Le Mythe de Ganymède bel adolescent que Zeus enlève en se transformant en aigle pour en faire l’échanson des dieux fut souvent perçu comme un mythe signifiant l’homosexualité masculine (voir Claude Courouve, Vocabulaire de l’homosexualité masculine, p. 36).
L’hymnaire d’Adonis est publié en 1902. Fin XIXe et début XXe siècle, certains mythes grecs antiques permettent à des auteurs d’exprimer un certain homoérotisme (voir l’article de Sophie Coavoux, Cavafy homoérotique entre scientia sexualis et ars erotica. Transtext(e)s Transcultures).
Le passage ci-dessous fait référence au personnage légendaire de Ganymède. On aurait l’impression d’être face au mythe d’un paradis perdu, une innocence virginale, ou aux amours de jeunesse avec le printemps comme cadre.
Son roman Le Baiser de Narcisse est la biographie du jeune éphèbe Milès.
Le personnage de Ganymède apparait aussi dans Et le feu s’éteignit sur la mer
Cette description du paysage romain voyage parmi les monuments, places, jardins, eau et végétation, humeurs vagabondes. Certaines descriptions de Capri et ses habitants devaient donner suite à des polémiques.
Il y a aussi dans l’œuvre de Jacques d'Adelsward Fersen la description d’un amour contrarié, inaccessible comme dans Notre Dame des mers mortes.
Notre-Dame des mers mortes (Venise), 1902 (couverture)
Le passage suivant mêle l’agonie du désir, la non accessibilité d’un amour. En quelque sorte nous sommes toujours en deuil de nous-mêmes. Il peut aussi signifier un mal être de devoir continuellement vivre son homosexualité de manière masquée. (Voir Eve Kosofsky Sedgwick Épistémologie du placard)
En 1909, Jacques d’Adelsward Fersen crée la revue Akademos revue mensuelle d’art et de critique. Le but est de rendre visible les amours non conformistes ailleurs que lors de procès et scandales. Le passage ci-dessous souligne combien les amours masculines furent un trait de cette civilisation grecque mère de notre civilisation occidentale.
Enfin l'auteur n’hésite pas à laisser voir son goût pour les paradis artificiels. La drogue a pu constituer un levier d’inspiration (voir cette émission de France Culture).
Les écrits de Jacques d’Adelsward Fersen, témoignant d’un désir de liberté et de non-conformisme, sont aujourd’hui d’actualités. Il fut quelque peu gêné par une image sulfureuse : en 1903, il est impliqué dans une accusation d’attentat à la pudeur. Cette affaire judiciaire donne lieu à une violente campagne de presse à son encontre. Ceci explique son relatif oubli. Ne fut-il pas victime d’une morale qui entendait réserver la parole sur les homosexualités aux juges ou aux praticiens ? Cependant, aujourd’hui, ne pourrait-on pas redécouvrir, une œuvre injustement ignorée ? Sa vie et ses écrits sont actuellement revisités. Nous pouvons citer à ce propos la biographie de l’universitaire suédoise Viveka Adelsward et du conservateur Jacques Perot, tous deux parents du poète.
Les oeuvres de Jacques d’Aldelsward Fersen dans Gallica
Ainsi chantait Marsyas... : poèmes , Florence, 1907.
Akademos : revue mensuelle d'art libre et de critique, Paris, 1909, mensuel, Adelsward Fersen, Jacques d' (Dir.).
Le Baiser de Narcisse, illustré de 16 compositions de E. Brisset, Reims, 1912.
Chanson pour toi !, Paris, E. Demets, 1902.
Les Cortèges qui sont passés : poèmes, Paris, Librairie Léon Vanier, éditeur, A. Messein, succr, 1903.
Ebauches et débauches, Paris, Librairie Léon Vanier, éditeur, 1901.
Et le Feu s’éteignit sur la mer, Paris, A Messein, 1909.
L'Hymnaire d'Adonis : à la façon de M. le marquis de Sade, Paris, Librairie Léon Vanier, éditeur, 1902.
Notre-Dame des mers mortes (Venise), Paris, P. Sevin et E. Rey, libraires, 1902.
Perversités !, Paris, E. Demets, 1905, en 2 volumes : Pour la Mort et Voix d'enfant.
Pour aller plus loin
Viveka Adelswärd, Jacques Perot, Jacques d'Adelswärd-Fersen : l'insoumis de Capri, Paris, Séguier, 2018.
Roger Peyrefitte, L’Exilé de Capri, Paris, Editions TG, 2014.
Dossier Jacques d'Adelsward-Fersen présenté et réalisé par Patrick Cardon, Lille, Association GKC, 1993.
Jacques d'Adelswärd-Fersen : persona non grata, [textes rassemblés par] Gianpaolo Furgiuele, Lille, Éditions Laborintus, 2020.
Claude Courouve, Vocabulaire de l’homosexualité masculine, Paris, Payot, 1985.
Sophie Coavoux, Cavafy homoérotique entre scientia sexualis et ars erotica, in Transtext(e)s Transcultures, https://journals.openedition.org, 2016. https://journals.openedition.org/transtexts/659
Eve Kosofsky Sedgwick, Épistémologie du placard, Paris, Éd. Amsterdam, impr. 2008.
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