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Improviser en cuisine

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22 septembre 2021

Préférez-vous improviser en cuisine ou suivre scrupuleusement les instructions des livres de recettes ? En écho à la table-ronde « L’impro aux fourneaux », organisée par le Festival du Monde en partenariat avec la BnF, Gallica se penche sur cette savoureuse question.

La cuisine, n°3 : Le goûter à la maison
Tableau d'enseignement, Fernand Nathan, 1967. Collections de la bibliothèque Forney

De l’incertitude en cuisine

« Rigueur et improvisation » sont, comme le souligne Patrick Rambourg dans son avant-propos à L’Histoire de la cuisine et de la gastronomie française, les « éternels parents de la création culinaire ». Improvisation nécessaire dont l’on trouve les traces chez les plus grands auteurs. Ainsi, dans son Livre de cuisine (1893), Jules Gouffé évoque « les improvisations exquises de la véritable cuisine » et plaint « le sort du cuisinier qui, le jour d’un extra, en serait réduit à fouiller dans les livres, au lieu de compter sur ses propres ressources, pour composer le repas qu'il est appelé à servir ». Il pointe le danger qui consiste à communiquer ses menus trop longtemps à l’avance, sans tenir compte de la part d’incertitude qui pèse non seulement sur les denrées que le cuisinier trouvera à sa disposition le jour J, mais plus généralement sur cette fragile alchimie qu’est la cuisine :

Vous pouvez souvent voir renverser d'un seul coup, par une volonté ou une fantaisie supérieure, tout un édifice sur lequel vous vous serez monté l’imagination. »

On songe à la triste fin de François Vatel, relatée par la marquise de Sévigné dans les lettres à sa fille : le célèbre maître d’hôtel du Prince de Condé se suicida le 24 avril 1671, lors d’une réception organisée au château de Chantilly en l’honneur de Louis XIV : 3 000 convives devaient être servis, le poisson tardait à venir. Vatel préféra mettre fin à ses jours que subir pareil déshonneur.

Le Livre de cuisine, Jules Gouffé, gravures sur bois par E. Ronjat, 1893

La possibilité de suivre la recette à la lettre remonte seulement au XIXe siècle, lorsque la gastronomie se développe en tant que science. Auparavant, les livres de cuisine restent relativement flous quant aux ingrédients, aux proportions, aux temps de cuisson, et laissent la part belle à l’interprétation. Le Pastissier françois, qui dès 1653 apporte des précisions sur le temps ou l’intensité de la cuisson, fera longtemps figure d’exception.

Le gastronome Curnonsky (1872-1956) divisait la cuisine française en quatre catégories : la Haute Cuisine, auxiliaire de la diplomatie ; la cuisine bourgeoise, courante dans les bonnes maisons ; la cuisine régionale, d’une variété extraordinaire en France ; enfin la « cuisine improvisée, c’est-à-dire celle que dans n’importe quelle circonstance, avec les poissons de la rivière, le lapin pris au collet, les légumes du jardin, un poulet trouvé à la ferme, etc. une bonne cuisinière peut confectionner, même en plein air ». Ces quatre cuisines étant soumises au même principe, exprimé en deux vers :

La cuisine ? C’est quand les choses ont le goût de ce qu’elles sont ».

 

Le Livre de cuisine, Jules Gouffé, gravures sur bois par E. Ronjat, 1893

Digne représentant, d’après Curnonsky, de cette cuisine faite de convivialité, La Cuisine de Monsieur Momo, célibataire (1930), de Maurice Joyant – ami d’enfance et marchand  d’Henri de Toulouse-Lautrec –, rassemble les recettes d’un groupe d’amis aimant à se retrouver autour de bons plats, ornées de 24 dessins de Toulouse-Lautrec et d’un frontispice de Vuillard.

    

 La Cuisine de Monsieur Momo, célibataire, illustrée de 24 aquarelles et dessins par H. de Toulouse-Lautrec et d'un frontispice par Vuillard / Maurice Joyant (1930)

De l’art d’accommoder les restes

Mais le cuisinier travaille parfois sous le poids de contraintes aussi extrêmes qu’extérieures à sa volonté, auxquelles il doit alors s’adapter : c’est souvent le cas de la ménagère, soumise au manque de temps, de matériel, de budget, et pour qui savoir accommoder les restes est une nécessité.

 Les Cent Mille Recettes de la bonne cuisinière bourgeoise à la ville et à la campagne, Sophie Wattel, vers 1886

Il s’agit alors de se ravitailler au mieux, avec les moyens du bord, qu’il s’agisse des récoltes du jardin ou des boîtes de conserve de l’armoire à provisions.

 

La Cuisine, guide pratique de la ménagère, Blondeau, 1930

La publicité pour la cuisine industrielle a su jouer de ces contraintes pour tenter de séduire la femme citadine, comme en témoigne, par exemple, cette publicité Liebig qui invite à « la cuisine improvisée » : « la Parisienne, en intelligente ménagère, sait user des moyens que les progrès alimentaires mettent à sa disposition. Ses déjeuners les plus hâtifs, ses dîners les plus improvisés conservent un charme et un "ragoût" exquis, justement parce qu’elle sait employer à propos l’extrait de viande Liebig, cette ressource de tous les instants d’une cuisine vraiment parisienne ».

 

« Le bouillon OXO en cubes de la Compagnie Liebig », 1910

Des restrictions

La contrainte se fait plus rude encore en temps de pénurie, de famine, de guerre, comme en témoignent par exemple les mémoires d’Auguste Escoffier – chef de cuisine dans l’armée pendant la guerre franco-prussienne de 1870 –,  le célèbre menu de restaurant du 25 décembre 1870 – qui, au 99e jour du siège de Paris, proposait à la dégustation de l’éléphant ou du kangourou de la ménagerie du Jardin des plantes –, ou les livres de cuisine et menus datant de la Grande Guerre.


Menu du 2 août 1916
Collections de la Bibliothèque municipale de Dijon

Une cuisine roulante, photographie de presse, Agence Rol, 1915

Chercheur à l’Institut Pasteur, s’intéressant à la gastronomie et à l'hygiène alimentaire, Édouard de Pomiane recommande quant à lui, sous l’Occupation, des recettes de cuisine adaptées aux restrictions.

Pour elle, 22 octobre 1941

Plus récemment, en raison des contraintes sanitaires, les chefs ont dû se réinventer et adapter leurs plats pour la livraison à domicile. L’improvisation fait heureusement partie intégrante de leur art de cuisiner, comme l’expliqueront Manon Fleury, Pierre Gagnaire et Mory Sacko lors du Festival Le Monde ce week-end. Nous vous y attendons nombreux !

Pour aller plus loin :

- Les sélections dédiées au Patrimoine gourmand dans Gallica
- Le billet de blog « Les menus de la Grande Guerre » de la bibliothèque de Dijon
- « L’impro aux fourneaux ! Trois chefs racontent », Festival Le Monde
Table-ronde avec Pierre Gagnaire (chef de trois restaurants à Paris dont le Balzac), Mory Sacko (chef de Mosuke), Manon Fleury (ancienne cheffe du Mermoz)
Samedi 25 Septembre 2021 de 14h00 à 17h30
Le Journal du Monde, Auditorium
67, avenue Pierre Mendès France
75013 Paris
Informations pratiques

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