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Amélie Julie Candeille et Girodet : la femme et l’artiste

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30 avril 2021

Même si elles y sont minoritaires, la critique d’art est au XVIIIe siècle un espace culturel accueillant pour les femmes. Leurs textes montrent souvent un point commun : faire de leur regard de femmes sur les œuvres une expérience novatrice. L’art constitue ainsi un moyen de signaler l’appartenance revendiquée à son genre.

 
La Révolution, apportant de nombreux bouleversements, permet aussi de rompre avec les anciens modèles, par exemple en matière de formation artistique ou de lieux d’exposition. Plus tard, avec la promotion des arts industriels par Napoléon, beaucoup de femmes se professionnalisent dans cette branche d’activité.
La période voit aussi le développement de la critique d’art, qui ne répond alors à aucun canon particulier et n’est conditionnée par aucune formation : tout le monde peut en quelque sorte se faire critique, et les femmes ne s’en privent pas, profitant de cet espace de liberté encore récent. Les romans, les journaux de voyages, les mémoires sont des vecteurs privilégiés, contrairement à la presse, qui reste largement marquée par des auteurs de sexe masculin. Si les femmes n’ont que rarement recours à des analyses techniques ou historiques, elles utilisent le plus souvent l’arme de l’émotion, de la vertu et de la sensibilité pour convaincre leur lectorat de manière efficace.
 
Bien longtemps après sa mort, dans la livraison du 1er juillet 1943, la Revue de Paris évoque ainsi le souvenir de Julie Candeille :

 

Elevée dans un milieu aisé, qui baigne dans la musique, Julie Candeille (1767-1834) développe très tôt un don pour le clavecin et le chant, avant de devenir pianiste et compositrice. Dans ses Souvenirs, elle exprime un goût pour la liberté qui ne la quittera pas, en particulier à l’égard des hommes, et mènera à une vie aventureuse et riche en rebondissements :

Souvenirs de Brighton, de Londres et de Paris, et quelques fragmens de littérature légère,
par Mme Simons-Candeille, Paris : Delaunay, 1818.

Grâce aux protections dont elle sait s’entourer, entre autres celle du marquis de Louvois et du baron de Breteuil, elle fait son entrée dans le monde du théâtre, tout d’abord en 1785 à la Comédie française dans une pièce de Racine, puis en 1789, alors qu’elle tient le rôle de la jeune esclave Mirza dans une pièce dénonçant la condition des esclaves dans les colonies, l’Esclavage des nègres ou l’Heureux naufrage d’Olympes de Gouges. La pièce donne lieu à un affrontement entre le lobby des propriétaires coloniaux en France et la Société des amis des Noirs, club fondé par Condorcet, Brissot et l’abbé Grégoire.
 
Les pièces dans lesquelles elle est à l’affiche au début de la Révolution connaissent un grand succès et elle se fait de nombreux amis dans les cercles politiques. Le Directoire conforte son succès d’actrice, mais aussi d’auteure dramatique en vue. On expose au salon de l’an III son portrait, réalisé par Jacques-Antoine-Marie Lemoine. Elle rencontre Anne-Louis Girodet en 1800, lors d’un concert, et partagera la vie du peintre jusqu’à sa mort en 1824. Leur relation est fondée sur la parité et la réciprocité, comme en témoigne leur double portrait réalisé en 1807 par Girodet, dans lequel il confond leurs traits de sorte à créer une figure androgyne, montrant ainsi qu’il la considère comme son égale. Leur abondante correspondance est conservée au musée Girodet de Montargis.

 
Son activité de salonnière permet à Girodet de trouver de nouvelles clientes : Juliette Récamier, l’impératrice Joséphine… et de nouveaux clients, comme le comte Sommariva, grand collectionneur italien, qui commanda à l’artiste son dernier chef d’œuvre, Pygmalion et Galatée.

 

Véritable intendante et conseillère, Candeille s’occupait également des aspects administratifs de la carrière du peintre et percevait ses honoraires. Elle critiquait également ses œuvres, privilège exceptionnel. C’est seulement au contact de son amie que Girodet prit conscience de l’importance d’une opinion préalable sur ses travaux et d’un « instinct » de femme, comme il le dit dans leur correspondance.
Le peintre s’est lui aussi impliqué dans la carrière de sa partenaire, illustrant deux de ses romans historiques : Bathilde, reine de Francs (1814) et Agnès de France ou le douxième Siècle (1821).
La révolution de 1830 l’atteint dans sa fortune et sa pension est supprimée. Elle meurt en 1834, après avoir entretenu une correspondance avec Victor Hugo et son ami Charles Nodier.
 
L’œuvre d'Anne-Louis Girodet est généralement associé à la masculinité de ses représentations. Pourtant certaines femmes, comme la mère de l’artiste ou encore Germaine de Staël, furent d’une importance capitale dans le déroulement de sa carrière. Il forma également des femmes artistes dans son « atelier féminin » pendant la Restauration. Les femmes ont émis de nombreux jugements sur lui, mettant en avant la capacité de ses peintures à susciter l’émotion du spectateur et des réactions physiques.
Candeille exprimait une préférence pour un art où l’émotion est palpable, où les femmes sont représentées comme sujets critiques et vertueuses tout en étant passionnées. Dans les dernières années de sa carrière, cette dimension est d’ailleurs très présente chez Girodet, dont Candeille va jusqu’à faire un personnage de son roman autobiographique, Lydie ou les mariages manqués. On reconnaît dans la figure de Valmont les traits du peintre : « caustique, impoli, insoutenable ».

En 1826, Candeille publia en hommage à son partenaire récemment disparu un essai pour les Annales de la littérature sur deux des plus ambitieux projets du peintre, l’illustration des Odes d’Anacréon et de l’Enéide.

 
Dans son texte, Candeille cherche à montrer l’importance des dessins de Girodet pour les futures générations d’artistes, d’un ton ferme et assuré, peu courant chez une femme de l’époque dans une grande revue de ce genre. Elle conclut son essai par une forme de provocation : « Mais peut-être n’est-il accordé qu’aux femmes d’apprécier le tact exquis, ce tact si rare des convenances, qui donne à la scène de l’aveu cette expression enchanteresse de passion et de regret du côté de Didon, de tristesse et de pitié du côté de sa sœur Elise ! »
Ce passage permet de comprendre à quel point Candeille avait conscience d’un public féminin de l’art, en écrivant pour lui et en utilisant le langage de la sensibilité que les femmes s’étaient approprié au début du XIXe siècle. Il reprend également un point qui parcourt tous ses écrits sur l’art : le privilège de la perspective féminine.
Dans le texte De l’utilité de la critique et de sa difficulté (1818), intégré aux Souvenirs, Candeille évoque la figure d’une critique féminine qu’elle se refuse à nommer :
En d’autres termes, les femmes sont seules capables de commenter les œuvres en toute simplicité et de se montrer convaincantes. Dans ses Souvenirs, elle trouve le moyen d’élever le statut de Girodet :

Avec ce passage, Candeille fait de Girodet l’artiste vivant qui incarne le mieux les principes classiques définis par Winckelmann.

Pour aller plus loin :

Commentaires

Soumis par VILCOSQUI le 15/01/2022

VILCOSQUI MARCEL JEAN : CANDEILLE AMELIE-JULIE.:COMPOSITRICE. FEMME DE LETTRES... (EDITIONS SYDNEY LAURENT) 2019
1er prix du Conservatoire National Supérieur de Paris (1973), Thèses d'Etat (Paris-Sorbonne) en 1986 pour ses travaux sur La Femme dans la Musique Française des origines à nos jours.

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