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Des délits et des peines de Cesare Beccaria

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En 1764 paraît un ouvrage qui va avoir un important retentissement dans toute l’Europe et singulièrement en France. Il s’agit de Dei delitti e delle pene (Des délits et des peines) du jeune juriste milanais Cesare Beccaria (1738-1794).

"La Loi dans tout Etat doit être universelle...", gravure de Villemin d'après un dessin de Charles Edouard Chaise, 1791-1792 (BnF, Estampes, RESERVE QB-370 (25)-FT 4 [De Vinck, 4324])

La Correspondance littéraire, philosophique et critique de Friedrich Melchior Grimm (1723-1807) et Denis Diderot (1713-1784) salue ainsi en août 1765 la parution de l’ouvrage de Beccaria : « Un petit livret, intitulé Dei Delitti e delle Pene, c'est-à-dire, Des Délits et des Peines, et que M. l'abbé Morellet se propose de traduire en français, vient de faire beaucoup de bruit en Italie. Ce livre est de M. Beccaria, gentilhomme milanais, que les uns disent abbé, les autres jurisconsulte, et que je garantis un des meilleurs esprits qu'il y ait actuellement en Europe. Voilà donc la fermentation philosophique qui a franchi les Alpes, et qui approche du foyer de la superstition. L'empire de l'absurdité menace ruine de tous les côtés ; si la raison pouvait enfin prendre sa place, il faudrait s'affliger d'être venu trop tôt au monde. »
L’ouvrage est donc traduit en 1766 par l’abbé André Morellet (1727-1819). Cependant, l’abbé admet, dans une lettre du 3 janvier 1766 avoir pris des libertés avec le texte de Beccaria : « Je dois maintenant m’excuser auprès de vous de la liberté que j’ai prise de changer l’ordre de votre ouvrage. J’ai donné dans une préface les raisons générales qui me justifient, mais je dois m’arrêter davantage avec vous sur ce sujet. Pour l’esprit philosophique qui se rend maître de la matière, rien n’est plus aisé que de saisir l’ensemble de votre ouvrage dont toutes les parties se tiennent très étroitement et dépendent toutes du même principe. Mais pour les lecteurs ordinaires moins instruits, et surtout pour des lecteurs français plus difficiles sur la méthode, votre ouvrage traduit uno tenore aurait été moins facile à saisir. Or j’ai cru et je crois encore avoir suivi une marche plus régulière, et qui rend l’ouvrage plus clair, qui rapproche des choses qui devaient être unies et qui se trouvaient séparées, et qui en tout est plus conforme au génie de ma nation et à la tournure de nos livres. »
Une seconde traduction, plus conforme à l’original italien, parut en 1773. Elle est l’œuvre de l’avocat au Parlement Etienne Chaillou de Lisy (1742-1817) :

Cesare Beccaria, Traité des délits et des peines, trad. fr. de Etienne Chaillou de Lisy, Paris : J.-F. Bastien, 1773 (BnF, Arsenal, 8-J-5124)

Etienne Chaillou de Lisy présente ainsi sa traduction à Beccaria dans une lettre du 10 juin 1773 : « Plein de respect et d’admiration pour ce qui sort de votre plume, je n’ai pas voulu imiter mon précurseur et ai suivi le même ordre dans la distribution des chapitres que dans la dernière édition italienne de Paris 1766. J’ai fait tous mes efforts pour rendre la copie digne de l’original. Heureux si j’ai réussi dans mon projet et si j’ai su éviter les fautes qu’on a reprochées aux premières traductions »
En 1766 Beccaria se rend à Paris. Il n’arrive pas totalement en terre inconnue. En effet, dans une lettre à l’abbé Morellet de mai 1766, il évoque ses liens avec la philosophie française : « Je date de cinq ans l'époque de ma conversion à la philosophie, et je la dois à la lecture des Lettres Persanes. Le second ouvrage qui acheva la révolution dans mon esprit, est celui de M. Helvétius. C'est lui qui m'a poussé avec force dans le chemin de la vérité, et qui a le premier réveillé mon attention sur l'aveuglement et les malheurs de l'humanité. Je dois à la lecture de l’Esprit une grande partie de mes idées... »
Durant son séjour, il fréquente les salons et rencontre d’Holbach (1723-1789), D’Alembert (1717-1783), son traducteur l’abbé Morellet et Diderot. Rendez-vous est pris avec Voltaire à Ferney mais Beccaria, qui goûte peu les voyages et se languit de sa jeune épouse, rentre à Milan sans voir Voltaire. Ce dernier, publie en 1766 un Commentaire sur le livre Des délits et des peines :

[Voltaire], Commentaire sur le livre Des délits et des peines par un avocat de province, s. l., 1766 [BnF, F-24274]

Voltaire retrouve dans l’essai de Beccaria l’écho de ses propres combats contre l’arbitraire et la cruauté dans l’affaire Calas et dans celle du chevalier de la Barre qui fut exécuté et brûlé en 1766 avec le Dictionnaire philosophique cloué sur la poitrine. Il adressera à Beccaria en 1768 son livre sur la Relation de la mort du chevalier de la Barre.
Dans une lettre de mai 1768 à Beccaria, Voltaire souligne le caractère historique du traité du jeune milanais : « Vous avez aplani la carrière de l’équité dans laquelle tant d’hommes marchent encore comme des barbares. Votre ouvrage a fait du bien et en fera. Vous travaillez pour la raison et pour l’humanité qui ont été toutes deux si longtemps écrasées. Vous relevez ces deux sœurs abattues depuis environ seize cent ans. Elles commencent enfin à marcher et à parler ; mais dès qu’elles parlent, le fanatisme hurle. »
Beccaria fait autant œuvre de philosophe que de juriste. En effet, plus qu’un simple traité de procédure pénale, Des délits et des peines, en séparant la justice de la religion et en donnant comme but aux châtiments l’utilité sociale, fonde une véritable philosophie du droit conforme aux principes des Lumières.

Pour aller plus loin
Audegean Philippe, "Lumières lombardes et Lumières italiennes : le cas de l’abolition de la peine de mort", cycle de conférence "La France et l'Italie au XVIIIe siècle", BnF, 11 décembre 2020 [consulté le 8 février 2021].
Audegean, Philippe. La philosophie de Beccaria : savoir punir, savoir écrire, savoir produire. Vrin, 2010.
Porret, Michel. Beccaria. Le Droit de punir. Michalon, 2003.

 

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