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De la Grèce mythique à la Grèce contemporaine

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6 janvier 2021

La Grèce n’est pas seulement un paradis touristique. Elle est aussi un pays à l’histoire tourmentée sur laquelle l’Europe occidentale s’est toujours projetée imaginairement. C’est une nouvelle fois le cas au lendemain de la Grande Guerre.

L'Odyssée d'Homère illustré par Gaston de Latenay, 1899

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la défaite de l’armée hellénique face à la Turquie entraine un redécoupage territorial. En quelques mois, 1,5 million de Grecs rejoignent les îles de la mer Egée ou la Grèce continentale tandis que 500 000 musulmans regagnent la Turquie. La Grèce doit alors faire face à un afflux de réfugiés. Pour en savoir plus sur cet épisode de l'histoire de la Grèce contemporaine, vous pouvez consulter cet article du blog Gallica. Mais quel en est l'arrière-plan culturel ?
 

Lectures françaises de l’événement

 

Au-delà de la tragédie humaine et de la reconfiguration politique de la région, la débâcle grecque a aussi une portée symbolique. C’est ce que manifestent les articles de l’helléniste Charles Vellay, qui suit les événements pour plusieurs revues de l’époque. Ainsi, dans la livraison du 30 septembre 1922 de L’Europe nouvelle, s’interrogeant sur "La perte de l’Asie et ses conséquences", il fait valoir qu’à "se placer au point de vue plus général de l’hellénisme, le désastre n’apparaît pas moins grand". Cette préoccupation transparaît même dans les considérations politiques ordinaires, comme en témoigne ce titre de La Lanterne du 27 septembre 1922 : "Constantin abdiquera-t-il ? M. Vénizélos sera-t-il appelé pour sauver l’Hellade ?" (Hellade, dérivé du grec moderne 'Ellas', signifie Grèce en grec moderne).

Un peu plus tard, la vénérable revue du Mercure de France s’inquiète, dans sa livraison du 1er novembre 1922, de ce que "l’offensive foudroyante de Mustapha Kemal contre les armées grecques et l’éclatante victoire qui l’a suivie ont définitivement ruiné le fragile statut de l’Orient élaboré à Sèvres en 1920" et prévient que "persister dans l’abstention actuelle serait consacrer la capitulation de l’Occident devant l’Orient". Cette interrogation angoissée voisine avec des considérations plus futiles comme en témoigne cette brève du journal Comoedia du 10 octobre 1922 au sujet des tapis de Smyrne :


Les tapis de Smyrne dans Comoedia du 10 octobre 1922

 

Une passion pour une Grèce mythique

 

Dès leur guerre d’indépendance (1821-1829), faut-il rappeler ici, les Grecs avaient reçu un immense soutien des opinions publiques occidentales, qui pensaient voir, dans ce petit peuple méditerranéen de civilisation rurale, le lointain descendant des Anciens Grecs, source de la civilisation européenne. Pourtant, les Grecs modernes n’étaient pas ancrés dans l’Occident de manière aussi univoque qu’on aurait pu le croire. En effet, dans l’imaginaire nationaliste de nombreux Grecs, la nouvelle nation accédant à son indépendance avait vocation à retrouver, si ce n’est l’esprit, du moins les frontières de l’Empire byzantin, issu de l’Empire romain d’Orient, dont ils prétendaient être les héritiers. C’est ce que les Grecs nationalistes devaient, pendant longtemps, nommer « la Grande Idée ». Plusieurs des grands combattants de la guerre d’indépendance s’identifiaient au monde de l’Orthodoxie qui les faisait regarder vers la Russie bien plus que vers un Occident qu’ils rejetaient. Toutefois, c’est le camp libéral, incarné par la grande figure d’Elefthérios Venizélos (1864-1936), qui l’emportât, en fondant, par contraste, l’imaginaire national grec sur un retour à la Grèce ancienne.

On comprend mieux ainsi que, en 1922, la défaite de la Grèce face aux Ottomans puis aux kémalistes soit lue, alternativement, à travers deux contrastes distincts. Le premier, d’ordre religieux, oppose le christianisme à l’islam, comme dans ces propos d’un journal grec qui s’en prend à la défaillance des secours des puissances de l’Entente :
 

Le deuxième, d’ordre civilisationnel, oppose l’Occident à l’Orient. Charles Vellay l’incarne, ici encore, de manière caractéristique. Dès avant la Grande Guerre, il défend la cause d’un irrédentisme grec et soutient, en 1922, une improbable République d’Ionie. L'auteur, dans un article du Temps du 5 septembre 1913 qui rend compte d’un ouvrage qu’il vient de publier sur le sujet, s’exprime en ces termes : "la Grèce est engagée dans un effort permanent pour se maintenir non seulement dans l’espace, en reliant l’hellénisme épars, mais aussi dans le temps, en reliant la Grèce d’aujourd’hui à celle d’hier." Il poursuit :
 

Tous ces propos sont caractéristiques du penchant philhellène de l’intelligentsia française. Il trouve, dans l’occasion tragique de l’incendie de Smyrne et du retrait définitif des Grecs d’Asie mineure, une nouvelle occasion de se manifester. On se demandera, toutefois, s’il ne s’agit-il pas plus d’une passion pour une Grèce mythique, que ce soit celle de l’Antiquité ou celle de la Byzance chrétienne, que pour la Grèce réelle de l’époque contemporaine.
 

Pour aller plus loin :

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