Contrôleurs des mains, contrôleurs des pieds (2/4)
A l'heure des gestes barrières, abordons les séances de spiritisme de la fin du 19e et du début 20e s. sous un angle bien spécifique : le CONTACT PHYSIQUE ! Deuxième épisode : le toucher comme instrument de contrôle. En vedettes : le corps fragmenté de la médium Eusapia Palladino, ses "contrôleurs", une ficelle de 3 mm de diamètre, des jupons vides et une pluie de violettes odorantes.
Dans le précédent billet, nous avions souligné combien le contact rapproché des individus en séance était présenté comme une condition nécessaire à l’apparition de forces immatérielles et combien une gestuelle plus ou moins codifiée se mettait en place. Ces pratiques trouvaient leur justification dans des théories plus anciennes comme celle du magnétisme animal de Mesmer mais n’étaient pas non plus sans lien avec les travaux sur le courant électrique diffusé dans la presse de l’époque.
Les mentions de contacts physiques entre participants et médiums émaillent aussi les récits de séances à d’autres fins : il s’agit de convaincre les lecteurs que tous les contrôles de validité "scientifique" de l'expérience sont opérés et qu’il n’y a pas de triche possible.
Le toucher : un instrument de contrôle pour éviter les supercheries
A la lecture de comptes rendus d’expériences de matérialisation des esprits, consignés dans les organes de presse spirites ou dans les monographies spécialisées - souvent rédigées par des médecins ou scientifiques, le lecteur est frappé par le même souci des textes : montrer que toute supercherie a été soigneusement évitée. Les auteurs détaillent amplement les protocoles mis en place et adjoignent à leurs écrits des schémas de reconstitution de séance et des photographies.
Cette préoccupation grandissante au fil des publications donne à voir des contacts renforcés entre les participants lors des séances et la classique chaîne devient multidimensionnelle : de chaîne des mains, elle devient « la chaîne des mains et des pieds » - et des « avant-bras » serait-on tenté d’ajouter à lire cet extrait de récit de séance publié dans le numéro de septembre 1926 du Bulletin de la Société d'études psychiques de Nancy :
Dans la mesure où les séances ont généralement lieu dans le noir, il s’agit pour les participants de s’assurer de « leur présence mutuelle dans le cercle » afin d’être certains que personne ne sort de la chaîne pour aller actionner secrètement un dispositif factice.
Un rôle nouveau apparait pour certains des assistants : celui de « contrôleur ». La tâche du « contrôleur » est de s’assurer que le membre du médium dont il a la charge ne bouge pas pour éviter toute fraude. Il peut être amené à « contrôler » un pied, une main ou les genoux dans un rapport des plus rapprochés avec le médium, qui est souvent une femme dans le corpus de textes étudiés. Ce rôle de « contrôleur » paraît toujours, lui, être tenu par des hommes. Beaucoup de photographies ou d’illustrations mettent en scène cette gestuelle de contrôle sur le corps du médium :
Les mains de la médium Linda Gazzera sont contrôlées pendant l'apparition de l'ectoplasme
"sans une seule interruption" (Traité de métapsychique de Charles Richet, 1922)
« Le contrôleur de droite doit bien s’assurer que c’est la main droite qu’il tient, celui de gauche que c’est bien la gauche. Aussi pour ne pas se tromper, ils doivent sentir toujours le pouce de la main qu’ils tiennent. Les deux pouces sont dans des positions opposées ; en reconnaissant le pouce maintenu, sa forme, sa position par rapport à la main on est assuré que c’est bien la main dont on a la charge qui est contrôlée. »
Ces contrôles, qui s’accompagnent d’une installation « aussi près que possible du médium » sont parfois extrêmement poussés, voire quelque peu intrusifs. Le corps du médium est fragmenté pour être mieux contrôlé. C’est le cas des multiples séances avec Eusapia Palladino soupçonnée à plusieurs reprises de fraude. La séance se passe à l’Ile Roubaud le 4 août 1894 avec comme expérimentateurs Charles Richet et Albert de Rochas qui relate dans L'extériorisation de la motricité :
« … nous recommençons en exigeant encore le contact de la tête. Elle [Eusapia] applique son front contre mon front, je lui tiens d’une main sa main droite tout entière, en sentant tout son avant-bras depuis le coude jusqu’au bout des doigts ; avec l’autre main j’embrasse ses deux genoux réunis ; avec le pied je touche sa jambe droite, depuis le genou jusqu’au bout des doigts »
L’entremêlement des corps est bien audacieux !
Dans ce contexte de contrôle très serré, on peut comprendre que notre médium se plaigne parfois d’hyperesthésie !
« Eusapia accuse d'une manière presque constante en cours de séance de l’hyperesthésie aux mains. Elle demande qu'on lui tienne les mains sans appuyer sur la face dorsale ou plutôt qu'on la laisse appuyer elle-même ses mains sur celles des contrôleurs (1905-VIII-4). Son hyperesthésie s'étendrait parfois aux poignets et aux avant-bras.» (Documents sur Eusapia Palladino, Institut général psychologique, 1909)
La contrainte exercée sur le corps d’une médium, qui ne s’appartient plus tellement, un peu chosifiée, va parfois plus loin : la médium peut être déshabillée puis attachée pour s’assurer qu’immobile, elle n’utilise pas de subterfuge ni ne cache dans ses vêtements quelques expédients. C’est ce qui arrivera à Mme Valentine qui réussira à faire descendre sur elle, au cours de la séance, une pluie de violettes odorantes mais … ne parviendra pas à faire parler une table qui restera « muette absolument ».
La scène qui se déroule en 1887 est racontée par le Docteur Gornard dans le journal Le Progrès spirite du 20 avril 1902 :
Ajouter un commentaire