Raphaël et la gravure, à découvrir aussi dans Gallica
Dans le cadre du 500e anniversaire de la mort de l'artiste, l'exposition « Raphaël et la gravure » a ouvert le 8 octobre dernier au Musée des Beaux-Arts de Tours. La BnF y expose 14 gravures de Marcantonio Raimondi, Marco Dente, Agostino Veneziano et Ugo da Carpi. Elles figurent dans Gallica, de même que l’intégralité des planches gravées par Raimondi d’après Raphaël. Caroline Vrand, une des commissaires de l’exposition et conservatrice chargée des gravures XVe et XVIe siècles au Département des Estampes et de la photographie de la BnF, nous présente ce fonds exceptionnel.
Bonjour Caroline Vrand, pouvez-vous nous parler de l’exposition ?
L’exposition « Raphaël et la peinture » a été organisée dans le cadre du dispositif « Dans les collections de la BnF ». Chaque année, dans plusieurs institutions du territoire national, la BnF présente un « trésor » ou une sélection d’œuvres de ses collections qui entre en résonance avec les collections de l’établissement partenaire. En 2020, le choix de Raphaël s’est imposé car nous commémorons le 500e anniversaire de sa mort, survenue le 6 avril 1520. L’exposition s’articule autour de quinze pièces et met en lumière les liens que Raphaël a entretenus avec ce médium particulier qu’est l’estampe.
En quoi le rapport de Raphaël et de la gravure est-il singulier ?
Le rapport qu’a entretenu Raphaël avec la gravure est singulier à plusieurs égards.
Apollon sur le Parnasse, entouré des Muses et des poètes, par Marcantonio Raimondi d'après Raphaël et fresque des chambres de Raphaël aux Musées du Vatican. Déplacez le curseur pour comparer !
Tout d’abord, la gravure a été déterminante pour la diffusion de son œuvre, de son vivant et au-delà. Raphaël a été le peintre de la Renaissance le plus gravé durant tout le XVIe siècle, ce qui contribue à expliquer le succès qu’il remporta auprès des artistes des générations ultérieures. Ensuite, ce qui est peut-être moins connu, Raphaël a pleinement intégré la gravure à sa pratique artistique, même s’il n’a jamais gravé lui-même. Il a entretenu des relations très étroites avec les graveurs professionnels avec lesquels il a travaillé, au premier rang desquels Marcantonio Raimondi, il a intégré ces graveurs à son atelier, et a conçu des compositions spécifiquement pour la gravure.
En quoi consiste cette association ?
Cette association est exceptionnelle par sa durée et son intensité. Elle commence à l’arrivée de Raimondi à Rome en 1510 et ne se termine qu’avec la mort de Raphaël en 1520. Ces dix années d’une collaboration étroite ont permis la production de plusieurs centaines de gravures sur cuivre, réalisées par Marcantonio Raimondi et deux autres graveurs qui ont rapidement rejoint ce dernier, Marco Dente et Agostino Veneziano.L’exposition présente aussi quelques gravures sur bois d’un quatrième graveur, Ugo da Carpi, qui, à la différence des trois graveurs précédents, n’a pas intégré l’atelier de Raphaël et a sans doute travaillé de façon plus distante vis-à-vis du maître. Ugo da Carpi fut l’un des plus talentueux graveurs en clair-obscur, une technique d’une grande complexité qui permet d’imprimer en couleurs, au moyen de la multiplication des matrices gravées.
La mort d'Annanie, par Agostino Veneziano et Ugo da Carpi. Déplacez le curseur pour comparer !
La mort d’Annanie est un bon exemple de la circulation des motifs par l’estampe : il s’agit à l’origine d’un carton conçu par Raphaël pour un cycle de tapisseries consacré aux Actes des Apôtres, commandé par le pape Léon X pour orner la Chapelle Sixtine. Les cartons du maître sont d’ailleurs toujours conservés, exposés au Victoria and Albert Museum de Londres, de même que les tapisseries, aux Musées du Vatican. Avant même que les tapisseries, tissées à Bruxelles au sein de l’atelier de Pieter van Aelst, rejoignent le Vatican en décembre 1519, la composition de Raphaël circule grâce au burin d’Agostino Veneziano. En 1518, Ugo da Carpi transcrit à son tour cette composition. Pour son clair-obscur, Ugo da Carpi a sans doute travaillé d’après la gravure d’Agostino Veneziano.
Comment connaît-on ces détails ? Par exemple, sait-on comment Raphaël est venu à travailler avec Raimondi ?
Notre connaissance des vies de Raphaël et de Raimondi reste aujourd’hui largement dépendante d’une source ancienne, écrite plus de trente ans après la mort du peintre, à savoir les Vies des plus excellents architectes, peintres et sculpteurs du Toscan Giorgio Vasari. L’auteur consacre une vie à Raphaël, dès la première édition de 1550, et ajoute, dans la seconde édition de 1568, une « Vie de Marcantoine Raimondi et d’autres graveurs ». Cette dernière biographie peut apparaitre à bien des égards comme une première histoire de la gravure.Tout cependant n’est pas exact dans ce qu’il nous dit. Ainsi, selon Vasari, c’est en voyant la Lucrèce se donnant la mort de Raimondi que Raphaël aurait eu envie de travailler avec lui. On estime pourtant aujourd’hui que c’est Didon se donnant la mort, très proche de Lucrèce d’un point de vue iconographique, mais moins aboutie, qui a été gravée avant la rencontre entre les deux artistes. Quant à la Lucrèce, la maîtrise et l’harmonie de sa composition poussent à y voir le fruit d’une collaboration déjà bien établie entre le peintre et le graveur.
Lucrèce se donnant la mort et Didon se donnant la mort, par Marcantonio Raimondi d'après Raphaël.
L’œuvre de Raphaël est multiple. Marcantonio Raimondi gravait-il d’après des dessins, des tableaux, des fresques ? Est-il possible d’établir une genèse de chaque gravure ?
D’après Vasari, ce sont essentiellement les tableaux et les fresques de Raphaël qui ont servi de modèles au graveur. On estime aujourd’hui qu’au contraire, Raimondi a gravé exclusivement à partir de dessins préparatoires aux œuvres. Par exemple, cette gravure, Sainte Cécile entouré de quatre saints, se rattache au tableau peint par Raphaël vers 1514, aujourd’hui conservé à la Pinacothèque nationale de Bologne.
Sainte Cécile entourée de quatre Saints, gravure de Marcantonio Raimondi d'après Raphaël et Extase de Sainte-Cécile, tableau de Raphaël conservé à la Pinacothèque de Bologne.
La version gravée présente quelques différences notables par rapport au tableau. C’est pourquoi on pense que Raimondi a pris pour modèle un dessin intermédiaire, aujourd’hui perdu. L’estampe de Raimondi apparaît donc comme le seul témoignage de l’évolution de la pensée du maître et rend compte d’une des étapes qui a permis d’aboutir à l’œuvre finale.
D’autres estampes, telles Le Parnasse ou Le Triomphe de Galatée, sont à mettre en relation avec des fresques peintes par Raphaël, respectivement pour la chambre de la Signature du Vatican et pour la Villa Farnesina, propriété romaine du riche banquier Agostino Chigi. Là encore, Raimondi a plus probablement travaillé à partir de dessins préparatoires.
Le Massacre des Innocents : dessin de Raphaël issu des collection royales britanniques et gravure de Marcontonio Raimondi. Déplacez le curseur pour comparer !
Cette gravure, Le Massacre des Innocents, est très importante car elle est considérée comme l’une des toutes premières issues de cette collaboration exceptionnelle entre Raphaël et Raimondi. On conserve non moins de six dessins préparatoires du maître, ce qui montre toute son implication dans cette œuvre, conçue d’emblée pour être transcrite en gravure. Cette œuvre est un chef-d’œuvre de gravure, où Raimondi montre toute sa maîtrise technique, et est aussi un chef-d’œuvre de l’art de Raphaël. C'est l’une de celles où Raphaël exprime le plus brillamment son admiration pour la manière de Michel-Ange, à qui il doit beaucoup ici pour la représentation des corps nus en mouvement. Raphaël entend aussi certainement répondre au Combat d’hommes nus d’Antonio Pollaiuolo, gravure très importante pour l’essor de la gravure italienne réalisée vers 1470. On peut supposer que Raphaël a vu cette estampe lors du séjour qu’il effectua à Florence avant de s’installer à Rome. Les années passées dans cette ville, qui fut un foyer majeur du développement de la gravure sur cuivre en Italie à la fin du XVe siècle, ont certainement été déterminantes dans le développement de l’intérêt du maître pour la gravure.
Le Jugement de Pâris, par Marcantonio Raimondi d'après Raphaël.
La gravure sur cuivre est à l’époque une technique récente : diffusée en Italie à partir de 1440-50, elle n’a pas perdu son caractère novateur. Raphaël en s’y intéressant a en tête les précédents de Mantegna, Dürer (on sait que les deux artistes nourrissaient une admiration mutuelle). Aussi l’intérêt commercial qu’il pouvait trouver à l’estampe, pour la diffusion de son œuvre, n’est probablement pas le principal. Raphaël était un artiste généreux qui aimait partager son œuvre et a eu à cœur de former au sein de son atelier les artistes de la future génération. Il n’est pas surprenant qu’un tel artiste ait aussi accueilli au sein de son atelier des graveurs avec qui il s’associa durablement.
Les raisons de l’intérêt que portait Raphaël à la gravure sont sans doute multiples. Bien sûr Raphaël a dû percevoir, si ce n’est immédiatement du moins rapidement, le rôle que pouvait jouer l’estampe dans la diffusion de son œuvre, de sa manière et de sa renommée. Cependant, son intérêt est aussi celui d’un artiste d’une insatiable curiosité et avide de relever les défis les plus stimulants. A cet égard, il y a sans doute un fond de vérité dans les propos de Vasari qui nous dit que Raphaël a voulu se mesurer à Albrecht Dürer, peintre, dessinateur et plus grand graveur de son temps.
Ce moment de collaboration avec Raimondi apparaît en définitive comme déterminant, tant pour la fortune de l’œuvre de Raphaël, celle de Raimondi, que pour l’affirmation de l’estampe comme un art à part entière.
Voir aussi
Le fonds d’estampes de Marcantonio Raimondi à la BnF
La Bibliothèque nationale de France conserve l’intégralité de l’œuvre gravé de Marcantonio Raimondi, presqu'entièrement numérisé. Cet ensemble fait partie du fonds historique des collections du département des Estampes et de la photographie puisque ces estampes proviennent pour la plupart de l’importante collection d’estampes de Michel de Marolles, abbé de Villeloin, achetée par Colbert en 1667 pour le compte du roi Louis XIV.
Exposition et publication
Exposition "Raphaël et la gravure", Dans les collections de la BnF, du 8 octobre 2020 au 11 janvier 2021. Musée des Beaux Arts de Tours. Commissariat : Hélène Jagot, Gennaro Toscano, Caroline Vrand.
Gennaro Toscano et Caroline Vrand (dir.), Raphaël et la gravure, cat. expos., Musée des Beaux-Arts de Tours, 8 octobre 2020-11 janvier 2021, Montreuil, Gourcuff Gradenigo, 2020.
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