Radiologues : la génération sacrifiée
En 1895, le physicien allemand Röntgen découvre les rayons X. Inconscients de la dangerosité induite par cet outil, des praticiens décident de l'appliquer à la médecine.
Une lésion d'un genre nouveau
En cette fin du XIXe - début de XXe siècle, de nombreux médecins, enthousiasmés par les perspectives qu'offre ce procédé innovant, vont dans un premier temps chercher à l'exploiter comme un outil d'exploration du corps humain. Mais assez vite, on se rend compte que les rayons X provoquent des dermatites chroniques spécifiques aux opérateurs. Les techniciens comme les médecins sont logés à la même enseigne comme en attestent ces photographies de Henri Bourdon, préparateur en radiographie à l'Hôpital Saint-Louis. Voici une description précise de cette lésion :
Accidents du travail
Dès lors commence une longue série d'accidents du travail. Etienne Destot, un des premiers à s'être intéressé à la découverte de Röntgen, est gravement blessé aux doigts. Nommé médecin à l'Hôpital Tenon en 1897, Antoine Béclère (1856-1939) l'équipe à ses frais d'un appareil de radioscopie. En l'absence d'installation électrique dans les hôpitaux, il pousse le zèle jusqu'à transporter chaque jour le matériel dans le fiacre qui le mène de son domicile à son lieu de travail. Atteint de radiodermite, il doit subir l'amputation de quatre doigts. Il dénonce des protections insuffisantes :
Tenez, voici mes mains. Vous voyez ces nodosités, ces pelures, ces ongles cassés ? Je suis touché. Un jour ou l’autre, le gros accident m’arrivera. Or, depuis 19 ans que j’opère,- je me suis toujours protégé, j’ai toujours porté des gants. Ces gants, les voici. Ils contiennent du plomb ; soupesez-les. Déjà trop lourds ! Eh bien, ces gants-là sont traversés par les rayons X. Des gants plus lourds ? Inutilisables. Je mets au défi un radiologue de s’en servir pratiquement.
Le professeur Jean Bergonié utlise la Röntgenthérapie pour soigner ses patients. Il est connu pour être le précurseur de la radiobiologie - étude des effets biologiques des rayonnements sur les êtres vivants. Une radiodermite chronique se déclare, entraînant de nombreuses mutilations jusqu'à la désarticulation de son épaule droite comme en atteste la photographie ci-dessus. Citons également le professeur Maxime Ménard, atteint aux doigts, aux yeux puis à la bouche.
Ceux qui s'obstinent à continuer leurs recherches dans ce domaine vont le payer très cher : plus longue sera l'exposition aux rayons, plus graves seront les mutilations. Ainsi Sébastien Turchini travaille comme radiologue pendant trente ans au cours desquels il ne cesse de subir des amputations.
Charles Infroit, chef des services de radiographie à l'Hôpital de la Salpêtrière y resta 22 ans pendant lesquels il fut opéré 22 fois ! Sans parler de Charles Vaillant (1872-1939) qui subit un véritable martyre : d'abord amputé de quelques doigts à la main gauche puis du poignet, suivi de l'avant bras droit. En 1920, on doit lui désarticuler l'épaule gauche.
Installations précaires : un facteur aggravant
Nous n'avons cité ici que quelques noms parmi toutes les victimes des rayons X. Avant que l'on ne mette en place des protections adéquates, puis un appareillage qui soustrayait les individus aux rayonnements, les premiers radiologues - partant littéralement en morceaux - payèrent un lourd tribut à l'invention de l'imagerie médicale.
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